1940
Janvier 1940
Rappel historique : Lundi 1er janvier 1940 : « Mobilisation générale en
Grande-Bretagne. » [1]
Reçue le 6, réponse le
7 à Cadéac
Chère
sœur et cher beau-frère,
Merci
à tous deux, à Louis pour le charmant minois que porte sa carte, mais hélas ! qui
est loin de remplacer une poupée naturelle. Merci aussi à toi, chère sœur, pour
ta longue lettre arrivée par le même courrier. Et pour ce matin, c’était tout.
Ce
matin, la température est plus douce, le ciel est assez clair, mais le soleil
ne réussit pas à percer.
Hélène
m’avait écrit également que Roger était bien pris pour les quelques derniers
jours qu’il avait à passer et qu’elle doutait de pouvoir vous emmener son
frère.
Je
recevrai, avec plaisir, les Républicains
envoyés. Je les lis assez souvent, car je connais des Tarbais qui le reçoivent
et, le soir, au foyer, nous nous le passons. Ceux du colis étaient amusants, je
m’étonne de ne pas te l’avoir dit – l’idée est passée entre les lignes, sans
doute.
Quant
au colis des patronnes, je crois vous avoir dit déjà que je l’avais reçu. Il
avait été expédié par la gare sous forme de colis agricole « conserves ».
Il
nous est très agréable, maintenant, avec le poste, d’aller passer de bons
moments au foyer – installé dans une salle de classe bien chauffée.
Je
viens de transmettre vos vœux à Massaly qui écrit à sa femme. Il est à côté de
moi et me charge, quoiqu’un peu tardivement, de vous transmettre les siens.
Quand
partons-nous ? Je n’en sais rien.
La
santé est excellente à l’exception de mes genoux qui ne me font plus de mal –
mais quand même – je continue de me faire soigner, la chaleur ne peut m’y faire
que du bien.
Je vous embrasse bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon
Bien
chère maman,
Toujours
du même village où notre repos se prolonge, je t’envoie ces quelques lignes
pour te dire que tout va bien. La santé est bonne, malgré les grands froids qui
persistent.
Voici
deux jours, j’ai reçu une gentille lettre de la famille Estrade à laquelle je
vais répondre sous peu. Je reçois de bonnes nouvelles de partout et espère que
la présente ira te trouver en parfaite santé.
Quant
à la permission, je ne crois pas l’obtenir avant les premiers jours de février.
J’aurais pourtant voulu être là pour le cochon, mais je doute fort qu’il puisse
attendre mon arrivée. Chère maman, je termine en t’embrassant bien fort. Ton
fils. Léon
Aux armées. Reçue le 9, réponse de suite.
Chère
sœur et cher beau-frère,
Deux
mots, toujours du même patelin, pour vous dire que ça va très bien. La petite
crise de rhumatismes est tout à fait effacée. Je suis un peu enrhumé, comme
tous d’ailleurs, mais rassurez-vous ce n’est rien, car ce matin, à la visite,
j’ai pris la température : 37°5, tout ce qu’il y a de plus normal. J’en ai
profité pour me faire mettre des ventouses et une bonne couche de teinture
d’iode. Il m’est très difficile de me faire reconnaître par les toubibs, car
j’ai une bonne paire de joues roses bien garnies et toujours le même sourire.
J’essaie, tout de même, d’amoindrir ma belle mine en laissant pousser une barbe
de plusieurs jours - (je ne me rase plus tous les 2 jours comme quand j’allais
voir Hélène) – je me fais raser 1 fois par semaine seulement par le coiffeur de
la compagnie. D’après un canard de ce matin, il paraîtrait que nous ne
monterons plus avant le 15 janvier. Tant mieux, autant de pris.
J’ai
reçu une longue lettre de chez Estrade. Par Hélène, j’ai appris que Jean était
venu remplacer son frère Roger. Ils ont pu se voir avant que Roger ne soit
parti. Quant à moi, par Massaly qui
depuis quelques jours est au bureau de la compagnie comme aide-comptable, j’ai
pu apprendre que j’étais 136e à partir (soixante-dix sont déjà
partis). Il en reste donc 66 encore et à raison de deux par jour, j’en ai
jusqu’à la première dizaine de février. Donc, dès à présent, vous voilà fixés
pour le pèle-porc, car je doute fort qu’il puisse arriver jusque-là. Hier, j’ai
envoyé une carte à maman.
Aujourd’hui,
la température est sensiblement plus douce, mais malgré cela, il fait encore
bien froid. Hier, le vin était gelé dans les barriques ; des boules de
pain étaient gelées. Afin de pouvoir le manger, il a fallu le mettre à
l’intérieur d’un four afin qu’il ne ramollisse pas.
Je
termine en vous embrassant bien fort à tous deux. Léon
Bien cher cousin,
Nous avons reçu ta lettre, laquelle nous a
fait grand plaisir de te savoir toujours en bonne santé. Il en est de même de
nous pour le moment.
Nous te remercions de tes bons souhaits. Comme
tu dis, il faut espérer que cette situation ne durera pas et nous souhaitons de
tout cœur que pour toi le bonheur vienne faire place à ce cauchemar que l’on
vit depuis quatre mois. Nous espérons que tu as toujours de bonnes nouvelles
d’Hélène ainsi que de Louis et Léonie. Nous en avons eu dernièrement. Je leur
écris ce soir.
À Toulouse, il ne fait pas froid. Après
quelques jours de grand vent très froid, la température s’est radoucie. Nous
pensons que tu es toujours au même village ; il nous tarde beaucoup de te
revoir. Enfin, la permission doit approcher et nous espérons que soit à l’aller
soit au retour, tu nous réserveras un jour ou deux. Cher Léon, ne t’en fais pas
et dans l’attente de te voir sous peu, Maman et Juliette se joignent à moi pour
t’adresser nos meilleurs baisers.
Ta cousine. Anna
Reçue le 11, réponse
le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre longue lettre du 1er janvier. J’espère qu’au moment
où vous recevrez la présente cette maudite grippe vous aura quitté. Il n’en est
pas de même pour nous qui sommes tous plus ou moins enrhumés. À part ça, tout
va bien. Il fait toujours froid, mais c’est à croire qu’on se familiarise avec
le froid car nous le supportons mieux. Il est deux heures de l’après-midi et je
viens de lire – 10° au thermomètre. Ce matin, nous avons fait une petite
promenade dans la neige, à travers le bois. Le soir, après la soupe, nous nous
rendons au foyer : c’est une salle bien chauffée où, en écoutant la T.S.F.
et en attendant les informations, nous jouons aux dominos et comme des gosses
regardons les images d’un tas d’illustrés qui sont à notre disposition. Hier
soir, nous y avons eu la visite du colonel accompagné de notre capitaine. La
salle était comble. Ils étaient heureux tous deux du succès qu’obtient cette
salle. Je reçois régulièrement des nouvelles d’Hélène. À son tour, elle m’a dit vous avoir présenté
Roger qui a été très heureux de vous connaître et vous trouve bien gentil. Chère
sœur, merci pour le calendrier qui était joint à votre dernière lettre. Tu me
dis également que Jean est à l’hôpital où est Juliette. Quel Jean ?
D’Anna, j’ai reçu une petite carte hier, mais
je n’ai pas répondu, car au bas elle avait mis : « lettre suit ». En effet, je vois que les voisins ne
s’intéressent guère à moi. Lorsque je serai là, il ne faudra pas qu’ils
essaient de m’approcher. J’ai reçu les deux derniers Républicains, peut-être te
l’avais-je déjà écrit. Vous donnerez bien le bonjour chez Mounard à Aurensan et
à tous ceux qui demandent de mes nouvelles. Ces jours derniers, j’ai également
reçu une lettre de Jourdes qui avait ses bottes pour rejoindre un point…
quelque part.
En
terminant, j’ai le plaisir de vous dire que le pourcentage des permissionnaires
étant augmenté depuis hier, il se pourrait que j’arrive vers le 25 courant. Ne
m’attendez pas avant.
Je
vous embrasse bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon
49e Régiment d’Infanterie, Compagnie de Commandement, 3e section,
Secteur Postal n° 30
Clouzet. Reçue le 11, réponse le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
profite de ce qu’un Tarbais, ayant comme moi fait le service au 126e
et étant de la même compagnie, va en permission pour vous envoyer ces quelques
lignes. J’ai reçu votre lettre du 4 ce matin.
J’espère que cette grippe vous aura quittée et que toi, chère sœur, tu
auras trouvé maman en bonne santé. Je te prierai de m’envoyer un mandat, comme
d’habitude, le plus vite possible.
J’espère
aller vous retrouver avant la fin mois. Je vous embrasse bien fort. À bientôt
de vous lire en attendant de vous voir. Léon
Bien
chère maman,
Par ce premier dimanche de la nouvelle année, je prends la plume dans l’espoir que la présente ira te trouver en bonne santé. Quant à moi, tout va pour le mieux. Il fait toujours très froid, mais, rassure-toi, je suis bien couvert. Nous avons la neige depuis plusieurs jours. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Louis et Léonie. En ce moment, alors que j’écris, elle doit être auprès de toi. Dans la chambre, je suis seul à écrire, pendant que deux copains dorment et qu’un troisième lit un livre devant le feu. Chère maman, je termine. Tout va bien, il ne me faut rien. Je t’embrasse bien fort. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon
Enveloppe ouverte par
l’autorité militaire. Reçue le 15 au soir, réponse le 16
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce matin la longue lettre écrite de Cadéac. Je vais donc après avoir
terminé la présente, envoyer deux mots à maman. Même sans nouvelles, je
l’aurais fait, car c’est tous les quatre jours que je lui écris. Je suis
heureux de la savoir en bonne santé. Je vois que je ne suis guère les lignes.
Je suis près du poêle ainsi qu’un autre copain ; nous écrivons sur les genoux :
il fait tellement froid que nous laissons la table de côté et pourtant nous
écririons plus à notre aise. Aujourd’hui ainsi qu’hier, le soleil brille mais
ne chauffe guère. Le temps est clair de temps en temps, entendons-nous, les
ronflements puissants et rageurs de nos avions de chasse qui effectuent des
vols de reconnaissance. Il fait très froid. La circulation automobile est pour
ainsi dire nulle à tel point que le car des permissionnaires ne vient plus. Ce
qui oblige ces derniers à faire une dizaine de kilomètres à pied pour se rendre
à la gare la plus proche. Les routes sont couvertes d’une épaisse couche de
verglas transparent sur lequel on marche très difficilement. Les chevaux ne
sortent plus depuis plusieurs jours. Beaucoup, à la suite de chutes ont dû être
abattus, tant de la batterie d’artillerie qui cantonne ici que de ceux de notre
régiment. Les pionniers sont chargés de répandre de la terre sur les
différentes rues du patelin. Malgré ce froid vif et persistant, il n’y a pas
beaucoup de malades. Pour mon compte, ça peut aller. Comme la plupart, je suis
enrhumé. Hier, j’ai reçu une longue lettre des Toulousaines qui comptent me
voir lorsque j’arriverai en perm. Si j’emprunte cet itinéraire, je tâcherai de
m’y arrêter. Oh, quelques heures seulement pour leur faire plaisir. Je compte
toujours partir vers le 25. Je voudrais que le temps dont vous jouissez
persiste jusqu’à mon arrivée. Alors, je me croirai sur la Côte d’Azur, car la
différence avec ici est énorme.
Chère
sœur, merci pour les journaux, mais à l’avenir, ne m’envoie pas Paris-Soir, il
passe tous les jours. Ce matin, j’ai également reçu une lettre de Généraux qui
est toujours au 18e ; d’Hélène toujours de bonnes nouvelles.
Cher Louis, j’espère qu’au moment où vous parviendra la présente, tu seras complètement rétabli de cet assaut de grippe. En ce qui concerne le réchaud, puisque ce n’est pas urgent, je verrai moi-même. J’espère que le Tarbais aura été vous trouver et que tu auras envoyé le mandat. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon
Cachet Poste aux
armées du 13/01
Cachet bureau Poste
Cadéac du 15/01
Bien
chère maman,
Je
viens de recevoir la longue lettre qu’a écrite Léonie et c’est avec plaisir que
j’ai appris que vous étiez en bonne santé à l’exception de Louis que la grippe
a surpris, mais j’espère que ce ne sera rien et qu’en ce moment il doit être
complètement remis. Quant à moi, ça va pour le mieux : un peu de rhume,
mais ici, qui ne l’est pas ? Il fait toujours très froid. Les routes sont
tellement mauvaises que la circulation des autos est presque arrêtée. L’autobus
qui venait chercher les permissionnaires ne vient plus depuis quelques jours,
ce qui oblige les soldats à faire une dizaine de kilomètres à pied pour
atteindre la gare la plus proche. On nous occupe à répandre de la terre dans
les rues pour recouvrir l’épaisse couche de verglas glissant. C’est avec plaisir
que je participerai au pèle-porc, mais je ne sais exactement quel jour je
partirai : je compte toujours vers le 25 de ce mois. Une trentaine encore
doit passer avant moi et ils ne partiront qu’à mesure que les autres rentrent.
Bien
chère maman, je m’arrête pour aujourd’hui. Ton fils qui t’aime et ne t’oublie
pas. Léon
Réponse le 20, carte
verte
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Il
est sept heures et demie du soir. Installé sur la table, de dos au poêle qui
ronfle à tel point qu’il est en partie rouge, me voici en plein courrier après
avoir fait une lettre pour Hélène, une deuxième pour André.
J’attaque
la présente. Je viens donc répondre à votre carte lettre du 9 que j’ai reçu
hier. Ce matin me sont parvenus les deux Républicains qui m’avaient été
annoncés. Hier, j’ai reçu une lettre de Généraux me disant qu’il avait pris sa
permission durant laquelle il avait travaillé. J’ai également reçu une longue
et gentille lettre de Madame Chalmandrier jeune. Elle me dit que le Sarrois,
Jacob, est en perm et travaille aussi. « À
quand la vôtre ? Bientôt, j’espère », me dit-elle. Elle m’apprend,
également, avoir eu ta visite au sujet des fourneaux qu’elle vient juste de
recevoir et voilà ce qu’elle écrit : « si
vous lui écrivez, dîtes-le lui, il se pourrait qu’elle ait votre lettre avant
que je n’aie sa visite ». Elle termine en me faisant entrevoir que
vous jouissez d’une température printanière. Qu’elle persiste au moins jusqu’à
mon arrivée, car ici, toujours pareil. Nos occupations : corvées de sable
pour le répandre sur le verglas qui recouvre les rues et corvées de bois pour
les roulantes. C’est marrant, nous partons dans la forêt où nous abattons des
chênes morts. Ces arbres étant fins (grosseur d’un timon de char) et très
hauts, on les scie en quatre et chacun emporte un morceau sur l’épaule. Les
voitures ne circulent presque plus ; les chevaux, n’en parlons plus et il
en résulte que nous faisons les ânes, si nous voulons que les fayots soient cuits.
Chère sœur, tu me demandes si j’ai besoin d’argent. J’espère que le copain tarbais
t’aura remis le petit mot et les cartes que j’y avais jointes. Je te demandais
un mandat que, certainement, tu as déjà expédié. C’est tout ce qu’il me faudra
jusqu’à mon arrivée. Je compte toujours partir d’ici vers le 25, car la cadence
des départs va bon train. Aujourd’hui, quatre sont partis. D’André Artigue, pas
de nouvelles ni de visites depuis plusieurs jours. Peut-être, nous
rencontrerons-nous à Cadéac. J’ai reçu,
aujourd’hui, une lettre de l’autre André et je crois bien que nous nous verrons
à Tarbes, sa permission étant avancée. Chère sœur et cher beau-frère, je
termine pour aujourd’hui dans l’espoir que la présente va vous trouver tout à
fait rétablis. Recevez mes meilleurs baisers. Léon
CARNET
Dimanche
14 janvier 1940
[Enfin, je retrouve le courage de
pouvoir continuer ces notes commencées l’année dernière. Que de faits depuis le
jour où j’avais écrit les quatre premières lignes de cette page. D’abord, cette
fin d’année 39. Noël, Jour de l’An. En ce jour de Noël, nous avons eu les menus
de l’ordinaire passablement améliorés. Le champagne était à l’honneur ainsi
qu’un cigare : cigare et champagne Daladier. Le soir, nous avons assisté à
la messe de minuit, gala à grand spectacle avec le concours de plusieurs
ecclésiastiques. Le 1er Janvier, également, notre menu était
amélioré. Ensuite, fait nouveau, la neige fait son apparition. Oh ! pas
beaucoup, une couche d’environ dix centimètres. Le temps s’étant mis au froid,
cette neige ne tarda pas à se transformer en glace qui recouvrant les routes
les a rendues impossibles à la circulation tant automobile qu’hippomobile.
Aussi, depuis plusieurs jours déjà, avons-nous deux occupations nouvelles, deux
métiers de plus à exercer : cantonnier et bûcheron. Cantonnier, car armés
de pelles-pioches et brouettes, nous nous rendons dans une carrière pour en
extraire du sable que nous répandons dans les rues du village afin de les
rendre moins glissantes, moins dangereuses. L’art du bûcheron, nous le
déployons en corvées de bois organisées par l’adjudant-chef. La circulation de
tout véhicule étant arrêtée, il nous faut approvisionner les roulantes en bois
de chauffage afin que les cuistots puissent faire cuire les pois cassés, le
riz, les fayots et, j’allais oublier, la bonne soupe qu’ils nous font,
heureusement. Depuis l’année dernière, nous avons aussi effectué quelques
promenades. Bouxwiller et Obermodern et entre autres l’excursion qui nous a
menés au château d’Hunebourg[2], propriété, parait-il,
habitée avant la Déclaration de guerre par un nazi. Dès les premiers jours de
septembre, il disparut laissant tout ouvert. Aussi, après être grimpés par un
escalier tournant composé de quatre-vingt marches au sommet de la tour d’où,
parait-il, par temps clair, on peut voir la cathédrale de Strasbourg, nous
avons visité la maison d’habitation récemment modernisée et richement meublée.
Les pièces se trouvant sous le toit étaient entièrement lambrissées sur les
côtés. Tout le long étaient installés de nombreux lits suspendus et étagés tout
comme un bateau, où, puisque nous sommes en guerre, à la manière des couchettes
superposées qu’on aménage dans les abris souterrains. Je dois dire aussi qu’une
auberge de la jeunesse était installée là et ces aménagements avaient dû être
faits dans ce but.]
Lundi 15
janvier 1940 : « Introduction des cartes
d’alimentation. »[3]
Reçue le 20 au soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
viens de recevoir ce matin votre lettre recommandée du 11 et aussi le mandat
qu’elle renfermait. Avant midi, je me suis rendu à la poste faire l’échange.
J’avais fait de la même façon pour le mandat que m’avait envoyé le Marseillais.
Je doute fort que la présente soit arrivée avant le passage de Clouzet. Si oui,
je prierai de lui dire de rentrer sans retard, car de grandes sanctions sont
prises à l’égard de tout permissionnaire rentrant avec du retard.
Pour
le moment, je n’ai besoin de rien, ou du moins me faire des caleçons, car de
ceux que j’avais emportés : les vieux sont troués, mais ne me les envoie
que s’il passe. Autrement, j’attendrai la permission. Dès ce jour, je suis en
mesure de vous dire que je ne sais quand je serai parmi vous. Depuis hier soir,
les permissions sont suspendues. Jusqu’à quand ? Je n’en sais rien. Il se
pourrait également que notre séjour, ici, ne se poursuive guère plus.
Ce
matin, j’ai également reçu les deux Républicains
et j’espère que l’article concernant les employés de la SNCF est à l’avantage
de Louis.
Je
souhaite que la présente aille vous trouver complètement débarrassés de la
grippe. Ici, le temps se radoucit de jour en jour, mais il gèle quand même
toutes les nuits. Donc, si ce cher Clouzet arrive, donnez-lui le bonjour de ma part
et trinquez ensemble à la santé de nous tous.
Je
termine en te disant que moi, je n’ai pas de golfs : à la distribution,
les miens étant pour ainsi dire neufs, je n’ai pas eu à les changer. Votre
frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon
Bien
chère maman,
Après
quatre jours de silence, je viens par ces quelques mots te dire que nous sommes
toujours au repos dans le même village. Le froid est moins violent que ces
jours passés, n’empêche que chaque nuit il fait de fortes gelées. Ce matin,
j’ai reçu une lettre de Louis et Léonie à laquelle je viens de répondre. Ils
ont été un peu grippés, mais cela est passé. Pour ma part, ça va très bien. La
santé est excellente. J’espère que la présente ira t’en trouver de même. Quant
aux permissions, elles vont un peu au ralenti. De ce fait, je ne sais
exactement quand j’arriverai. Dès que je serai bien fixé, j’en aviserai Léonie.
Depuis plusieurs jours, je n’ai vu André Artigue ni reçu de lettre de sa part. Peut-être, est-il en permission. Je termine pour ce soir en t’envoyant, chère maman, mes plus tendres baisers. Léon
Bien cher frère,
Hier soir, nous avons reçu ta lettre du 11 et
sommes heureux de te savoir mieux, nous aussi, ça s’améliore petit à
petit ; et nous voici de nouveau à la pluie. Peut-être là-bas aussi, ça
dégèlera un peu, pour vous faciliter les transports. Ça s’approche, aussi ne
fait pas d’imprudences pour arriver et, si tu peux, arrête-toi à Toulouse. Cela
dépendra de ton itinéraire. Élie doit passer une visite le 20, son frère est
réformé. Si tu peux, tu iras voir Hortense. Cambot aussi est en perme. Le
Tarbais passera vendredi. Tu sauras me dire si tu as reçu mandat. Bons baisers.
Léonie
Jeudi 18 janvier 1940 : « Les gouvernements suédois, danois et
norvégien proclament leur neutralité. » [4]
Reçue le 23 au soir,
réponse de suite
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
reviens par ces quelques lignes vous annoncer une nouvelle qui je crois sera
bien accueillie. Depuis aujourd’hui, les permissions reprennent cours. Reste à
savoir si le pourcentage sera le même qu’avant l’interruption. Si oui, je
compte être parmi vous dans les derniers jours du mois. Je reprends ma lettre
que j’avais quittée pour aller à la soupe. Le menu, toujours à peu près, de la
bonne soupe, pour ça, nous avons de bons cuistots, tout au moins pour la soupe.
Ensuite, un plat de lentilles dans lequel nageaient les portions de viande. Comme
je rejoignais notre demeure, j’y ai trouvé le patron, le boulanger qui venait
me demander si je pouvais lui arranger une lampe. Après avoir pris couteau et tournevis, je
descends. C’était peu de chose, revisser un bouton et remonter une poire. Un
travail de quelques minutes. Sitôt terminé, il m’a fallu trinquer avec lui et
le grand-père. Nous avons déquillé
quatre petits verres d’eau de vie maison (schnaps) et ensuite un bol de café au
lait avec petits pains et beurre et enfin quelques petits gâteaux secs de leur
fabrication. Ils sont très gentils pour nous – aussi le sommes-nous chaque fois
que l’occasion se présente. C’est comme pour le bois : depuis deux mois
que nous sommes là, le poêle ronfle du matin au soir et, pour le moins, nous
lui avons brûlé trois à quatre mètres cubes de bois. Pauvre Louis ! Si
nous avions tapé sous ton hangar, tu verrais cette trouée. Parfois, le fourneau
est rouge et même une partie du tuyau. Maintenant, il est sept heures du soir
et il ronfle le « monsieur ». Avant de nous coucher, nous chauffons
le plus possible, car la nuit il gèle dur et le matin, vers trois heures,
quoique bien couverts, le froid parvient à traverser capote, toile de tente et
couvertures.
Dans
la nuit du 16 au 17, nous avons eu une nouvelle chute de neige d’une épaisseur
d’environ dix centimètres. Aujourd’hui, il faisait beau, mais toujours très
froid aussi ai-je passé la majeure partie de la journée au chaud lisant livres
et journaux.
Hier,
j’ai reçu une lettre d’Hélène me disant que sa maman était malade et qu’Élise
était auprès d’elle. Donc, chère sœur, ne t’étonne pas si de quelques jours tu
n’as pas sa visite, car, seule, elle doit certainement avoir moins l’occasion
de sortir. Hier, également, j’ai reçu une lettre de Blaisine. Jean de Matéou
était en perm ainsi que François Sens, gendre Castet (charpentier) et Guillaume
Gouaux. François Dordan passait le conseil de révision.
Chère
sœur, je crois avoir assez bavardé. Je termine en vous embrassant de tout cœur
à tous deux dans l’espoir de le faire sous peu de plus près. Votre frère et
beau-frère qui vous aime. Léon
Bien
chère maman,
Après
quelques jours de silence, je viens par ces quelques lignes t’annoncer ma
proche arrivée en permission. Je compte partir vers le 25. Donc, je crois que
nous pourrons tuer le cochon à la fin du mois.
Hier,
j’ai reçu de bonnes nouvelles de Louis et Léonie. Pour ma part, ça va pour le
mieux et j’espère que le présent petit mot ira te trouver en parfaite santé. Dans
l’attente, si espérée de te voir, reçois chère maman les meilleurs baisers de
ton fils. Léon
(à 3 heures)
Bien chère maman,
Deux mots, seulement, pour vous dire que nous
avons, ce matin, une jolie couche de neige et je m’imagine qu’il doit y en
avoir encore bien plus à Cadéac. Alors, comme je prévois, avec la petite bise
qu’il fait, que les routes seront mauvaises, je ne me hasarderai pas à prendre
le train demain matin. Surtout, qu’à moins de contre-ordres vous aurez le
plaisir de nous avoir - tous trois - dimanche, car Léon pense partir le 25 pour
être, peut-être ici, samedi soir. Mais, je pense qu’on pourra tuer dimanche,
quand même. Vous avertirez Monsieur Estrade, si vous en voyez l’utilité.
Faites-moi faire deux mots ou s’il vous faut quelque chose. Je voudrais acheter
les oies jeudi prochain. Espérons que le temps s’arrangera. Louis a repris son
service, hier soir. Sommes tous deux en bonne santé et souhaitons que la
présente vous en trouve de même. Le bonjour à la famille Soulé. Nous vous
embrassons. Louis et Léonie
Reçue le 26 à 17 h. et
lui à 20 h.
Chère
sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre carte du 16 ainsi que les deux Républicains. La nuit dernière,
la neige tombait à nouveau atteignant ce matin une épaisseur de 20 à 25
centimètres. Le froid persiste toujours aussi passons-nous la majeure partie de
la journée dans notre cantonnement. Ce matin, pas mal de permissionnaires sont
rentrés. Quatre partent ce soir et je compte bien être parmi vous d’ici
dimanche. Je ne puis dire exactement quand je partirai, car ici, on ne peut se
prononcer. J’espère passer quelques heures à Toulouse : je leur ai déjà
annoncé mon arrivée probable. Ainsi, nous pourrons exécuter le cochon dans les
derniers jours du mois. Je viens d’envoyer un petit mot à Hélène. Hier, j’ai
reçu une petite lettre de Roger dans laquelle il me souhaitait de passer une
bonne permission. Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui en
vous embrassant bien fort. À bientôt de vous voir. Léon
Reçue le 27
(samedi)... et était là la veille (26)
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
viens par ces quelques lignes répondre à votre gentille carte du 20 que j’ai
reçu ce matin. Le Tarbais devrait être arrivé depuis ce matin, mais j’ai
compris que leur train avait neuf heures de retard. Quant à mon départ, il
dépend chaque jour des permissionnaires qui rentrent : ainsi, aujourd’hui,
il en partira moins que si les sept ou huit qui devaient rentrer ce matin
étaient arrivés assez tôt. Donc, malgré tous les renseignements que peut me
donner Massaly, je ne sais encore si je partirai jeudi (25) ou vendredi (26).
Si je pars jeudi, je serai à Tarbes dimanche matin ; si c’est vendredi, je
n’arriverai que lundi matin, naturellement en passant une demi-journée à Toulouse.
Chère sœur, tu écris à maman que nous serons là dimanche. Ce ne serait guère
possible sauf si j’arrive le dimanche matin par le train de quatre heures.
J’espère
que vous aurez reçu mes deux précédentes lettres des 18 et 21 d’après
lesquelles vous ne pouviez compter fermement sur mon arrivée. Ce matin, avec un
camion d’approvisionnement, j’ai été faire un petit tour. Dans une petite ville
où nous sommes passés, je suis rentré dans un magasin, et je vous réserve une
petite surprise. D’hier matin 7 heures à la même heure ce matin, j’étais de
garde, pour la première fois. Il neigeait et faisait très froid, quelque chose
comme – 25°, pendant la nuit. Tout irait bien, mais, que ces quelques derniers
jours sont longs à passer : je commence déjà à me préparer et, soyez sûrs
que je ne serai pas en retard. En dormirai-je la dernière nuit ? Je
termine en vous embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère.
Léon
P.S.
Avec le vif désir de vous rejoindre dimanche matin 28 ou lundi matin 29.
Mercredi
24 janvier 1940
lettre (--) 92
Bien chère maman,
Nous avons reçu votre lettre hier matin et
puis vous dire que je ferai le nécessaire pour l’huile et le café. On en trouve
toujours un peu, mais ces jours-ci, je ne suis pas sortie avec ces vilaines
routes, le soleil n’est pas assez chaud pour tout dégeler. Certainement qu’il
nous faudra aller demain à pied au marché, peut-être pour ne pas acheter. Avec
ce temps, les marchés ne sont pas sûrs.
Sûrement que vous aurez eu des bonnes nouvelles
de Léon. Nous en avons eu hier soir. Mais voilà, comme les permissions avaient
été arrêtées, il ne pense partir que vers la fin du mois. Alors encore rien de
fixé. C’est pour cela que j’ai préféré vous écrire, pour ne rien préparer
encore pour dimanche, cela pourrait arriver, comme à certains, venir nous
surprendre. Dans ce cas, je vous enverrai un télégramme. Autrement, comptons
pour l’autre dimanche, car Louis doit toujours reprendre le lundi soir. Enfin,
maintenant, il ne saurait tarder ; bien sûr, les mariés passent avant. Alors,
pas de frais pour dimanche, car n’étant pas sûre de venir, si j’ai le salé à
faire cuire, mais si je peux, je viendrai. On s’arrangera, mais ce n’est pas
sûr. Je vous quitte de plume. Louis se joint à moi pour vous embrasser. Le
bonjour à la famille Soulé.
Hier soir, j’ai écrit à Léon et lui dis
d’écrire sitôt qu’il saura quelque chose. Il faut compter deux nuits et 1 jour
½ pour venir. Il en vient à midi ou la nuit. Je vais commencer à lui préparer
le lit et effets.
Bons baisers. Soignez-vous et ne prenez pas
froid. Léonie
Jeudi 25 janvier 1940 : Les Pays-Bas réaffirment leur politique de
neutralité.[5]
[1] « Chronique du 20ème siècle »,
op. cit.,
p. 552.
[2] Il s’agit du
château d’Hunebourg, propriété en 1930 de Fritz Spieser.
[3] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 552.
[4] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 552.
[5] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 552.