Reçue le 06/11 au matin,
réponse le soir ainsi qu’à André – après envoi colis
Chère
sœur et cher beau-frère,
À
onze heures et demie, au retour de la grand-messe, j’ai pu prendre connaissance
de votre lettre du 26. Je constate avec satisfaction que notre courrier nous parvient
avec assez de régularité. Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène, toujours
d’Hendaye et une d’André qui est toujours en ligne. Aujourd’hui, sitôt après la
soupe, j’ai été, histoire de faire la digestion et une petite balade, rendre
une petite visite à André Artigue qui cantonne au village voisin. À la
grand-messe assistaient trois généraux qui, pour marquer leur passage, nous ont
fait terminer le repas de midi par de la confiture et un quart de café. Au
village voisin, j’ai également trouvé un nommé Puertolas de Bourisp. Par
« Le Semeur » que reçoit
mon voisin de lit, de paille pour mieux dire, j’ai appris que le gérant de
l’Épargne du quartier, Cadeilhan de Vignec, ex-électricien, avait été blessé et
se trouvait dans un hôpital. Gabas, sergent au 18e l’a été
également. Ce dernier a un frère à ma compagnie. Ainsi, maman va avoir une
occupation de plus. Tu peux croire que par ici, il s’en perd des betteraves et
elles sont belles – je t’assure – aussi belles que des miches d’un kilo et
demi. Les pommes de terre sont moins grosses que chez nous. Avant-hier, j’ai
écrit à cousine de Luchon et à maman. Pour le moment, tout est calme. Nous ne
savons quand nous serons relevés. Aujourd’hui il fait beau, un peu de soleil,
le temps est clair mais un peu frais.
Cher
Louis et chère Léonie, je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien
fort. Votre frère et beau-frère. Léon
CARNET
Jeudi 2
novembre 1939
[Rien de saillant à signaler.
Dans l’après-midi, montage d’une ligne à Nemuhl, de la 6e compagnie
au central du génie.]
Vendredi
3 novembre 1939
[Secteur très calme, toujours au
petit village de Siersthal. Dans l’après-midi, petite promenade à Lambach.
Journée ensoleillée.]
Chère
maman,
Je
suis toujours au même village où règne le calme le plus complet. Voilà déjà dix
jours que nous y sommes, n’ayant absolument rien à faire. Après la soupe, avec
un copain, nous sommes partis à pied au village voisin d’où nous revenons à
l’instant. Cela nous fait faire un peu d’exercice : nous avons fait des
frondes et comme des enfants de huit ans, nous tirons sur les oiseaux.
Avant-hier, jour de Toussaint, j’ai été à la grande messe qui a été suivie d’un
service funèbre : étaient présents trois généraux, des officiers et, pour
le moins, six cents soldats.
Dans
l’après-midi, j’ai été voir André Artigue qui est toujours dans un village
voisin. Il n’avait reçu depuis quelques jours des nouvelles de son père. Il
était bien et jouait à la balle avec trois de ses copains. Il faut bien faire
quelque chose pour se distraire et faire passer le temps. Pour le moment, tout
va pour le mieux : nous mangeons bien, nous dormons bien, nous travaillons
très peu. Hier après-midi, nous avons cependant installé une petite ligne
téléphonique.
J’ai
appris par Léonie que tu avais le cochon depuis quelques jours. Elle m’a
également fait part de la gentille attention d’Oncle de Marseille. Elle s’est
d’ailleurs empressée de le remercier. Je termine pour aujourd’hui. Bonjour à la
famille Soulé. Ton fils qui pense à toi. Léon
CARNET
Dimanche
5 novembre 1939
[Le matin, comme tous les
dimanches, j’assiste à la messe. Sitôt après déjeuner, je reçois la visite d’un
copain d’enfance, natif du même village que moi : André Artigue, pour le
nommer, est également au 49e, mais fait partie d’un bataillon
stationné à Frohmuhl et Holbach. Je prends ma capote, mon masque en bandoulière
et ma canne et partons tous deux sur la route de Bitche afin d’atteindre le
camp du Légeret où est caserné notre 3e bataillon et où il croit
trouver d’autres copains. Là, j’ai vu des casernes modernes, bien moins
austères que toutes celles que j’ai vues à ce jour. Construits très récemment,
ces pavillons tout en ciment armé abritent de vastes chambres de troupe
largement éclairées, munies du chauffage central. Water et lavabos à chaque
palier, couloirs chauffés également. Tous ces innombrables bâtiments agrémentés
d’un grand parc. Le tout clôturé d’une murette surmontée d’un grillage :
ceci doit donner l’impression que l’on est moins prisonnier, moins à l’écart de
la vie civile que derrière les murs massifs et très élevés de nos anciennes
prisons. Notre visite terminée, n’ayant trouvé de connaissances, nous redescendons
l’un sur Frohmuhl l’autre sur Siersthal contents, tous deux, d’avoir fait cette
balade tout en causant un peu de nos lointaines Pyrénées.]
Reçue le 10/11 à 11 h,
réponse à 1 h 30
Chère
sœur et cher beau-frère,
Avec
votre lettre du 30, dont j’ai pris connaissance ce matin au retour de la messe,
j’ai également reçu la première d’Hélène depuis leur retour à Tarbes. Elles
n’avaient pas eu le temps d’aller vous voir, mais certainement qu’à ce jour il
n’en est pas de même, et, l’une par l’autre, pour les nouvelles que vous avez
reçues, les causettes engagées, vous avez certainement mieux situé ma nouvelle
existence. D’André, j’ai reçu des nouvelles, il me fait quelquefois allusion à
ce dimanche que nous avons passé ensemble et qu’il voudrait voir revenir ;
il n’est pas le seul, je crois. À l’instant, je viens d’écrire à Hélène et à
Marseille. J’ai joint comme tu me l’avais dit, mon adresse et à mon tour lui ai
fait sentir que j’avais été sensible à son geste. Chère sœur, jetant un coup
d’œil sur le carnet où j’inscris ma correspondance, je vois en effet que ma
dernière lettre a dû se faire attendre, car j’avais passé quatre jours sans
vous écrire : la raison, je ne l’ai pas en mémoire. Quoique dans le même
secteur, J.M. Rumeau n’est pas aux environs immédiats, car je n’ai vu qu’un
seul représentant de son unité. Pour le moment tout est calme. Nous ne savons
encore rien au sujet du grand repos. Quand partirons-nous, où le
passerons-nous, je n’en sais rien. On commence à nous parler, mais bien
vaguement des permissions. Partiront d’abord les anciens combattants (Officiers),
ensuite les pères de famille et ensuite les mariés et les célibataires
naturellement les derniers. Cela ne m’empêche pas de vivre avec l’espoir de
passer la Noël parmi vous. Peut-être, aurons-nous l’occasion de nous retrouver
avant, mais, j’en doute. Aussitôt après manger, j’ai reçu la visite d’André
Artigue qui m’a donné des nouvelles de Cadéac. Blaisine lui avait aussi écrit. Donc,
pas grand-chose de nouveau. Le temps quoique maussade n’est pas très froid. Je
termine pour aujourd’hui en vous embrassant. Votre frère et beau-frère. Léon
CARNET
Lundi 6
novembre 1939
[Le calme le plus parfait règne
parmi nous et aux alentours. Par moment, nous sommes à nous demander si
vraiment nous sommes en guerre. Nous roupillons à volonté, nous mangeons bien
et travaillons bien peu à tel point que, de nous-mêmes, nous jugeons qu’un peu
d’exercice nous manque. C’est pourquoi, bien des fois, nous partons par petits
groupes faire de petites promenades. Dans l’après-midi d’aujourd’hui, en
compagnie de mon copain le Lourdais Massaly, nous sommes partis sur la route de
Frohmuhl. Dans cette agglomération, j’ai trouvé André Artigue. Ensuite, nous
avons entrepris la fameuse côte de 17 % : la route de Bitche. À mi-côte,
je m’arrête. Nous étions à Holbach où se trouvent la CA3 et la 11e.
Je me mets à la recherche du sergent Guinle que j’ai connu à Weischirch. Un de
ses camarades de paille m’ayant appris qu’il était sur la crête. Nous
continuons la montée et au sommet je tombe sur son groupe qui terminait un abri
souterrain. Après une demi-heure de causette, nous avons rejoint notre
cantonnement en traversant un bois de hêtres et chênes et un deuxième bois de
pins et sapins. Une fois de plus, nous avons pu voir dans le ciel un avion
ennemi qui, vu son altitude, se plaisait à défier les batteries de 75.]
Chère
maman,
J’ai
reçu ce matin ta carte du 1er novembre que Léonie avait écrite. J’ai
appris avec plaisir que tu étais en bonne santé. Pour le moment, il en est de
même de moi. Nous sommes toujours au même village pour encore une dizaine de
jours. Ensuite, nous descendrons au grand repos, nous éloignant ainsi de
plusieurs dizaines de kilomètres de nos positions actuelles. Hier, j’ai encore
vu André Artigue. Il est lui aussi en bonne santé. J’ai aussi écrit à Marseille
pour le remercier de son attention. Je dois également répondre à mes patronnes.
Aujourd’hui, une ravissante journée, on se croirait en été, si nous n’avions la
vision des forêts ayant revêtu leur parure d’automne ; les feuilles en
grande partie sont tombées. Chère maman, je termine. Ne t’en fais donc pas pour
moi. Tout va bien. La santé est très bonne. Le travail ne nous fatigue pas.
Reçois de ton fils de gros baisers. Le bonjour à la famille Soulé. Léon
Mercredi
8 novembre 1939 : «Attentat à l’explosif contre Adolf Hitler à
Munich.[1]
CARNET
Mercredi
8 novembre 1939
[Dans la journée d’hier,
nouvelles incursions d’avions ennemis. Nous apprenons par un communiqué de
radio que, sur notre front neuf avions français étaient entrés en chasse avec
vingt-sept avions ennemis, neuf de ces derniers furent abattus, dont sept en
territoire français ; tous les nôtres rentrant indemnes à leur base. Dans
la nuit d’hier à aujourd’hui, important tir d’artillerie de part et d’autre. Ce
matin, revue d’armes par le chef armurier. Au début de l’après-midi, la DCA ennemie
encadre un de nos avions sans succès : quelque temps après, une lutte
aérienne s’engage et après de multiples acrobaties, un gros avion laissant une
épaisse trainée de fumée derrière lui pique pendant que de plus petits
continuent de le pourchasser. Il avait certainement eu son compte, car quelques
instants après, les autres, qui certainement étaient les nôtres évoluaient
adroitement au-dessus de nous, témoignant ainsi leur satisfaction pour la
victoire qu’ils venaient de remporter. Cela suffisait pour nous distraire.]
CARNET
Jeudi 9
novembre 1939
[Ce matin, la pluie nous est
revenue croyant nous être indispensable alors que, bien volontiers nous nous en
serions passés, car, nous avions à travailler. Dans la matinée, nous avons
construit une ligne téléphonique qui, passant par un PC de régiment, prévu en
cas de recul, devait relier le PC actuel au camp du Légeret. Dans l’après-midi,
nous avons récupéré une ligne qui, installée dans de mauvaises conditions,
assurait jusqu’à ce jour par un itinéraire différent cette même liaison. La
journée fut un peu dure surtout par ce temps désagréable, mais toute l’équipe
est rentrée satisfaite d’avoir pu détendre un peu ses nerfs, d’avoir fait un
peu d’exercice après de si longs jours d’inactivité. Après, une bonne nuit de
sommeil.]
Reçue le 13/11 à 5 h,
réponse le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
Hier
et aujourd’hui, je suis sans nouvelles. Peu importe, car je sais que demain
j’aurai plusieurs lettres. Je ne veux quand même pas laisser passer un jour de
plus sans vous écrire, car consultant mon carnet de correspondance, je me rends
compte que voilà plusieurs jours que je ne vous ai pas écrit. Ma dernière
lettre était datée du 5. Depuis, j’ai écrit à Marseille, à M. & Mme
Estrade, à Madame Chalmandrier. J’ai également répondu à maman ou plus
justement à la carte que tu avais écrite à Cadéac le 1er novembre. À
l’instant, je viens d’écrire à Hélène : j’espère que toutes deux – depuis
leur retour – vous auront poussé une petite visite. Ce matin, au réveil, nous
avons eu la surprise de revoir madame la pluie ; rien d’étonnant, car nous
avions à sortir, à travailler. Dans la journée, nous avons en effet installé
une ligne de plus de quatre kilomètres et en avons replié une deuxième aussi
longue. Nous nous serions passés de la pluie, mais nous avons accueilli avec
assez de plaisir cette assez rude tâche, car depuis de nombreux jours nous ne
faisions absolument rien et les journées au cantonnement commençaient à nous
paraitre longues, monotones. Il est vrai que voilà plus d’une quinzaine que
nous sommes là. Le milieu, suffisamment connu, n’a plus de charme pour nous et
volontiers, comme les bohémiens, nous voudrions circuler, changer de contrée. Je
compte bien, malgré les prolongations aussi inattendues que désagréables, que
nous serons relevés d’ici une semaine et alors nous descendrons un peu plus. Hier
après-midi, nous avons assisté à un combat aérien qui n’a pas manqué de nous
distraire. Un gros bombardier allemand cerné par une dizaine de nos rapides
avions de chasse qui voulaient le contraindre à atterrir en territoire français
et s’y étant refusé fut poursuivi et mitraillé. Tout à coup, il lâche une
épaisse fumée tout en perdant fortement de l’altitude. Quelques instants après,
les ailes se détachèrent, il s’enflamma et les deux occupants sautèrent en
parachute tombant ainsi que l’appareil dans nos lignes aux environs de Bitche,
à quelques kilomètres de nous. En dehors de ça, tout est calme, la santé est
bonne, tout va bien. J’espère que la présente ira vous trouver en parfaite
santé. Le bonjour à tous ceux qui vous demandent de mes nouvelles. J’espère que
vous aurez fait le nécessaire pour colis et mandat. Je vous embrasse bien
affectueusement. Votre frère et beau-frère. Léon
CARNET
Vendredi
10 novembre 1939
[Dans la matinée, en compagnie de
mon chef d’atelier, nous avions suivi une ligne partant du central PG et allant
à Lambach. La panne, après maintes vérifications de ligne, fut découverte dans
un bois de sapins ; nos camarades pionniers l’avaient sectionnée en
abattant des arbres. Durant l’après-midi, mon plus grand travail a été de
répondre au courrier que j’avais reçu le matin et de faire la lessive.]
CARNET
Samedi 11
novembre 1939
[Après avoir dégusté notre petit
café au lait, nos tartines de pain grillé, mais non beurré, car ici, impossible
de se procurer du beurre. L’atelier dont je fais partie avait pour missions de
relier par téléphone l’observatoire Rosalie au PC du régiment. Après avoir déroulé
environ un kilomètre cinq cents mètres de ligne en traversant un bois de
sapins, nous arrivons au lieu-dit, à proximité de la route menant de Frohmuhl
au camp du Légeret. À onze heures un quart, tout terminé, nous prenons le
chemin du retour et arrivons juste à l’heure de la soupe - du festin - je
pourrais dire, car quelques échos gastronomiques étaient venus depuis la veille
à nos oreilles, nous laissant entrevoir un repas succulent, abondant
menu : potage, deux hors-d’œuvre (sardines et saumon bien présentés dans
notre couvercle de bouteillon et décorés d’oignons taillés en couronne), mouton
rôti, ragout de pois, deux desserts (confiture et gâteaux secs), vin blanc et
rouge (un quart de chaque), café aromatisé et pour terminer, un beau cigare, un
célèbre Voltigeur. L’après-midi, assez chargée, nous l’avons passée à tirer des
lignes du central actuel au central à occuper en cas de bombardement. La nuit
tombait lorsque nous passions la dernière ligne. Pour un 11 novembre, la
journée était bien remplie.]
Reçue le 16/11 h 30,
réponse de suite
Chère
sœur et cher beau-frère,
Hier
matin, avec mon chef d’atelier téléphonique, un caporal-chef, qui est dans les
indirectes à Versailles et connait très bien Jean Gouaux, j’ai eu pour mission
d’aller réparer une ligne qui, par inattention, avait été coupée dans un bois
par la hache d’un pionner. Nous ne l’avons su qu’après et, c’est pourquoi nous
avons pendant plus d’une heure suivi la ligne avant de trouver la panne. À
notre retour, presque à l’heure de la soupe, j’ai eu l’agréable surprise de
trouver votre lettre ainsi qu’une d’Hélène dans laquelle elle me disait qu’elle
irait vous voir le lendemain, c'est-à-dire le 4. Dans l’après-midi, j’ai fait
chauffer de l’eau pour faire la lessive. La journée était belle, ensoleillée.
Ce matin, 11 novembre, nous avons encore monté une ligne d’un kilomètre cinq
cents. Pour marquer l’ancienne fête de la Victoire, nous avons bénéficié
d’un repas hors classe = potage, hors-d’œuvre : sardines, saumon, rôti de
mouton, ragoût de petit-pois, confiture, gâteaux secs, vins blanc et rouge (un
quart de chaque), café, eau de vie. Depuis quelques jours, nous avons deux quarts
de vin à midi ; un le soir. Dans l’après-midi, nous avons travaillé à
ramener toutes les lignes téléphoniques du central actuel à un central à
occuper – en cas de bombardement – et qui remplacerait évidemment celui qui est
en service. Voilà notre emploi du temps, assez chargé ces deux jours. C’est pourquoi je n’ai pas répondu à votre
lettre hier. De plus, je n’avais pas reçu le mandat : le comptable vient
de me le porter à l’instant. Je reviens à ta dernière lettre où tu me demandes
des nouvelles de « la quille ». C’est aussi une petite chatte, mais
elle est tellement trapue et a une grosse tête ce qui au début nous portait à
croire que c’était un chat. Ces jours derniers, en ayant trouvé un, elle joue
avec – mais nous la surveillons –, car le lieutenant y tient autant que nous.
Ces jours derniers, elle vadrouillait – le lieutenant fait appeler notre
sergent qui, croyant aller recevoir un ordre quelconque se met en tenue
(casque, masque, etc.) – arrivé là, le lieutenant lui dit : « Vous avez perdu le chat ! le
voilà et tâchez moyen d’y veiller, c’est bien la peine que je vous le
confie », reprit-il pas trop méchamment quand même. Il me le montre
tout heureux : Tiens, je ramène « la quille ». Je les regarde
tour à tour : « çà
« la quille », une quille
pareille, la queue coupée, vous n’y pensez pas ? Il me regardait en
rigolant et lorsque le lieutenant apprit l’histoire, il n’en revenait pas. Ce
matin, lui ayant montré la vraie « quille », il était tout
heureux et m’a encore recommandé d’y veiller.
Depuis
quelques jours, peut-être l’ai-je déjà dit, nous sommes fournisseurs du lait du
colonel (1 litre par jour). Tu me parles de Cambot[2]. Il doit
être au service de santé divisionnaire et non régimentaire, car il serait au
même régiment que moi. Il doit être à environ quinze kilomètres d’ici,
c'est-à-dire à Montbronn. Pour le moment tout est calme. Je n’ai vu André
Artigue depuis quelques jours : je crois que son bataillon est remonté en
ligne ces jours derniers. Je ne sais quand nous descendrons pour de bon. Je
termine, dans l’attente du colis en vous embrassant à tous deux. Votre frère et
beau-frère qui pense à vous. Léon
Savez-vous
quelque chose au sujet de l’allocation pour maman ?
Rassure-toi,
en ce qui concerne les champignons, il n’y en a plus.
CARNET
Dimanche
12 novembre 1939
[Le matin, à la messe.
L’après-midi, un atelier téléphonique était parti en camion jusqu’à Volmunster
installer une ligne. Le lendemain, nous y remontions tous, car il y avait
encore une ligne à installer ainsi qu’une à démonter.]
Lundi 13
novembre 1939
[Partis le matin après le réveil,
nous sommes rentrés à Siersthal vers trois heures de l’après-midi. Il était
temps, nous avions la dent. À Volmunster, nous avons visité les premières
maisons éventrées par les obus allemands. Ce n’est guère beau à voir : des
meubles enchevêtrés et démolis, les fenêtres arrachées, les murs recouverts
d’une énorme couche de poussière dégagée des murs.]
Tampon du 15, reçue le
18/11 au matin, réponse à 1 heure
Chère
sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce matin votre lettre du 6 ainsi que le colis[3]
qui m’est parvenu en parfait état. Son contenu était très varié, il ne me faut
rien en plus. Quant à l’autre, je l’avais reçu dans un mauvais moment :
c’était un dimanche, nous nous préparions à quitter précipitamment Danne et
Quatre Vents. Arrivé au cantonnement suivant, je n’ai sans doute pas songé à
t’en accuser réception. Toujours est-il, autant que je m’en souvienne, il était
intact. D’ailleurs, j’ai touché quelque chose pour les effets qu’il contenait
et qui auraient dû être neufs pour être remboursés : pull 30 francs,
chemise 20 francs, 2 paires chaussettes 8 francs, soit en tout 58 francs. Par
le même courrier, j’ai également reçu une lettre d’Hélène dans laquelle, se
trouvant près de toi lorsque tu terminais le colis et ayant vu que tu
m’envoyais un briquet, elle ne parait pas très satisfaite : elle me
demande si je ne fume pas de trop et me dit : « À ton retour, je te tirerai les oreilles ... ». Un détail,
n’arrivant pas à fumer celui auquel j’ai droit, je le stocke pour quand je
reviendrai en permission (ne fais pas allusion à cette question !). Hier
après-midi, avec Massaly et un autre copain, nous sommes allés à pied au
premier village habité. Dans un restaurant, nous avons cassé la croûte
convenablement et sommes rentrés vers huit heures satisfaits de notre virée,
huit kilomètres aller et retour. Dans ce village, j’ai vu plusieurs ex-soldats
et gradés du 24e qui font partie actuellement du 14e RA
Je crois que parmi eux se trouve le commandant Palustran. J’ai demandé à des infirmiers de la division
s’ils connaissaient Armand Cambot : ils m’ont dit que non, qu’il devait
être à un autre secteur.
Aujourd’hui,
tout est très calme. Nous ne faisons absolument rien. Le temps est au beau.
Nous avons le soleil depuis quelques jours. Je ne sais encore pas jusqu’à quand
nous sommes là. Quant aux permissions, nous ne savons rien non plus. J’ai quand
même l’espoir d’y être pour la deuxième quinzaine de décembre. À l’instant,
l’ordre est arrivé pour qu’un atelier téléphonique se tienne prêt : je
suis tranquille, je puis écrire, ce n’est pas le tour du mien. Ayant apporté du gruyère du village, hier
soir, nous allons faire pour dîner une soupe au fromage. Ce dernier est râpé,
les oignons sont prêts. Je vais envoyer deux mots à maman et répondre à Hélène.
Cher Louis, la montre marche très bien, certainement que la mienne n’aurait pas
tenu le coup. Tu sais, nous avons de belles bottes et solides, marque « Dunlop » :
maintenant, en installant les lignes, nous n’avons pas à craindre les bains de
pieds.
J’écris
du PC du colonel, je suis planton de service au téléphone. Je termine ce soir
en vous embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère qui pense à
vous. Léon
Bien
chère maman,
Plusieurs
jours ont passé depuis que je t’ai écrit la précédente lettre. Je m’empresse
donc de te faire parvenir ces quelques mots pour te dire que tout va très bien.
Nous sommes toujours au petit repos dans le même village. Le temps est au beau,
le soleil brille. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Léonie ainsi qu’un colis.
Donc, maintenant, il ne me faut rien. La santé est très bonne et espère que la
présente ira te trouver de même. Je n’ai pas vu André Artigue depuis quelques
jours. Hier, avec deux copains, nous
sommes allés manger au premier village habité, à quelques kilomètres d’ici,
cela nous a fait une promenade et nous change un peu du reste. Je termine. Ton
fils qui t’embrasse. Léon
CARNET
Mardi 14
novembre 1939
[Dans l’après-midi, en compagnie
de deux copains, à travers champs, nous nous sommes rendus à Enchenberg, le
plus proche village occupé par les civils. Là, après avoir bien cassé la croûte
et bien bu, nous sommes rentrés satisfaits de notre sortie, en passant par
Lambach.]
Jeudi 16
novembre 1939
[Ce même jour, nous devions quitter Siersthal.
Vers dix heures du matin, nous recevons l’ordre de charger tout le matériel sur
les voitures de transmissions et de nous tenir prêts pour après le repas du
midi. Donc, toute l’après-midi, nous étions en état d’alerte. À trois heures de
l’après-midi, nous avons perçu le repas du soir. La roulante ayant eu à prendre
la route. Nous avons quitté Siersthal à huit heures et demie du soir pour
rejoindre à pied Frohmuhl. Nous avions repris nos charretons sur lesquels nous
avions mis nos sacs. Une pluie fine, assez serrée, nous accompagnait comme à
tous nos déplacements. Arrivés au dit village, une caravane de plus de soixante
autobus nous y attendait ainsi qu’au 123e. De dix heures à minuit,
sous une pluie persistante, nous avons attendu notre tour d’embarquer. Après
trois heures de route, c’est-à-dire vers trois heures du matin, nous arrivons
dans un village du Bas-Rhin, Weiterswiller.]
CARNET
Vendredi
17 novembre 1939
[Vers dix heures, je reçois
l’ordre de me rendre au bureau du colonel pour exploiter le central
téléphonique.]
Reçue le 22 à 11
h. Réponse de suite
Chère
sœur et cher beau frère,
J’ai
reçu hier matin votre lettre du 10. Je n’ai pu y répondre avant, car hier, nous
nous sommes déplacés. Depuis dix heures - hier matin – donc, nous devions nous
tenir prêts à partir. Finalement, nous avons quitté Weiskirch à neuf heures du
soir et avons marché jusqu’à Frohmuhl, deux kilomètres. Là, environ
quatre-vingts cars nous attendaient, à nous et au 123e. Après deux heures
d’attente sous la pluie, nous avons embarqué et sommes arrivés à destination
vers trois heures après avoir parcouru environ soixante kilomètres.
En
ce moment nous sommes dans le département du Bas-Rhin.
Chère
sœur, comme je te l’ai déjà dit, j’ai bien reçu le colis et le mandat. En
outre, tu parles de m’envoyer un poulet. Ne t’amuse pas à ça, car les colis
arrivent encore moins vite que les lettres et tu peux juger dans quel état il
arriverait. Où sommes-nous actuellement ? Dans un village d’environ sept cents
habitants. Il y a boulangeries, restaurants, donc, ne t’en fais pas.
J’ai
reçu des nouvelles de Luchon, d’André, et régulièrement d’Hélène qui, ces
jours-ci, n’a pas dû manquer de travail. Léon
CARNET
Dimanche
19 novembre 1939
[Le matin, j’ai été à la messe,
c’est la première fois que depuis le début de la guerre, j’ai vu deux enfants
de chœur, si charmants, dans leur tunique rouge, leur robe blanche. Notre
capitaine, remplaçant l’aumônier du régiment, nous a lu l’Évangile. Les enfants
de chœur firent une quête. Ici, dans les églises, pas de chaises, des bancs.
Pour la quête, le premier assistant prend le plat et le fait passer au suivant
arrivé au bout de la rangée, il passe au rang de derrière et la chaîne continue.
L’enfant de chœur le prend au dernier, la donne au premier du rang suivant,
joint ses mains et fait une révérence. À mon retour de la messe, je reprends
mon service de planton téléphoniste, mais cette fois, au central civil du
bureau de poste de la localité. Je profite de ce confort et de cette solitude
pour répondre à mon courrier.]
Bien
chère maman,
Ces
jours derniers, j’ai été occupé, car dans la nuit du 16 au 17, nous avons
voyagé en autobus pour descendre au repos. Nous nous sommes éloignés de nos
positions d’environ soixante kilomètres. Actuellement, j’écris du bureau de
poste de Weiterswiller (département du Bas-Rhin) où j’exploite le central
téléphonique. Le village compte environ sept cents habitants et n’a pas été
évacué. Nous avons donc toute facilité de trouver à manger et acheter ce qu’il
nous faut. Chère maman, tout va bien, la santé est très bonne et je souhaite
que la présente aille te trouver de même. Je reçois de bonnes nouvelles de
partout. Les premiers permissionnaires partent demain, mais, en très petit
nombre et selon leur situation de famille et leur classe. Peut-être, mon tour
viendra à l’approche du 1er de l’an, toujours pas avant. Je termine
pour aujourd’hui en t’embrassant bien tendrement. Bonjour à la famille Soulé.
Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon
Reçue le 25 à 11 h.
Réponse le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
Ces jours derniers, avec notre changement de résidence, le courrier nous a été distribué un peu irrégulièrement. Hier dimanche, à mon retour de la messe, j’ai reçu une lettre d’Hélène, l’après-midi une deuxième distribution, exceptionnelle celle-là, car habituellement nous n’en avons qu’une le matin, qui m’a apporté votre longue lettre du 13. Chère sœur, tu t’inquiètes sur le sort du colis et du mandat : j’espère qu’au moment où tu recevras la présente lettre tu auras reçu celle dans laquelle je t’ai accusé réception ; sitôt reçus de l’un et de l’autre, il faut pour le moins compter cinq à six jours pour le parcours d’ici Tarbes et autant en sens inverse. Donc, il est très compréhensible que le 13 tu ne pouvais pas savoir si je l’avais reçu puisqu’il n’était parti que le 6. Tu aurais reçu certainement confirmation vers le 18. Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre de Blaisine et une d’Hélène. De la journée, je n’ai pas eu le temps d’écrire. Dans l’après-midi, nous avons passé une visite médicale et la nuit tombait lorsque nous avons été libres. Avec ce changement d’heure, les après-midis sont courtes. Depuis hier soir, Massaly, moi et un troisième copain d’Oloron ne couchons plus avec les camarades. Nous avons trouvé mieux : chez un boulanger dans un deuxième étage où nous occupons une pièce, avec une fenêtre, une table au milieu sur laquelle j’écris. Ce soir, j’ai installé une baladeuse qu’il avait. Il est très gentil, mais cause assez difficilement le français. Nous nous comprenons quand même. Il m’a fait comprendre qu’il nous accueillait avec plaisir : « soldatts français camarades ». Il avait hésité, hier soir, à nous donner la baladeuse, car d’autres soldats qui étaient passés avant nous lui avaient enlevé toute l’installation. Nous avons pris un air désolé afin de le convaincre. La table sur laquelle j’écris, il nous l’a bien recommandée : c’est un souvenir de famille, elle date de 1810, de ne pas la malmener. Je suis persuadé qu’il est tranquille, nous sommes tous trois à peu près sympathiques. Nous sommes toujours sur la paille, mais mieux abrités que sous les tuiles et aussi mieux éclairés, et aussi, nous avons plus de place. Hier, j’ai écrit à maman, à Luchon, à Jourdes, à André Saint-Martin, et à Hélène. C’est avec grand plaisir que j’apprends que satisfaction a été donnée à maman pour l’allocation. Sois tranquille que dès que j’aurai quelque chose de la commune, je m’empresserai d’envoyer une lettre de remerciements. Depuis plusieurs jours déjà, en me promenant, je songeais à cette haie du champ que, étant inoccupé, je pourrais tailler. Je m’étais promis de le faire pendant la permission, mais je crains qu’elle soit encore lointaine et, qu’elle sera trop vite passée. Si c’est fait, tant mieux, je ferai autre chose. Je vais terminer, tout va bien. Ce soir, les cavaliers du 29e CRDI sont descendus, ils étaient là-haut avec nous. J’y ai reconnu un adjudant du 2e Hussards. Une batterie du 14e d’artillerie est aussi au repos parmi nous. Là, j’ai vu un ouvrier plombier qui travaillait chez Mur. Dans sa lettre, Blaisine me dit que J.M. Montaner est en permission agricole. Tant mieux pour lui, autant de pris. Je quitte la plume pour ce soir en vous embrassant à tous deux. Votre frère et beau-frère qui pense à vous. Léon
Lettre (3) de Madame Raymond Chalmandrier, Tarbes (Hautes-Pyrénées)
Bien cher Noguéro,
Je suis un peu en retard pour vous répondre.
Il ne faut pas m’en vouloir, le travail en est cause. Nous avons eu Généraux
pour l’apéritif dimanche. Il a eu trois jours de perm, à l’occasion de son
fils. Il a un peu maigri, il se plaint de la nourriture. D’ailleurs, je lui ai
donné votre adresse. Il a promis de vous écrire. Vous ne le reconnaitrez pas,
il a laissé pousser les moustaches. Nous-mêmes, nous ne l’avons pas reconnu
tout d’abord. Mais, tranquillisez-vous, sa femme ne s’est pas trompée. C’est le
principal.
Il fait un froid de loup depuis deux jours. Je
vous plains sincèrement à vous poilus qui couchez sur la paille. Il faut
espérer que cela finira bientôt.
Nous avons un travail fou et pas d’ouvriers.
Réglat nous a quitté pour rentrer au Midi où est déjà son père. Heureusement
que nous avons pu réquisitionner des militaires, cela nous arrange. Nous avons
de très grands travaux à la Penarroya à Pierrefitte ainsi qu’à Lannemezan.
Comme c’est pour la défense nationale, nous n’avons pas eu de difficulté. Jean
s’est lui-même réquisitionné.
J’ai commencé votre lettre hier, la finirai-je
aujourd’hui ?
Je suis sur la table au magasin et sers les
clients en même temps. Ne faites pas trop attention au style, car si je ne m’y
suis repris vingt fois…
Surprise, Jean vient d’avoir la visite d’un
militaire lui apprenant qu’il devait se rendre au 24e pour être
démobilisé. Il n’y comprend rien. Sur ma prochaine lettre, je vous dirai la
raison.
J’ai eu la visite de votre fiancée hier, je
lui ai dit que j’allais vous écrire. Elle est toujours bien gentille.
En attendant de vos nouvelles, veuillez agréer
notre bon souvenir.
Bonjour de Raymond.
Amitiés. Marcelle
CARNET
Jeudi 23
novembre 1939
[Huit jours se sont écoulés
depuis notre arrivée dans ce village d’Alsace aux maisons dont les murs ornés
de boiseries apparentes, aux prairies recouvertes d’arbres fruitiers et
quelques coteaux plantés de vignes, quelques houblonnières. Depuis notre
arrivée, nous en sommes au troisième cantonnement. En ce moment, nous sommes
chez un boulanger du village qui a bien voulu nous céder une grande pièce que
nous avons aménagée. Nous y avons installé un poêle qui ronfle du matin au
soir. Pour nous permettre d’écrire et afin de meubler un peu plus la pièce. Il
nous a surtout recommandé de la ménager, car dit-il c’est un souvenir de
famille, elle date de 1810.]
Reçue le 27 au soir,
réponse 28 matin
Chère
sœur et cher beau-frère,
Ce
matin, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir votre carte verte du 16 et la
lettre du 18 dans laquelle tu avais joint un papillon de presse. Hier, j’avais
reçu une carte d’Hélène qui était désolée de n’avoir pu aller vous pousser une
pointe avant ce jour.
Chère
sœur, je reçois régulièrement ton courrier en les numérotant. Ainsi, on peut
très bien se rendre compte si elles arrivent toutes.
Nous
sommes toujours au repos dans le même village. Étant chez des habitants très
gentils ; ce matin, ils ont mis à notre disposition un poêle pour chauffer
notre pièce, car depuis trois jours il fait très froid et la nuit il gèle dur.
Obier, avec un copain, nous avons aidé le boulanger à charger quatre tombereaux
de fumier. Il était heureux et le soir nous avons diné à leur table.
Ce
matin, notre lieutenant nous a donné 50 francs pour acheter un ballon. Le
capitaine nous en a donné autant. Avec peu de choses de plus par chacun de
nous, nous aurons de quoi nous procurer un bon ballon. Ainsi, nous ferons de
l’exercice en luttant contre le froid et le temps passera bien plus vite qu’en
restant inactifs. Je vais envoyer deux mots à maman et d’ici quelques jours
j’écrirai à M. et Mme Estrade. Depuis notre arrivée ici, je n’ai pas vu André
Artigue. Il est vrai qu’il est descendu
des derniers et doit cantonner au village voisin. Une batterie du 14e
RA est parmi nous, mais je crois bien que le commandant Palustran n’y est pas. Tu
me parles de la « quille », mais hélas ! ainsi que vache et chèvres,
nous avons tout abandonné à Siersthal.
Chère
sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui. Votre frère et beau-frère
qui ne vous oublie pas. Léon
J’avais
interrompu ma lettre pour me rendre à la distribution de thé bien chaud.
N’est-ce pas que nous sommes gâtés ?
Bien
chère maman,
Je
viens à l’instant de répondre à deux lettres de Léonie que j’ai reçues ce
matin. Nous sommes toujours au repos au même village d’Alsace. Depuis trois
jours, il fait un froid sec et il gèle beaucoup. Pour nous permettre de nous
réchauffer et afin de nous distraire, notre lieutenant et notre capitaine nous
ont acheté un ballon. Nous logeons chez un boulanger où nous avons aménagé une
pièce qui servait de débarras. Dans cette pièce, nous avons installé un poêle.
Ainsi, nous pouvons chauffer à volonté. Depuis que j’ai quitté l’autre village,
je n’ai pas vu André Artigue, mais ces jours derniers Gabas de Vielle-Aure m’a
dit qu’il l’avait aperçu : il cantonne au village voisin, à environ quatre
kilomètres d’ici. Joseph Mur, également, est descendu au repos ces jours
derniers, mais je ne sais où il est.
Chère
maman, j’espère que la présente lettre ira te trouver en parfaite santé. Tout
va bien, l’après-midi, au retour de promenade, nous buvons du thé bien chaud. Ton
fils qui t’aime. Mon meilleur souvenir à la famille Soulé. Léon
CARNET
Samedi 25
novembre 1939
[Il est sept heures, il fait
grand jour et voilà que l’on nous rassemble pour se rendre aux douches. À pied,
nous gagnons Neuwiller[4] à quatre kilomètres d’ici.
Là, les appareils de douches militaires démontables avaient été installés. Nous
passons donc à la douche et ayant quelques instants devant nous, nous en
profitons pour visiter un peu la petite ville sensiblement plus importante que
notre Weiterswiller. Nous visitons l’église Saint-Pierre et Saint-Paul dont
certaines parties datent du 11e siècle. Elle renferme, en outre, des
orgues riches en bois sculptés et aussi des statues anciennes. Nous reprenons
le chemin du retour vers neuf heures et demie et, à notre arrivée, nous avons
l’agréable surprise de trouver de la correspondance, du travail pour
l’après-midi. Après la soupe, j’ai fait la lessive et, ensuite, j’ai fait mon
courrier. Il est sept heures du soir, je termine mes écritures ; les
copains jouent aux cartes ; le poêle ronfle.]
Dimanche
26 novembre 1939
[Au dimanche 3 décembre, toujours
à Weiterswiller. Les jours se passent en deux parties bien distinctes :
réveil vers sept heures, surtout pas plus tôt. Ensuite, un peu de théorie en
attendant le courrier. Viennent, ensuite, l’heure du rapport et, ensuite, la
soupe. La matinée est passée. L’après-midi, nous sommes tout à fait libres et
pouvons jouer au ballon. Ces jours derniers a eu lieu un match de foot opposant
la CRE à notre compagnie, la CDT. La première nommée a remporté la victoire et
naturellement les prix, car la partie était officielle et rétribuée : 50
francs et quelques autres lots. J’assistais à ce match disputé dans un terrain
marécageux sur lequel les joueurs se déplaçaient très difficilement, glissant
parfois sur la boue à tel point qu’on eût cru qu’ils étaient sur des patins.
Gare à celui qui était proche et face au ballon lorsqu’un adversaire
tapait ; il était sûr, aveuglé par les éclaboussures de boue et d’eau, de
rester planté sur place pendant quelques instants : les jambes écartées,
les bras ballants à demi levés, faisant un tas de grimaces avant de reprendre
le sens du jeu. Les bandes molletières disparaissaient sous une épaisse couche
de boue qui, à certains, atteignait même les cheveux. Presque tous durant les
journées passées en première ligne étaient loin d’avoir été aussi crottés que
durant ce match. Ce n’est pas peu dire, vous pouvez le croire.]
Reçue le 30 à 5 h,
réponse le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
Voilà
trois jours que je ne vous ai pas écrit et que je n’ai rien reçu de vous.
Ce
matin, j’ai reçu deux lettres d’Hélène, une d’André qui me dit se préparer à changer
de patelin. J’ai aussi reçu une lettre et un colis de Toulouse. Je suis très
content du passe-montagne. Il me va très bien, est de teinte assortie à nos
effets et très chaud. Dans le colis : chocolat, biscuits, sardines à la
tomate, boîte de bonbons, un flacon alcool de menthe et sucre en morceaux. Je
me suis empressé de répondre à leur lettre en les remerciant de leur gentil
colis. J’ai également écrit à Hélène, j’espère qu’à ce jour elle aura été vous
rendre une petite visite ; il est vrai que ces jours passés, elles ont été
très occupées. Ces jours derniers, il a fait très froid. Hier matin, à sept
heures, nous avons été nous doucher au village voisin distant de quatre
kilomètres. Ayant effectué le trajet aller et retour à pied, il était dix heures
et demie quand nous avons rejoint nos cantonnements. L’après-midi, j’ai fait
chauffer de l’eau afin de faire la lessive (chemise, caleçon, chaussettes, deux
serviettes et plusieurs mouchoirs), le tout est presque sec étendu au-dessus du
poêle installé dans notre chambre qui ronfle toute la journée.
Ce
matin, j’ai été à la messe. À midi, nous avons eu un menu amélioré. Potage au
vermicelle, ragout de patate et viande, hors d’œuvre de saucisson, fromage et
petit entremets au chocolat au lait. Le boulanger chez qui nous logeons nous a
porté à midi un gâteau cuit au four. Hier matin, alors que nous n’étions pas encore
réveillés, il est venu nous allumer le poêle. Il est très gentil et parfois
nous lui donnons la main à faire quelques petits travaux.
Hier,
j’ai écrit chez Estrade. Je termine pour aujourd’hui dans l’espoir que la
présente ira vous trouver en parfaite santé.
Ce
matin, la température était radoucie aussi a-t-il neigé, plu, et maintenant le
vent souffle fort. L’hiver s’annonce. Votre frère et beau-frère qui vous
embrasse. Léon
Reçue le 1er
décembre, réponse le 02/12
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
viens de recevoir à l’instant votre carte lettre du 22. Je m’empresse d’y
répondre afin qu’elle bénéficie d’une levée. Hier, je vous ai envoyé une longue
lettre. Aujourd’hui, le temps est brumeux, mais beaucoup plus doux que les
jours précédents. Chère sœur, tu me demandes où j’en suis avec les chaussettes.
En ce moment, je porte les dernières chaussettes reçues. Hier soir, j’en ai
reprisé deux paires. Ce qui fait que j’en ai quatre paires de bonnes. Je ne
puis en mettre deux paires à la fois, car j’ai les souliers trop justes. Je
crois d’ailleurs que c’est de la bêtise d’en mettre deux paires. Cette vue
représente le village voisin où sont installées les douches militaires. Je
termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort. Le bonjour aux voisins. Léon
Bien
chère maman,
Deux
petits mots, simplement pour te dire que tout va bien. Nous sommes toujours au
repos au même village voisin de celui dont porte le nom la carte. Après la
pluie et un peu de neige, la température s’est radoucie. Je viens de recevoir
des nouvelles de Tarbes et hier de Toulouse. La santé est bonne, il ne me
manque rien. J’espère qu’il en est de même de toi. Chère maman, je termine pour
aujourd’hui en t’embrassant. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon
[1] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 549.
[2] Une note reprise
sur un des feuillets de Léonie fait état d’un « Cambot 62055 stalag III D
Berlin ».
[3] Colis composé
de : chaussettes, Gibbs, fromage, couteau, plumes, jambon, briquet, papier
et cartes, saucisson, 3 boites sardines, bonbons, chocolat, pierres à briquet.
[4]
Neuwiller-Lès-Saverne, Bas-Rhin.