dimanche 11 décembre 2022

Décembre 1939 en Alsace

 

Décembre 1939

 

Vendredi 1er décembre 1939 lettre (23)                                           51

Reçue le 6 à 11 h, réponse le soir

 

Chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu ce matin votre carte lettre du 25. Hier, je voulais vous écrire, mais, comme la levée était faite, j’ai préféré attendre à aujourd’hui, car je comptais en recevoir une de vous, ce qui n’a pas manqué. J’en ai également deux d’Hélène, des 25 et 26, dans laquelle elle m’apprend la visite qu’Élise a été vous pousser. Elle me dit également que vous êtes en bonne santé. Chère sœur, j’ai le plaisir de t’apprendre que je reçois toutes tes lettres. J’espère qu’il en est de même des miennes. Bons nombres d’Hélène parties d’Hendaye ne sont pas parvenues. Pour le moment, ça va mieux. Ces jours-ci, nous avons la pluie et quelques éclaircies, mais il fait moins froid, ce qui est très appréciable. Ce matin, nous avons monté un bout de ligne – le reste du temps – repos. Chère sœur, merci pour les coupures de presse. Je les reçois toutes vu que je reçois toutes les lettres. Ce matin, j’ai aperçu le jeune frère de Daucha. Il passait en camion. Il est au 123e RI, même division que nous. C’est là aussi qu’est Joseph Mur, mais à lui, je ne l’ai pas encore vu. Prenez-vous toujours le Républicain, y avez-vous trouvé l’article d’un adjudant de chez nous ? Il tient épicerie, avenue Joffre, face à la gare. J’ai vu ce journal ce matin. Avec les vaches, nous avons laissé « la quille » : il était encombrant à porter et puis nous ne savions exactement le parcours à faire à pied. Tu sais, quand nous avons tout sur le dos, il y en a presque de reste, c’est tout juste si les genoux ne fléchissent pas. Jusqu’à maintenant, nous avions les charretons, mais pour monter en car nous avons dû les abandonner et les sacs de guerres ne sont pas les sacs d’ac. Il faut tout faire suivre, car rien n’est inutile.  Louis doit en savoir quelque chose. Dans sa dernière lettre, la patronne me disait qu’ils avaient beaucoup de travail et travaillant pour la défense nationale : Lannemezan, Pierrefitte. Monsieur Jean, tout en réquisitionnant des ouvriers militaires s’était lui-même réquisitionné. Réglat est rentré au Midi, il les a quittés. Chère sœur et cher Louis, je vous quitte pour aujourd’hui, car il est l’heure de la soupe. Je vais en profiter pour porter la lettre, car après il serait peut-être trop tard. Le bonjour aux voisins qui te demandent de mes nouvelles. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Samedi 2 décembre 1939 lettre F.M.                                                 52

 

Chère maman,

Voici à peine quelques instants que j’ai reçu la lettre écrite par Léonie le 26. J’ai appris avec grand plaisir qu’elle t’avait trouvé en bonne santé. Il en est toujours de même pour moi. Le temps est à la pluie, il fait moins froid qu’il y a huit jours. Nous sommes toujours au même village. Dans notre compagnie, sont déjà partis plus de vingt permissionnaires, mais je doute fort que mon tour arrive avant le 15 janvier, à moins qu’à partir de maintenant, on nous fasse partir en plus grand nombre. J’espère que le cochon attendra mon retour, car moi aussi, je voudrais bien y être. Hier, j’ai aperçu le fils Buerba d’Arreau ; ils faisaient une marche d’entraînement. Chère maman, dans la lettre, Léonie me demandait s’il me manquait quelque chose. Rassure-toi, j’ai tout ce qu’il me faut. Tante de Toulouse m’a envoyé un passe-montagne. Ici, on nous a distribué des gants tricotés. Je termine pour aujourd’hui en t’embrassant bien fort. Le bonjour à la famille Soulé. Ton fils. Léon

P.S. Le lieutenant Duffourc de Hèches est au 49e. Vous devez le connaître, lui m’a parlé de vous.

 

CARNET

Dimanche 3 décembre 1939

 

[Ce matin, j’ai assisté à la messe. Ensuite, j’ai écrit une lettre et quelques instants après, à onze heures, je me suis dirigé avec un copain sur Bouxwiller, petite ville située à six kilomètres cinq cents de notre patelin. Après une heure un quart de marche, nous voilà arrivés. Nous prenons un apéritif et prenons place dans un restaurant. Après un très bon repas qui se termine par du vin d’Alsace, du Sylvaner, nous quittons ce restaurant pour prendre un bon café près de la poste et aussi de la place où devait donner un concert la musique du 123e RI. En écoutant ce concert durant lequel l’un et l’autre, nous avions retrouvé des militaires connus, je perds de vue mon copain de promenade. Je me mets à sa recherche pendant une demi-heure, ce fut en vain et je pris seul la route du retour. À la sortie du village, venant face à moi, stoppe et me demande la route de Saverne. Sachant que deux kilomètres plus loin, dans ma direction, il pouvait la rattraper, je lui dis qu’il s’était trompé, car ainsi je comptais pouvoir parcourir plus de deux kilomètres à l’aise. Après l’avoir guidé à tourner son véhicule, je grimpe sur le marchepied et nous voilà partis. J’avais réussi mon coup. Tout en raccourcissant mon trajet que j’aurais dû parcourir à pied, je lui fis allonger le sien de trois kilomètres. Trop heureux d’être sur la bonne route et ne se croyant pas dupe, il me remercia en geste de la main et sourires et croyez-le je lui en rendis autant. Les quatre kilomètres qui restaient furent vite parcourus et à cinq heures un quart je regagnais le cantonnement où le seul copain qui était resté préparait le Banania. En ce moment, nous sommes trois, mais le troisième, le dernier arrivé, venant aussi de Bouxwiller, n’est hélas pas seul et malgré cela on ne peut le compter pour un. Après de longs mois de restriction, la boisson l’a trompé et maintenant il sanglote se croyant déshonoré et demandant pardon à sa femme qui pourtant est bien loin de lui. Son dialogue : « Jeanne, si tu me voyais, tu ne mérites pas ça, tu penses tant à moi et je me saoule. » Du sentiment, rien que du sentiment. Il est vingt heures trente et mon coéquipier n’est pas encore là, dans quel état rentrera-t-il ? Soixante minutes ont passé et le voilà qui parait à la porte, chaussé de feutres qu’on a dû lui prêter, les souliers liés ensemble sur son épaule, l’un sur le devant l’autre sur le dos, à la main une grosse canne, un bâton dont il s’est aidé pour soulager ses pieds meurtris par les chaussures neuves qu’il avait mises pour la première fois.]

 

Lundi 4 décembre 1939 carte-lettre (24)                                         53

Reçue le 7 à 5 h, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je viens de recevoir votre carte du 28 ainsi qu’une d’Hélène.

Je viens de manger la soupe et m’empresse d’y répondre pour qu’elle parte à la levée de midi et demi.

Hier dimanche, j’ai été dans un village voisin écouter la musique d’un régiment d’infanterie de notre division. J’ai fait un bon repas dans un restaurant de ce patelin où j’ai pu voir Buerba d’Arreau, le frère de Daucha, et André Artigue ainsi que quelques artilleurs de Tarbes. Pour me rendre là, j’avais fait 6 km 500 à pied pour aller et autant pour le retour. Nous étions deux, tout s’est bien passé. Nous ne savons nullement pour combien nous sommes là, nous n’y sommes pas trop mal, mais on est jamais content de notre sort, nous voudrions voir des pays nouveaux un peu en arrière naturellement.

Chère sœur et cher beau-frère, je ne connais pas l’adjudant en question. Il est peut-être dans un des trois bataillons, mais lequel ?

Quant au réchaud, pour bien faire, il faudrait quelque chose de solide. J’aimerais mieux le voir, mais tu sais je ne compte pas aller vous trouver avant le 15 janvier. Fais pour le mieux. Léon

 

Mercredi 6 décembre 1939 carte F.M.                                              54

Aux armées

 

Bien chère maman

Un petit mot, pendant que dehors tombent quelques flocons de neige. Il ne fait pas très froid. J’espère que tu auras reçu ma lettre du 2. Ce matin, je viens de recevoir une lettre de chez Estrade dans laquelle on me donne beaucoup de détails sur bon nombre de soldats de Cadéac. André Artigue, je l’ai vu dimanche, il était bien. Quant à moi, ça va pour le mieux et j’espère, chère maman, que la présente ira aussi te trouver en parfaite santé. De partout, les nouvelles sont bonnes. Ton fils qui t’embrasse. Léon

 

Aux armées, jeudi 7 décembre 1939 lettre (25)                                  55

Reçue le 12 au matin, réponse le soir et envoyé Républicain

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu ce matin votre carte lettre du 30.11 et par le même courrier des nouvelles d’Hélène et d’André qui partit (soi-disant au grand repos) et vient d’atterrir en frontière belge. Il en sera certainement de même pour nous du jour où nous quitterons Weiterswiller, ce sera pour nous rapprocher du front, peut-être plus à droite sur les bords du Rhin. C’est du moins, d’après quelques camarades, ce que je suppose. Je dois aussi vous dire que j’ai reçu toutes vos lettres. Hier, j’ai reçu une longue lettre de Blaisine qui me donne des détails sur plusieurs autres mobilisés de Cadéac. À mon tour, je voudrais quelques détails sur l’allocation de maman. Combien touche-t-elle et à t-elle touché le retard ? C’est-à-dire depuis la mobilisation. Dans le cas contraire, elle y a droit et doit toucher environ sept francs par jour. Il y a une deuxième allocation, moins importante, mais celle-là ne s’applique qu’aux parents qui ont plusieurs enfants ou fils mobilisés, je ne sais au juste. J’espère que vous pourrez me donner des renseignements à ce sujet. Ici, le temps toujours sombre, quelques rayons de soleil le matin, mais peu vigoureux, un vent assez froid.

Chère sœur – rapport au linge – j’ai tout ce qu’il faut : du savon, on nous en donne suffisamment et le cas échéant, nous pouvons nous en procurer. Toujours est-il qu’avant de remonter, je prendrai mes précautions.

Hier pour la première fois, j’ai joué un peu au football, mais, manque d’entrainement, le souffle est vite à bout. Pourtant, un peu d’exercice ne peut pas faire de mal.

Voici deux jours, deux téléphonistes ainsi que notre lieutenant s’étaient rendus au village voisin où leur a été remise la Croix de guerre. Tout à l’heure, notre officier de transmissions, le lieutenant déjà cité, va nous offrir le champagne, car, nous avons participé à sa décoration. Quant aux deux copains, ils se trouvaient à réparer une ligne pendant une attaque, un bombardement. Beaucoup d’autres gars ont été récompensés : une quarantaine pour le 49e.

Chère sœur, tu me parles de la permission de Massaly, mais son tour arrive après le mien, car il est de la classe 34 et je compte par conséquent arriver avant lui, mais pas avant la première quinzaine de janvier. Chère sœur et cher beau-frère, je vais terminer pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon


Samedi, 9 décembre 1939 lettre (26)                                              56

Reçue le 12 au soir, réponse le 14

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je viens à l’instant de recevoir votre gentille carte du 02/12 pour laquelle, cette fois, le secrétaire général a pris la plume. Je m’empresse de répondre pour donner la présente au vaguemestre, ainsi elle sera acheminée plus vite.

Cher Louis, tu me parles de Chollet. Eh bien, c’est lui qui était à Pau lors de ma période. Il était caporal-chef et aussi notre chef de chambre. Ici, il est sergent et fait fonction d’adjoint à notre officier de transmissions, le lieutenant décoré ces jours derniers. Ensuite, nous avons un sergent de réserve, appelé comme nous, qui est natif d’Hendaye - « Rispail » - qui s’occupe de tous les téléphonistes.      Ensuite par atelier, par cinq hommes, un caporal. Moi, j’ai un caporal-chef, dans le civil aux indirects à Versailles, natif d’Oloron : il est très gentil, le plus parmi tous. Avant-hier, après le champagne, avec lui, Chollet, Massaly et le lieutenant, qui a bien voulu nous amener ; nous avons été faire une virée à la ville voisine. Tout s’est bien passé et sommes rentrés contents. Dans l’après-midi d’hier, j’ai assisté en spectateur à une partie de football. Ainsi, le temps passe. Le matin, je m’étais levé à huit heures et demie, c’est une heure qui commence à nous être familière. Profitons en tant que nous pouvons. Peut-être d’ici la fin du mois remonterons-nous. Voilà déjà trois semaines que nous sommes dans ce patelin. Cher Louis, aujourd’hui, c’est à toi que je m’adresse. As-tu déjà vu en gare de Tarbes des permissionnaires du 49e. Quelques-uns sont partis, un avant-hier, il s’appelle Castérot et habite – je crois – rue de Paix. À quelle heure arrive-t-il à Tarbes ? … si c’est la nuit ? Ce Castérot, quoique qu’étant de la cinquième couche avec moi, je ne l’ai vu avant son départ sans quoi je lui aurai donné quelques paquets de tabac à te porter, car le stock que j’ai commencé à être encombrant, surtout s’il faut déménager. Ces jours-ci le temps est au beau, le soleil parait, peu gaillard d’ailleurs et ensuite le vent est assez froid.

Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène ainsi que la première de Généraux qui sur l’adresse avait omis de mettre la compagnie et à l’intérieur l’adresse ainsi je ne puis lui répondre. Je demanderai l’adresse à la patronne qui m’écrit toujours bien longuement et aussi bien gentiment.

À part ça, tout va très bien… et je termine, chère sœur et cher beau-frère en vous embrassant. Et les huîtres… Sont-elles salées cette année ?

Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon

 

Mardi 12 décembre 1939 lettre (27)                                                 57

Reçue le 16 au soir, réponse 14 au soir par Louis,

envoyé mandat de 100 F. à 5h.30

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je quittais juste la paille lorsque Massaly est rentré avec notre courrier. Ce matin, votre carte du six, c’est tout ! En revanche, demain, je compte en recevoir quelques autres. Chose bizarre, en même temps que la vôtre, la lettre envoyée à Hélène a également été censurée. Si malgré cela elles arrivent, ce n’est qu’à moitié mal. Hier soir, j’ai envoyé une carte à Toulouse et une aussi à Marseille. Je crois que c’est la troisième et de lui, je n’ai encore rien reçu.

D’André, je reçois assez souvent des nouvelles. Je lui ai écrit ces jours derniers, il est sur la frontière belge.

D’Hélène et d’Élise, toujours de bonnes nouvelles, mais elles sont encore prises par leur aménagement et aussi le déménagement de la grande maison qui n’était encore terminé ces jours derniers.

Voilà deux jours, j’ai écrit à M. Estrade et à cousine de Luchon. Je suis donc à jour, question correspondance. Au train où les permissionnaires partent, je ne compte pas vous retrouver avant le 15 janvier ; donc Noël je le passerai en Alsace. À cette occasion, tu devrais m’envoyer un colis, quelque chose de substantiel, mais surtout, pas de denrées périssables. Fais pour le mieux. Dans ce colis, tu joindras un béret[1] – tour de tête 54 ou 53 – diamètre extérieur à plat (réglementaire) 28 cm. Ce béret sera celui que nous porterons en semaine. Celui que nous offre le capitaine sera la coiffure de sortie. Si celui que j’ai approche des dimensions, n’en achète pas, envois-me le. Hier, au rapport, on nous a dit qu’à l’occasion de la Noël et jusqu’au 1er janvier, on avait le droit à envoyer un colis (jusqu’à 5 kilos) à titre gratuit – mentionner sur le colis : « colis de Noël » - donc, tu l’enverras gratuitement et par la même occasion tu le feras accompagner d’un mandat comme d’habitude.

Chère sœur et cher beau-frère, je vais terminer pour aujourd’hui, l’heure de la soupe est là et il fait très froid. Le bonjour aux voisins et personnes qui s’intéressent à moi. Bons baisers à tous deux. Léon

 

Mercredi 13 décembre 1939 lettre (28)                                        58

Reçue le 18 au matin, réponse 18 au soir par Louis

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Ce matin, votre carte-lettre du 7 et une carte d’André qui, croit-il, va rejoindre un camp où jouissant d’un confort sensiblement supérieur à celui des cantonnements qu’ils occupent actuellement, il croit qu’ils seront briqués. En revanche, je crois qu’il n’en sera pas de même pour nous qui, ce matin, avons passé une visite afin de déterminer ceux qui n’ayant pas de maladie contraire aux effets des piqûres devront y passer. J’ai compris que nous resterions ici, et cela d’après les derniers canards qui circulent jusqu’au 10 janvier. Pourtant, dans certains cantonnements, il ne fait guère chaud, l’air passe un peu partout, impossible de faire du feu, pas de lumière. Tout cela n’est guère rassurant pour rester durant deux jours sous l’effet de la fièvre sur la paille. Nous, de ce côté, nous sommes assez privilégiés, car nous faisons du feu du matin au soir. Ce matin, un camarade de chambre, pris de rhumatismes articulaires au pied, nous a quittés pour rejoindre un hôpital. Il faisait partie d’une compagnie éprouvée et avait passé plusieurs jours aux avant-postes, dans l’eau jusqu’à la ceinture. En plus, il tenait une charge de rhumes pas ordinaire.

Chère sœur et cher beau-frère, je vois que vous vous êtes servis de la caricature de Paris-Soir pour me demander si les chaussettes n’étaient pas trop grandes. Je puis vous dire qu’elles vont bien tant par la pointure que par la tige.  J’avais déjà vu çà, car tous les jours, les uns ou les autres, nous prenons le journal espérant y trouver quelque chose de décisif, mais toujours des menaces réitérées, jamais une franche décision. Peut-être, après avoir assez cherché, trouvera-t-il à qui répondre. Pour le réchaud, fais à ta guise, mais surtout, prend quelque chose qui chauffe assez rapidement, autant que possible à feu visible et au moins 500 watts et tu le sais, en 220 volts. Aujourd’hui, le temps est couvert et assez froid. Quelques poussières de neige tombent. Voici trois jours, j’ai écrit chez Estrade les priant de transmettre mes bonnes nouvelles à maman à qui je vais envoyer un mot immédiatement. Je termine pour aujourd’hui, en vous embrassant à tous deux. Léon

 

Mercredi 13 décembre 1939 carte F.M.                                          59

Aux armées

 

Bien chère maman,

Deux mots simplement pour te dire que ça va toujours bien. La santé est excellente, je reçois très régulièrement des nouvelles de Léonie qui m’en donne aussi des tiennes. Aujourd’hui, le temps est couvert, il fait assez froid et la neige tombe, mais en très faible quantité. Je crois que nous sommes encore ici pour de nombreux jours durant lesquels nous subirons quelques piqûres. J’attends des nouvelles de Toulouse, de Luchon et Marseille.  Quant à la permission, mon tour ne viendra certainement pas avant la première quinzaine de janvier. Chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant. Meilleur souvenir à la famille Soulé. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Mercredi 13 décembre 1939                                                              60

Lettre-carte (4) de Madame Raymond Chalmandrier, Tarbes (Hautes-Pyrénées).

 

Bien cher Noguéro,

Encore du changement pour Jean, il a été démobilisé et affecté à l’arsenal. Voilà à peine quinze jours qu’il y était, lorsque le service de santé qui est au lycée l’a réquisitionné pour un projet à faire pour la radiographie. Maintenant, c’est le génie qui l’a demandé pour visiter toutes les casernes et le camp de Ger. Malgré cela, il fait toujours partie de l’arsenal. Nous avons reçu des nouvelles de Généraux, qui nous dit qu’il viendra bientôt en permission de détente. Je lui ai renvoyé votre adresse, car il me l’a redemandée. Nous vous faisons ma belle-mère et moi un petit colis pour vous faire réveillonner, vous penserez à nous en dégustant le contenu. Nous avons également reçu des nouvelles de Jacob qui était encore à Bayonne, mais il s’attendait à partir à chaque instant pour une destination inconnue. Jourdes est prêt de moi en train de discuter avec Jean, il vous envoie bien le bonjour. Le régime de la caserne ne le fait pas maigrir. En espérant de vous revoir bientôt, recevez, cher Noguéro, notre meilleur souvenir. Bons baisers de Raymond. Marcelle

 

Samedi 16 décembre 1939 lettre (29)                                                61

Tampon du 18. Reçue le 20 au soir, réponse de suite

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu le Républicain et votre gentille lettre du 12. J’avais également reçu la longue lettre de Cadéac.

Je vois vraiment que la municipalité ne nous oublie pas, ça soulage et contribue à amoindrir les mauvais jugements qui naissent en nous durant nos entretiens et aussi d’après quelques impressions de permissionnaires qui nous rejoignent. J’apprends aussi avec plaisir le montant de l’allocation que touche maman, c’est bien çà. Vraiment la famille Estrade est très dévouée. Il est regrettable qu’ils ne soient pas nos premiers voisins.

J’espère qu’à ce jour, Élise ou Hélène, vous auront poussé une petite visite. Je crois qu’Hélène travaille pour moi à confectionner un pull.   Le peu de neige tombée ces jours derniers recouvre encore les toits, car il n’a cessé de faire froid. Hier, j’ai touché des pantalons neufs, car les autres j’aurais dû y faire une couture – je les avais déchirés sur un arbre en montant une ligne à l’avant. Il fait froid, tout va bien, la santé est excellente, car, ici, il y a de quoi se caler les joues. Le plus ennuyeux : ce n’est pas à l’œil.

J’espère que vous aurez reçu ma lettre contenant l’appel et dans laquelle je demande aussi le béret.

Ici, pas de folles dépenses, pas de bêtises, tout pour le petit ventre, car, d’ici peu, il faudra y remonter et là-haut, nous ne trouverons rien. Je vous embrasse à tous deux. Léon

 

Vous joindrez si possible une boîte de pâté de foie de moineaux.

 

Samedi 16 décembre 1939                                                                 62

D’Anna Tissinier, la cousine de Toulouse (Haute-Garonne).

 

Bien cher cousin,

Je mérite d’être grondée pour avoir tardé à répondre à ton aimable lettre, mais je craignais qu’étant parti en permission, tu ne reçoives pas notre lettre.

Pour me faire pardonner, je te raconterai beaucoup de choses. Nous te remercions de la jolie carte « Les Cigognes » que tu nous as adressée. C’est drôle, tout de même que ces oiseaux bâtissent leur nid si haut, mais quelquefois une étincelle venue du foyer doit communiquer le feu à ces brindilles de bois qui composent le nid, il me semble, non ?

Nous avons vu avec plaisir que la santé était bonne et que de temps en temps vous pouviez vous distraire un peu.

Tu nous dis que vous vous êtes offert de la vraie choucroute… D’après ce que tu dis, c’était très bon. J’avais souvent entendu parler de ce plat, mais je croyais que ce n’était pas fameux. Il est vrai que tout dépend de la façon dont cela est préparé.

Je pense que lorsque tu seras en permission, tu en auras des choses à raconter et puis on t’en posera des questions sur ce que tu auras vu ! Et cette fois, c’est pour bientôt, 3 semaines seront vite passées.

Nous te remercions de la photo du groupe. Tu y es très bien.

À Toulouse, le froid commence à se faire sentir, mais il n’a pas encore neigé : ce n’est rien, en comparaison des régions où vous vous trouvez. Nous attendons des nouvelles de Louis et Léonie qui nous l’espérons sont en bonne santé ainsi que Tante de Cadéac.

À l’atelier, le travail marche un peu au ralenti, car beaucoup d’ouvrières sont parties travailler dans les usines de guerre. Celles qui restent font tantôt du civil, tantôt du militaire (chemises kaki). Juliette, toujours cuisinière à l’hôpital militaire. Maman à son ménage et Marcelle à l’école.

Nous parlons souvent de toi à table et pensions bien nous trouver réunis pour la Noël ou le jour de l’An. Enfin cela viendra.

Maman, Juliette et Marcelle se joignent à moi pour t’adresser, cher cousin, nos plus affectueux baisers.

Ta cousine. Anna


Cousines Anna Tissinier, Juliette, Marcelle et tante Marie[2] (1943)

 

Tarbes, samedi 16 décembre 1939                                                      63

De Louis et Léonie Durrieu.

(Mandat postal présenté le 23 décembre et coupon réservé à la correspondance)

 

Bien cher frère,

À l’instant, je reçois ta lettre et m’empresse de t’envoyer 100 francs. Le paquet a dû partir ce matin, tu auras tout en même temps pour passer bon Noël, c’est ce que nous te souhaitons. Nous t’embrassons tous deux bien affectueusement. À bientôt de te lire. Bonne santé.  Louis et Léonie Durrieu

 

Lettre (30) manquante.

 

CARNET

Dimanche 17 décembre 1939

 

[Toujours de ce petit village de Weiterswiller où les jours s’écoulent et contrairement à ce que l’on a pour habitude de dire, se suivent et se ressemblent. Le matin, nous quittons la paille vers huit heures et demie. Ensuite, un brin de toilette et nous attendons le courrier auquel nous répondons sitôt après, en partie du moins. À 10h.45, le rapport et ensuite la soupe. L’après-midi s’écoule en jouant au ballon ou en effectuant de petites promenades dans les environs : Neuwiller, Bouxwiller. Hier, nous sommes arrivés à Petite-Pierre, petite ville distante de huit kilomètres. Après avoir traversé de belles forêts de sapins et hêtres dans lesquelles la route s’était tracé un passage, le tout sous une légère cape de neige, nous arrivons sur une hauteur et quelques instants après arrivons à ladite ville. Nous nous dirigeons sur un vieux château du sommet duquel nous jouissons d’un point de vue admirable tant la colline sur laquelle était perché ce monument historique était élevée. La visite terminée, notre cher capitaine nous a offert un petit verre de schnaps, eau de vie du pays et quelques paquets de cigarettes que les trente excursionnistes que nous étions ont eus tôt fait de rendre en cendres et fumées. Ces chers cantonnements que nous avions quittés à midi et demi, nous les rejoignons à cinq heures et demie, satisfaits de notre promenade que nous avions terminée en chantant gaiement.]

 

Mardi 19 décembre 1939 lettre (31)                                                 64

Reçue le 25 au soir, réponse le 26

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Il est huit heures, ce matin, j’ai fait un petit effort. Je me suis levé un peu plus tôt que d’habitude pour répondre à votre lettre du 14 reçue hier matin. Ainsi, la présente lettre partira par le premier courrier de la journée, mais, avant de la jeter à la boîte, j’attendrai la distribution afin de pouvoir vous dire si j’ai reçu le colis.

Avant-hier, j’ai répondu à une lettre de la patronne dans laquelle elle m’annonçait un petit colis pour le réveillon.

Hier après-midi, nous nous sommes rendus en promenade à une petite ville voisine distante de huit kilomètres. La route était très accidentée, traversait tour à tour des forêts de sapins et de hêtres, de beaux arbres aux futs lisses et hauts, les sous-bois étaient très propres, sans broussailles, sans arbustes, le sol était recouvert d’une légère couche de neige, qui sur la route, vu le roulage des voitures, était transformée en glace, les arbres qui longeaient la route étaient richement décorés d’ornements de givres. Arrivés au but de notre promenade, nous avons visité un vieux château d’où, si le temps avait été plus clair, nous aurions joui d’un point de vue admirable. Ensuite, avant de reprendre le chemin du retour, notre capitaine nous a offert un schnaps et quelques paquets de cigarettes. Partis à midi et demi, nous avons rejoint notre cantonnement, dans le soir, vers cinq heures et demie, satisfaits de cette promenade de seize bornes.  Pour ma part, c’est plutôt par curiosité que je me suis rendu là, où, j’ai acheté quelques cartes que je vous montrerai lors de ma permission.

À cet instant, le courrier vient d’arriver n’apportant pour moi qu’une lettre d’Hélène. Ce sera sans doute pour demain. Je termine en vous embrassant. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Mercredi 20 décembre 1939 lettre F.M.                                       65

Reçue le 24, réponse le 25

 

Bien chère maman,

Je crois que plusieurs jours ont passé depuis la dernière lettre que je t’ai envoyée, c’est pourquoi, sans plus tarder, je m’empresse de te donner de mes nouvelles qui sont toujours aussi bonnes. Je crois bien que Noël passé, nous quitterons ce petit village de Weiterswiller pour nous rapprocher légèrement d’une autre partie du front qui celle-là sera moins dangereuse que la dernière !

Ces jours derniers, nous avons eu un peu de neige qui, malgré la faible quantité, n’est pas encore fondue vu le froid persistant. Pour nous réchauffer, et par entraînement, nous faisons quelques promenades pédestres, naturellement.  Hier, nous nous sommes rendus à une petite ville distante de huit kilomètres où nous avons visité un vieux château d’où le point de vue était admirable. Ensuite, notre capitaine nous a offert un verre de schnaps, eau de vie du pays, et aussi quelques paquets de cigarettes que les trente excursionnistes ont eu tôt fait de liquider et, satisfaits, nous avons repris le chemin du retour en chantant. Demain, je crois, nous ferons une nouvelle excursion. Donc, chère maman, ne t’en fais pas pour moi, soigne-toi bien.

Hier, j’ai reçu une lettre de Léonie. Elle m’a envoyé un colis qui ne tardera pas à me parvenir. Tout va bien, il ne me manque rien. Je t’embrasse bien.  Mon meilleur souvenir à la famille Soulé. Léon

 

Jeudi 21 décembre 1939 lettre (32)                                                66

Reçue le 26 au matin, réponse à 2 h.

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Voici quelques instants que j’ai reçu, en assez bon état, le colis[3] – seuls les biscuits étaient en miettes. Tout le reste était intact, y compris la petite fiole d’antigrippe.

Ce matin, également, j’ai reçu une lettre de Blaisine ainsi qu’une d’Hélène. Il fait toujours très froid. Ainsi, cette nuit, j’ai eu un peu froid, mais rassurez-vous, cette après-midi, je vais tâcher de remédier à cela.

Dans l’après-midi d’hier, en camion, nous avons été réparer une ligne téléphonique à environ douze kilomètres d’ici. Au retour, nous nous sommes arrêtés dans une petite ville se trouvant sur notre passage.  Étant rentré dans le bistrot, le sergent, le Tarbais, nous a offert le café.  Là, j’ai vu le frère au charcutier du quartier, Gourrat. Il sert au 14e d’artillerie et m’a dit que son frère était également sur le front et qu’ils avaient fermé leur magasin.

Dans sa lettre, Blaisine me dit que plusieurs Cadéacois sont déjà venus en permission. Raymond Mur en a profité pour se marier. Elle a reçu également une lettre d’André Artigue dans laquelle il lui dit avoir passé une visite au sujet des oreilles et avoir été réformé. Maintenant, il attend. Quant à Dominique Anglade, toujours au même endroit. Il vient d’être piqué.

Nous, nous n’avons encore subi ce petit supplice, car les cantonnements ne sont pas emménagés pour.

En ce moment, le soleil brille, mais ne chauffe guère à tel point que le peu de neige tombée, déjà depuis quelques jours, recouvre encore les toits.

J’attends tous les jours le colis que m’a annoncé la maison Chalmandrier.

Demain, nous avons douche et passons à la chambre à gaz pour s’assurer du bon état des masques, avant de remonter, car il n’est question que de quelques jours, mais, cette fois, d’après les canards, sur un secteur plus calme que le précédent.

Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui en vous envoyant mille gros baisers. Léon 

 

Jeudi 21 décembre 1939                                                                   67

Lettre (1) de Fernand Flochlay, l’oncle de Marseille (Bouches-du-Rhône).

 

Mon cher Léon,

J’ai reçu avec grand plaisir de tes nouvelles d’Alsace, comme j’avais reçu les précédentes auxquelles tu dois te penser que je ne suis pas bien pressé de répondre. Je m’excuse et répare ma négligence, aujourd’hui, car je ne veux pas voir arriver les fêtes de Noël et Jour de l’An sans vous envoyer une bonne pensée à mes poilus - qui hélas ! - ne sont pas dans leurs foyers et je commence par toi. Léonie m’avait donné de tes nouvelles et de tous aux environs de fin novembre. Mais, bousculé par le travail, qui par suite de compression de personnel, de changement d’heures de travail, et d’un emphysème qui me transforme en un soufflet de forge. Je n’ai pas pu encore lui répondre. Je le ferai ces jours-ci. Marseille a repris une partie de sa physionomie normale, surtout, depuis que nous ne faisons plus partie de la zone des Armées ; sans toutefois reprendre une grande activité, mais enfin, un peu plus tranquille, le moral de l’arrière tient bon. On se débrouille, quoi ! Il n’y a que de temps en temps quelques alertes, dont Marie a une véritable frayeur. Elle se calfeutre hermétiquement, mais se refuse à descendre à la cave qui dit-elle manque de confortable, quoique bien aménagée. Je t’avoue que je partage son opinion, et qu’une pareille excursion au milieu de la nuit, en chemise ou pyjama, n’a rien de bien agréable surtout à 65 ans ! Enfin, prenons patience, nous de l’arrière, et souhaitons bonne chance d’abord aux jeunes poilus de l’avant, convaincus que bientôt des jours meilleurs nous seront réservés au cours de l’année qui va commencer, en nous réunissant tous en famille dont on apprécie bien plus – maintenant – toutes les joies. Sur ce, je te laisse, en formulant pour toi personnellement mes vœux bien sincères de bonne santé, de bonnes fêtes, que tu arroseras à mon intention. Bon courage, je t’embrasse affectueusement.

Fernand Flochlay

 

Fernand Flochlay[4], l’oncle de Marseille dans son bureau de clerc d’Avoué


Samedi 23 décembre 1939 lettre (33)                                            68

Reçue le 26 au soir, réponse 28

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

     J’ai reçu ce matin votre gentille et longue lettre à laquelle vous aviez pris part tous les deux.

En ce moment, je n’ai pas encore été avisé du mandat, mais il ne saurait tarder à me parvenir. Je n’ai également pas reçu le colis que la maison Chalmandrier m’a annoncé depuis plusieurs jours. Quant à celui que vous m’avez envoyé, j’ai déjà goûté un peu à tout, même au trois étoiles dont je verse quelques gouttes sur un morceau de sucre afin que le niveau baisse le moins vite possible. En ce qui concerne les dattes, j’en ai offert à deux reprises à chacun des quelques copains qui occupent le même cantonnement, car nous formons une petite équipe bien homogène et ce qui est à un est à tous. Ne vous en faites pas pour le béret, c’est un détail. D’ici quelques jours et pour quarante-cinq jours de plus, nous n’en aurons pas besoin. Ce matin, nous sommes passés à la chambre à gaz, mon masque est en état et, ce n’est pas à dédaigner, c’est d’ailleurs l’objet auquel j’apporte le plus d’attention. Au moment où vous recevrez la présente, Noël sera passé et vous serez de retour de Cadéac où j’espère vous aurez trouvé maman en bonne santé.

Aujourd’hui, pas de lettre d’Hélène, ce sera pour demain certainement. D’André, j’ai encore reçu une lettre où il me dit qu’ils se déplacent à nouveau. Dans la lettre à laquelle vous venez de me répondre, je m’étais mal exprimé en vous disant qu’il changeait de secteur. J’ai simplement voulu dire de position. Pour la perme, toujours aussi éloignée, et je crois pouvoir vous dire que je ne serai là avant fin janvier donc surement trop tard pour participer au pèle-porc.

Chère sœur, je crois t’avoir déjà dit que j’avais reçu le Républicain que tu m’avais envoyé. Il était assez attrayant. Rassure-toi, en ce qui concerne les piqûres, on n’a pu nous vacciner vu le froid persistant et le manque de confort de la majeure partie des cantonnements que nous occupons.

Ce matin, j’ai également reçu une longue lettre d’Anna. Elles sont toutes les quatre en bonne santé et vaquent toujours aux mêmes occupations. La journée était belle, ciel clair, soleil doux, mais toujours froid intense et chaque nuit de fortes gelées. Dans la mesure du possible, nous restons autour du feu, comme des vieux.

Je termine pour aujourd’hui, chère sœur et cher beau-frère, en vous embrassant. Le bonjour à la famille Mounard et par-ci par-là. Bonne fin d’année et aussi bon début. Léon

 

Dimanche 24 décembre 1939 lettre (34)                                       69

Reçue le 28 à 5 h. du soir, réponse à 7 h.

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je vais commencer cette lettre en vous disant qu’hier j’ai reçu le mandat que vous m’aviez envoyé. Ce matin, mon courrier se composait uniquement de votre lettre du 20. Ainsi, j’attends toujours le colis des patrons.

Ce soir, à quelques-uns, nous allons faire un petit repas dans notre cantonnement. Cela nous reviendra meilleur marché que partout ailleurs et nous ne serons pas bousculés et, plus libres.

Voici à peine quelques instants, j’ai reçu la visite d’André Artigue qui avait enfourché un vélo, car, son cantonnement est à plusieurs kilomètres. Lui, non plus, ne compte pas aller en permission de ces jours-ci. Ce matin, comme d’habitude, j’ai été à la messe et avec quelques copains je compte aller à celle de minuit.

Demain, en l’honneur de la Noël, nous aurons un menu renforcé : choucroute, oranges, vin blanc et rouge, champagne et cigare et, pour digérer tout ça, mardi probablement, nous quitterons ce patelin.

Dans sa dernière lettre, André Saint-Martin m’a appris qu’il avait avec lui Mur, le boulanger de Sarrancolin. Après avoir causé, ce dernier lui a dit : « je connais sa mère, c’est une de mes clientes ». Lorsque je lui ai répondu, je l’ai chargé de lui faire parvenir le bonjour.

J’ai également reçu les deux Républicains, et, en les lisant, je revis un peu l’atmosphère pyrénéenne.

Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène dans laquelle elle m’apprenait que son frère Roger était arrivé en permission. Je ne sais si elle ira vous le présenter.

Je crois que le temps devient de plus en plus froid. Heureusement que nous pouvons bien nous couvrir. Il gèle nuit et jour. Le peu de neige tombée depuis plusieurs jours n’est pas encore fondu.

Je termine pour aujourd’hui en vous transmettant mes meilleurs vœux pour la nouvelle année en espérant qu’avec elle viendra la victoire. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon

 

Lundi 25 décembre 1939 carte F.M.                                              70

 

Chère maman,

Par ce froid matin de Noël, je viens par ces quelques lignes t’apporter tous mes meilleurs vœux pour l’année qui va commencer. Hier soir, j’étais à la messe de minuit. L’église était archicomble de militaires, à tel point que les habitants du village s’y frayaient assez difficilement une place. Il fait très froid, disais-je. Tout est couvert d’une épaisse couche de givre qui ressemble plutôt à de la neige et ces beaux décors restent du jour au lendemain, car il gèle nuit et jour. Hier après-midi, j’ai reçu la visite d’André Artigue. Il est, lui aussi, en bonne santé. Nous avons causé pendant quelques instants. Tout va bien. Je t’embrasse bien tendrement. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Mercredi 27 décembre 1939 carte (35)                                             71

Reçue le 01/01, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Deux mots simplement pour vous dire que nous sommes toujours au même patelin. Malgré cela, nous attendons de jour en jour l’ordre de boucler nos sacs.

Aujourd’hui, avec deux copains, nous avons parcouru une quinzaine de kilomètres pour aller visiter un château situé au milieu des forêts sur une colline d’où par temps clair on a un admirable point de vue. On peut, parait-il, voir la cathédrale de Strasbourg à quelques dizaines de kilomètres. Hélas, aujourd’hui, le temps était brumeux et tout était recouvert de quelques centimètres de neige.

Ce matin, j’ai reçu une lettre de Marseille dans laquelle était joint un mandat de cinquante francs. J’ai aussi reçu le colis des patrons. Je me suis empressé de les remercier à tous deux.

Chère sœur, je te demanderai de m’envoyer dans une des prochaines lettres un petit calendrier.

En vous envoyant tous mes meilleurs vœux, je termine en vous embrassant de tout cœur à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Jeudi 28 décembre 1939 carte F.M.                                              72

 

Bien chère maman,

Deux petits mots, toujours du même village où se poursuit notre repos. Voilà déjà plus de quarante jours que nous sommes là. En ce moment, la neige recouvre le sol de quelques centimètres, mais la température est plus douce que ces jours derniers alors que tout n’était que givre et qu’il gelait tant le jour que la nuit. Heureusement que notre cantonnement est muni d’un fourneau qui brûle du bois du matin au soir. Hier, j’ai reçu un colis des patrons et aussi un mandat de cinquante francs de Marseille. Je me suis empressé de les remercier. Quelques jours avant, j’avais aussi reçu un colis de Léonie. Donc, comme tu peux en juger, pour le moment, il ne me faut rien. La santé est bonne et souhaite que la présente carte aille te trouver de même. Je termine pour aujourd’hui. Reçois de ton fils qui ne t’oublie pas les plus tendres baisers. Le bonjour et les meilleurs souhaits à la famille Soulé. Léon

 

Samedi 30 décembre 1939 lettre (36)                                           73

Reçue le 4, réponse de suite

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu ce matin vos deux lettres du 25 et 26. La première partie de Cadéac, la deuxième de Tarbes. Je suis content de vous savoir tous trois en bonne santé. Je ne puis en dire autant, mais, rassurez-vous, ce n’est rien de grave. Depuis déjà deux nuits, j’ai les genoux pris par une sorte de rhumatisme. Je ressens des douleurs au moindre changement de position et durant toute la nuit. Donc, ce matin, je me suis rendu à la visite. Un infirmier, après avoir fait des massages, m’a roulé les genoux dans du coton par-dessus lequel, pour le maintenir, il a passé des bandes de gaze. Par la même occasion, j’ai topé le dentiste pour me faire plomber une dent de devant. Le mastic était tombé ces jours-ci. Étant un peu enrhumé, j’ai pris aussi ma température qui était normale : 37°5. Tout cela, vous le comprendrez facilement, en vous apprenant que ce matin à six heures, le thermomètre marquait 22° au-dessous de zéro, naturellement. Ce matin, également, j’ai reçu une lettre d’Hélène et aussi une de cousine de Luchon qui m’annonce avoir envoyé en même temps un colis. Je l’aurai d’ici deux jours.

Un foyer du soldat nait. Nous y trouverons des boissons chaudes et petits objets d’usage courant. Pour le moment, quelques jeux : cartes, dominos, dames, loto et aussi, ce qui m’intéresse le plus, un poste Radiola, dernier cri, qui nous permet d’entendre la voix si familière de Radio-Toulouse. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon

 

Tarbes, samedi 30 décembre 1939                                                     74

 

Bien chère maman,

Deux mots, seulement, avant de terminer encore cette triste année pour vous faire part de nos meilleurs vœux de santé et l’espoir que le Nouvel An nous donnera la paix finale tant désirée pour abréger nos soucis.

Il y a 3 jours, j’ai eu des nouvelles de Léon qui a bien reçu le mandat et le colis à bon port, mais il attendait celui des patronnes qui le lui avaient annoncé pour la Noël. Il était en bonne santé, mais ne pense venir que vers la fin janvier.

Transmettez nos meilleurs vœux de Bonne Année à toute la famille Soulé. Louis se joint à moi pour vous embrasser. À dimanche.

Louis et Léonie

 

 

Dimanche 31 décembre 1939 carte-lettre                                          75

 

Bien chère maman,

Au seuil de l’année nouvelle, je viens par ces quelques lignes t’apporter de mes nouvelles. Malgré la vague de grand froid qui sévit – 22°, tout va pour le mieux. Nous n’avons pas encore quitté ce village qui nous abrite depuis près d’un mois et demi. Les routes sont, paraît-il, trop mauvaises pour nous déplacer. Sur la glace, nous ne pourrions avancer et les chevaux encore moins. Tant que nous serons ici, tout ira bien. J’ai reçu ta dernière lettre du 25 ainsi qu’une de Léonie. De Luchon, j’ai également reçu un petit colis. Je l’ai remercié aussitôt. Il y a quelques jours, j’ai eu la visite d’André Artigue : il était bien. Je crois pouvoir t’annoncer que je ne partirai pas en permission avant la fin de janvier. Je termine en t’embrassant bien tendrement.

Ton fils. Léon

 




Fin de correspondance 1939

 

 

 

 

 

 



[1]« Le 19 novembre 1939, à la demande du contingent Basco-béarnais, le haut commandement à la demande du chef de corps et pour récompenser le régiment de sa belle attitude au feu, autorise le port du béret, coiffure régionale du Pays basque. » Source : Wikipedia.

[2] Maria Bielsa Bernad, sœur de la mère de Léon, mariée à Marcellin Tissinier.

[3] Colis expédié le 15/12/39 et contenant : chocolat, saucisson, pâté, dattes, bonbons, fromage, Cognac, sardines, sucre, journaux, gaufrettes, noix.

[4] Fernand Flochlay était employé comme clerc d’avoué chez Me Henri Rouland, successeur de Me Vidal-Naquet, 67, rue Paradis, à Marseille.  


Présentation

Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

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