Octobre 1939
CARNET
Dimanche
1er octobre 1939
[Le matin au réveil, la pluie :
sombre dimanche en perspective. À neuf heures, nous avons assisté à la
messe ; à onze heures, la soupe. Aussitôt après, malgré les caprices de
monsieur le temps, bon nombre prennent la route de Phalsbourg dans l’intention
d’aller se payer un copieux repas dans un bon restaurant. Quant à moi qui ne
suis pas trop partisan de parcourir des kilomètres sous la pluie, je me fourre
dans la cabine d’un camion de la compagnie qui stationnait devant notre
cantonnement et là, je me suis mis à recoudre quelques boutons. J’étais trop
tranquille, au sec, au chaud, lorsque tout à coup le chauffeur s’amène en me
disant : descends vite, on charge et on part ! J’obéis, gagne notre
chambre – si on peut parler ainsi – où par l’intermédiaire d’un copain je
prends connaissance du message reçu de la DI[1] :
À partir de ce moment, quartier consigné, montage des sacs, soupe à quinze
heures, en tenue pour seize heures. Les
copains qui faisaient route vers les environs, rattrapés par les plantons
cyclistes ou motocyclistes, rebroussèrent chemin afin de préparer leur barda. À
la nuit tombante, nous quittons Danne en direction de Saverne. Après avoir
marché et parcouru deux kilomètres, nous nous arrêtons en plein brouillard
suivi d’une forte pluie fine et là, nous avons attendu durant deux heures la
caravane composée de quatre-vingts autobus parisiens réquisitionnés qui
devaient nous transporter non loin de la ligne Maginot. Le voyage fut assez
long, car de onze heures à quatre heures du matin, nous avons circulé tous feux
éteints. À la descente des bus, nous nous trouvons en pleine lande. Toujours
sous la pluie, nous mettons sac au dos, faisons environ deux kilomètres et
arrivons à Rohrbach-Lès-Bitche. Le village ayant été évacué, nous cantonnons
dans des maisons désertes de leurs habitants, mais ayant gardé leur mobilier,
leurs bibelots. D’autres soldats nous avaient précédés ; ils avaient, à
coup sûr bien fêté leur départ de ce cantonnement, car, dès que nous avons
passé les grandes portes de la grange que nous devions occuper, à nos yeux est
apparue une table de fortune faite avec des futs sur lesquels étaient posées de
grandes planches, de longueur respectable, environ douze mètres, sur lesquelles
se dressaient, pour le moins, soixante bouteilles de mousseux, vides
naturellement.
Tout y était passé, peu leur
importait qui les remplacerait. Après avoir roupillé à poing fermé jusqu’à sept
heures et demie, nous nous sommes mis en devoir d’aménager un peu notre
cantonnement, nos lits.]
CARNET
Lundi 2
octobre 1939
[Ce matin, ayant trouvé de l’eau
à discrétion, j’ai fait grande toilette et ensuite la lessive. Maintenant,
ayant reçu l’ordre de se tenir prêt, nous attendons, regrettant d’avoir si bien
aménagé notre cantonnement pour en jouir si peu. J’attendrai, nous attendrons,
il est quatre heures moins cinq dit un copain.]
Carte des mouvements et missions effectués sur le secteur de Rohrbach
Reçue le 07/10,
réponse de suite
Chère
sœur et cher beau-frère,
Hier
après-midi, sitôt avoir reçu votre lettre et votre colis, et aussi après y
avoir répondu, un ordre est arrivé ; être prêts à partir d’un moment à
l’autre ; soupe à 16 heures. Nous avons quitté notre cantonnement à la
nuit tombante et nous sommes éloignés d’environ deux kilomètres du village. Là,
après avoir attendu avec tout notre barda pendant plus de deux heures sous une
pluie battante, des autobus parisiens réquisitionnés sont venus nous prendre. Depuis
onze heures, nous avons voyagé jusqu’à 4 heures du matin. À nouveau arrêtés en
pleine brousse, nous avons eu à marcher un peu plus pour rejoindre nos nouveaux
cantonnements dans un village évacué. Je ne sais pour combien nous sommes là,
pour très peu de temps sans doute, après une étape de plus.
Tout
est calme, tout va bien, la santé aussi. J’ai commencé à déguster le jambon
avec Marsales. Aujourd’hui, j’ai fait la lessive et me suis fait inscrire au
bureau pour le remboursement des lainages, ils n’étaient pas neufs, mais,
système D. Je termine pour aujourd’hui – vous embrasse bien fort. Léon
À
mesure que vous m’écrivez, indiquez-moi la date d’expédition des lettres que je
vous ai envoyées afin que je sache si elles arrivent toutes.
CARNET
Mercredi
4 octobre 1939
[Nous sommes toujours là. Il est treize
heures, nous venons de manger. Les uns écrivent, les autres jouent aux cartes, d’autres
surveillent une marmite où cuisent des pommes pour faire de la compote. À midi,
nous avons mangé des pommes cuites au four. Tout le groupe téléphoniste y
prenait part. Hier, sont descendus au repos plusieurs régiments : le 126e
RI de Brive, le 32e RI de Tours, le 107e RI d’Angoulême,
le 214e d’artillerie. Pendant la majeure partie du temps passé en
ligne, ils ont eu à supporter la pluie. Aussi, étaient-ils crottés jusqu’au
haut du casque, de circuler et stationner dans les boyaux. L’épaisseur de la
couche de boue sur leurs jambes était telle qu’on était à se demander s’ils
avaient ou des guêtres ou des bandes molletières. Leur fusil eut pu se
confondre avec une bûche de bois qu’on aurait roulée dans la boue. En outre,
leur visage disparaissait sous une barbe de trois semaines. L’un d’eux portait
un casque percé par un éclat d’obus : un autre, un casque allemand.
Quelques-uns racontaient leurs aventures, leurs chances. Beaucoup ramenaient
des fétiches récoltés là-haut : un ours (jouet d’enfant) au bout du fusil,
des bérets, bonnets de laine de couleurs variées ainsi que cache-nez, foulards
et tricots. D’autres avaient attaché aux attelages chiens, vaches et chèvres
qui suivaient difficilement la cadence des chevaux. Alors que nous étions au
salon, transformé par nous en salon de correspondance, mes camarades me
quittent pour aller installer une ligne téléphonique.]
Reçue le 09/10,
réponse de suite (Louis)
Chère
sœur et cher beau-frère,
Je
vous ai écrit hier d’ici, Rohrbach-lès-Bitche, en Moselle, croyant que nous
partirions hier soir. Le départ a été retardé de 24 heures. Nous partirons
certainement ce soir, mais ne sais nullement dans quelle direction ni par quel
genre de locomotion ; à pied si nous montons en ligne ou tout autrement si
nous avons à gagner un autre point. Hier, sont descendus au repos plusieurs
régiments qui étaient en ligne depuis environ trois semaines : le 126e
RI de Brive, le 32e RI de Tours, le 107e RI d’Angoulême
et le 214e d’artillerie de Toulouse. J’écris de la salle à manger de
la maison dont nous occupons les dépendances. À la cuisine, le fourneau ronfle,
car une grosse bassine cuit des pommes pour faire de la marmelade. À midi,
chacun des 25 téléphonistes a mangé une pomme au four, c’est pour améliorer
l’ordinaire, qui est heureusement bon. Au salon, quelques camarades jouent aux
cartes.
Je
termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort. Au même moment, notre
sergent qui a fait cuire les pommes demande si on lui a gardé sa part :
heureusement que oui. Baisers. Léon
Carte postale d’Anna Tissinier, cousine germaine de Léon.
Bien cher cousin,
Nous avons reçu la jolie carte que tu nous as
adressée de Bayonne ainsi que la carte lettre et avons vu avec plaisir que ta
santé était bonne.
Je puis t’en dire de même de nous quoique nous
ayons été fortement grippées, Juliette et moi, mais ça va mieux. Nous avons eu
des nouvelles de Léonie à qui je dois répondre tout à l’heure.
Je t’adresse une carte espérant que tu la
recevras plus vite qu’une lettre ; je t’écrirai plus longuement la
prochaine fois.
Cher Léon, écris-nous souvent, ça nous fera
plaisir et surtout ne t’en fais pas ; ce malheur ne durera pas, ne peut
pas durer.
Toute la famille, sans oublier Marcelle, se
joint à moi, pour t’adresser nos plus affectueux baisers.
Ta
cousine.
Anna
Vendredi 6 octobre
1939 : « 10 572
soldats ont été tués depuis le début des offensives sur le front occidental. »
[2]
CARNET
Vendredi
6 octobre 1939
[Que de choses se sont passées
depuis deux jours. Mercredi après-midi, nous nous sommes régalés avec des frites
préparées par nous-mêmes ; nous avons également dégusté un bon café
maison, il y en avait eu peu mais il était fameux. Quelques instants après, il
nous fallait partir. Peu nous importait, nous avions bien mangé, nous pouvions
supporter une marche de quelques kilomètres. Nous en avions quatre à faire,
nous les avons faits comme une promenade, car nous avions trouvé un petit
charreton à quatre roues, très employé dans cette région, sur lequel nous avons
chargé nos sacs. Deux tiraient, deux autres suivaient derrière. En ce moment,
nous sommes dans un petit village. Petit-Réderching, aux abords immédiats des
lignes fortifiées. Dans l’après-midi, avec deux copains, nous sommes montés sur
un coteau. Devant nous, des barbelés, des casemates surmontées de tourelles
d’acier. Derrière nous, des pionniers qui creusaient abris, boyaux.]
Chère
maman,
J’ai
reçu aujourd’hui ta lettre du 26 septembre. Je l’attendais avec impatience, car
c’était la première qui devait m’arriver de toi. Chère maman, je sais très bien
que tu ne peux répondre à toutes mes lettres : je ne te le demande pas non
plus, car Léonie me donne assez souvent de tes nouvelles. Cela ne m’empêchera
pas de t’envoyer quelques lignes chaque fois que je le pourrai. J’ai reçu un
colis de Léonie. Pour le moment, je n’ai besoin de rien. De l’argent, il ne
m’en faut pas non plus, car on ne trouve rien à acheter - tout étant fermé - à
l’exception d’une boulangerie. Je termine pour aujourd’hui. Le bonjour à la
famille Soulé. Bons baisers de ton fils. Léon
CARNET
Samedi 7
octobre 1939
[Il est huit heures du soir,
après avoir passé deux jours dans ce village, nous le quittons toujours en
direction inconnue. Après avoir chargé nos charretons, nous partons et après
avoir parcouru de sept à huit kilomètres, nous traversons le petit village, je
dis petit – c’est une façon de parler –, car dans la nuit, nous ne pouvons
juger de son importance : ce village s’appelait Frohmuhl. À la sortie du
village, une bifurcation, une route suivant le bas de la vallée ; la
deuxième, celle de droite porte un panneau sur lequel, sous le faisceau d’une
lampe de poche, nous pouvons lire Bitche, côte 12 %. Nous redoutions cette
côte, heureusement qu’après un instant de halte, nous prenons la route de
gauche et après avoir parcouru quelques centaines de mètres, nous faisons cette
fois une halte de plusieurs minutes. Nous repartons sous un léger brouillard,
traversons une zone soi-disant dangereuse. Donc, colonne par un, pas de bruit,
pas de cigarettes. Quelques instants après, insensiblement, la pagaille
recommence, car à deux ou trois de front, on marche mieux, on marche mieux, on
cause. Nous traversons un petit pont laissant à notre rive droite une autre route
et faisons une deuxième halte. Encore quatre kilomètres et nous arrivons à
Weiskirch. Il était temps, car nos pieds étaient légèrement échauffés : qu’avaient
dû prendre nos camarades qui se sont appuyés les quatorze kilomètres le sac au
dos. Après avoir attendu des ordres, nous rentrons à l’intérieur de la maison
devant laquelle nous étions en stationnement. Après avoir fait la
reconnaissance des lieux, nous prenons place dans un grenier à fourrage. Nous
répandons ce dernier aussi uniformément que possible et chacun prend place.
Sitôt après, à la lueur d’une bougie, nous éventrons une boîte de pâté et, à
quatre, nous cassons la croûte. Là-dessus, on se couche et vu notre fatigue, ne
tardons pas à nous endormir. Le lendemain, à la pointe du jour, notre lieutenant
vient faire le réveil en donnant l’ordre à un atelier de se préparer. Comme
c’était le tour du mien, du nôtre ; nous nous préparons. Nous avions à
relier le P.C. du colonel au central PPC exploité par le génie et installé par
ce dernier dans d’excellentes conditions : un abri creusé dans un petit
bois de sapins. Cet abri fait de tôles d’acier cintrées était entouré de sacs
remplis de terre et encore recouverts de plus d’un mètre d’épaisseur de terre
et cailloux. Bref, très bien dissimulé et capable de résister aux
bombardements. Le PC du régiment était installé à quelques dizaines de mètres
de là dans un moulin.]
CARNET
Dimanche
8 octobre 1939
[Vers huit heures, nous avons
assisté à la petite chapelle du village à une messe. Notre capitaine était servant
et nous expliquait les différentes phases, parties dont est composée une messe.
L’après-midi, en compagnie d’un caporal téléphoniste, nous nous sommes rendus à
travers champs au village voisin à Epping rendre une visite au champ de repos
des trente-deux héros du 126e RI qui nous avait précédés dans nos
positions. Parmi eux, quelques sergents, les autres simples soldats. Ensuite,
derrière une maison, nous avons découvert ce qui avait été leurs armes. Une
d’entre elles avait la crosse traversée de deux balles et était fortement
écaillée par deux ou trois autres et à coup sûr le pauvre gars qui la tenait
dans ses mains n’a pas dû souffrir longtemps.
De retour au cantonnement, nous
nous mettons en devoir d’améliorer un peu nos positions, et pour ce,
transférons notre dortoir dans une étable assez spacieuse aux murs blanchis de
chaux. Il y avait suffisamment de place pour nous tous, car nous sommes
vingt-cinq téléphonistes. Ensuite, avec des tables de fortune, nous
transformons la cuisine en réfectoire. Le fourneau ronfle et nous faisons
quelque peu de cuisine dans la mesure de nos moyens. En ce moment, les
copains font les charcutiers. Ils viennent de tuer trois petits porcelets
d’environ deux mois et demi qu’ils sont allés quérir ce matin, tout près des
premières lignes, à six kilomètres d’ici. Ils ont également porté quatre têtes
de volaille, ce qui porte notre basse-cour à onze têtes. Hier, nous avons eu
une fausse alerte au début de l’après-midi. Nous avons monté nos sacs prêts à
partir. Un tir d’artillerie a suivi, car on présumait une attaque de chars
allemands. Nos éléments avaient déjà pris des dispositions pour leur repli
lorsque nous apprîmes que c’était un bruit mal fondé et les cantonnements
reprirent leur calme habituel et nous partions armés de nos outils creuser des
tranchées de résistance. Si nous avions eu à reculer, c’est bien à regret que
nous aurions quitté cette demeure, car il nous aurait fallu abandonner les fayots
que nous avions sur le feu et que nous ne voulions pas préparer pour les
boches. Nous avions eu chaud.]
Reçue le 13/10,
réponse le 14 au soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce matin votre carte du 1er écrite de Cadéac. J’étais à ce
moment avec les copains occupés à améliorer un abri souterrain. La plus grosse
partie avait été aménagée par nos prédécesseurs, des copains passés avant nous,
qui sont certainement en arrière au repos. Je vous écris d’un tout petit
village appelé Weiskirch.
Village de Weiskirch (Clichés
transmis par Rémy Seiwert, DR)
Dans
l’après-midi, nous sommes allés au village voisin où reposent déjà une
trentaine de gars du 126e RI qui est descendue au repos il y a
quelques jours. Parmi eux, deux lieutenants, quelques sergents et des soldats.
Je reviens dans notre cantonnement où nous sommes très bien.
Nous
couchons tous, les 25 téléphonistes, dans une grange sur une épaisse couche de
paille portant encore le grain, car rien n’a pu être dépiqué et une grosse
partie des gerbes sont encore sur les pentes en train de pourrir. Nous nous
sommes installés dans la petite cuisine (4mx4m). C’est là que nous prenons nos
repas. Nous avons aménagé des tables sur des tréteaux et tous les 25 nous
mangeons là. Le fourneau ronfle, nous faisons quelques petits extras. Hier soir
du café, des patates, des pommes au four, des pommes en compote. Nous avons
même à la grange, dans une petite cage, 6 petits poulets que nous ferons un
jour en sauce avec des pommes de terre, ainsi il y en aura pour tous. Du fruit,
il n’en manque pas : prunes, pommes, noix, poires. Les bataillons de notre
régiment sont en ligne, mais ça va tout doucement, au ralenti. Je vois que nous
sommes là pour quelques jours, sauf attaques brusques de l’ennemi. Tout va
bien, tout est calme. Bons baisers. Léon
CARNET
Mardi 10
octobre 1939
[Je termine par ces quelques mots les deux pages qui précèdent pendant
que se dépècent les trois petits cochons. Il était trois petits cochons qui ne
sont plus.]
Reçue le 16/10
Bien
chère maman,
Deux
mots pour te dire que j’ai reçu voilà deux jours la carte que Léonie m’avait
envoyée de Cadéac le 30 septembre. Nous sommes cantonnés dans le village de
Weiskirch à quelques kilomètres des premières lignes où se trouvent le gros du
régiment ainsi que l’artillerie. Tout est très calme – quelques canonnades
seulement sans réponse de l’ennemi. Nous sommes dans une maison abandonnée. Nous couchons sur la paille et avons aménagé
la cuisine en réfectoire. Nous avons un fourneau où nous faisons quelques
extras suivant nos moyens et qualités culinaires. En ce moment, nous faisons
cuire trois porcelets d’environ deux mois ½. Nous avons dans une cage de
fortune 11 têtes de volaille. Du blé, nous en trouvons suffisamment pour leur
donner à manger. Pour nous, nous ramassons des patates, des choux, des fruits.
En plus de ça, nous avons les repas de la roulante. Vous pouvez en déduire que
nous ne sommes pas à plaindre, loin de là. Chère maman, ne t’en fais pas pour
moi. Ton fils qui t’aime et ne t’oublie pas. Léon
Lettre-carte (1re) de Madame Raymond Chalmandrier de Tarbes
où Léon était employé comme monteur électricien au moment de la Mobilisation.
Cher Noguéro,
J’arrive
un peu tard pour vous remercier de votre aimable carte. Excusez-moi, car vous
devez savoir que sans Jean nous sommes un peu désorientées ma belle-mère et
moi. Nous avons eu de vos nouvelles par votre sœur qui d’ailleurs nous a donné
votre adresse. Daucla nous a envoyé une carte de Champagne, il paraît qu’il se
plaint de la faim et du froid, nous a dit sa femme, il est vrai qu’il est resté
quelques jours dans un bois, et le ravitaillement était très difficile. Vous parlez s’il devait rouspéter, ça ne
devait pas être le dernier. Jourdes est encore ici, je crois qu’il a trouvé la
bonne gâche étant seul électricien au 24e, on le garde pour l’entretien. Quant à Généraux, je ne sais rien,
sa femme attend un bébé, d’un moment à l’autre, mais il y a quelques jours que
je ne l’ai vue.
Jean est toujours au Parc, il boulonne comme
un nègre, enfin tant qu’il sera ici il ne faut pas se plaindre. Vous êtes au
même secteur que le neveu Raoul Carmouze, il fait partie de la 13e
compagnie de pionniers.
Depuis quelques jours, il fait un froid de
loup, le Pic-du-Midi est couvert de neige. Il faut souhaiter que l’hiver ne
soit pas trop rude et que vous ne souffriez pas trop du froid.
Donnez-nous quelques fois de vos nouvelles,
cela nous fera plaisir.
Amical souvenir de
nous tous.
Marcelle
Mardi 11 octobre 1939 :
« France, Édouard Daladier repousse
les propositions de paix d’Adolf Hitler. » [3]
Moulin
Eschviller (Cliché
Rémy Seiwert, DR)
Reçue le 17/10,
réponse le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
Je
reçois à l’instant votre carte du 4 courant. J’ai également reçu votre carte de
Cadéac à laquelle j’ai d’ailleurs déjà répondu.
J’ai
passé plusieurs jours sans nouvelles d’Hélène. Depuis, j’en ai reçu deux dont
une ce matin. Je m’étonne qu’elle ne reçoive plus de lettres de moi, car je lui
écris assez régulièrement.
Voilà
deux jours, j’ai écrit à Toulouse. Si vous écrivez à Élie et Hortense,
donnez-leur le bonjour de ma part. Ici, nous avons le temps à la pluie et ce
n’est guère intéressant pour les hommes des bataillons qui sont en ligne, dans
la boue. André Artigue doit être parmi le nombre, car je ne l’ai pas revu
depuis Bayonne. Le Lourdais n’est pas celui de la photo, c’est un garçon de
café parisien très gentil d’ailleurs et qui fait partie du même atelier
téléphonique que moi. Nous sommes toujours au même endroit. Nous couchons
toujours sur la paille et faisons toujours quelque jeu de cuisine : les
trois porcelets sont presque mangés. Nous avons douze têtes de volailles. Nous
tendons des lacets pour les lièvres. Tout va bien, je n’ai besoin de rien.
Chère
sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien
fort. Dans la prochaine, je vous enverrai une autre photo. Le bonjour, si vous
le jugez utile, aux voisins de Cadéac ainsi que chez Bordenave et L. Sabathier.
Léon
CARNET
Vendredi
13 octobre 1939
[Achetez un dixième. Hélas, ici, pas moyen d’en trouver. Ce serait une occasion pour soulager notre porte-monnaie, car si cela continue, il ne va guère se vider.
Depuis mardi, secteur calme
jusqu’à hier soir. Avant-hier soir, seulement un atelier est parti relier GR
Justin : 28e groupe de reconnaissance d’infanterie au central
Nicolas. Nicolas, en première ligne, à quatre cents mètres seulement de
l’ennemi. Cet atelier, parti à dix-huit heures jusqu’à minuit : ils
étaient légèrement crottés et exténués. Hier, jeudi, dans l’après-midi, mon
copain le Lourdais Massaly et moi, recevons l’ordre de notre sergent
téléphoniste de nous mettre en tenue. Il nous fallait partir relever deux
camarades qui exploitaient le central Antoine André 1 qui desservait le PC du
deuxième bataillon. Vers seize heures trente, la voiture de transmissions nous
prend et nous y mène. Nos collègues nous passent les consignes et nous nous
installons. Nous sommes au-delà du village de Volmunster, à deux kilomètres de
la frontière. Nous logeons dans un abri naturel au plafond en voûte de
maçonnerie en sous-sol d’une habitation. Nous n’avons rien à craindre des
bombardements tant d’artillerie que d’aviation. Nous couchons sur la paille à
proximité du central. Le plus ennuyeux, c’est que nous nous éclairons à l’aide
de bougies et que durant toute la nuit la sonnerie du central nous arrache à
notre sommeil, malgré que nous ne soyons pas en retard de sommeil, les
aiguilles ayant le temps de faire le tour complet. De l’autre côté de la route,
le PC du bataillon ainsi qu’un poste de secours aux blessés sont installés dans
un moulin et ses dépendances : le moulin d’Eschviller, face à notre abri,
à cent mètres à vol d’oiseau un blockhaus[4] :
avant-poste de la ligne Maginot (ouvrage en ciment armé duquel on garde la
route. Cet ouvrage comme bien d’autres, afin de le dissimuler, est surmonté
d’une maisonnette et de ce fait passe inaperçu. Tous les matins, vers dix
heures, je descends à Weiskirch quérir notre courrier et par là même occasion
faire un petit tour à la cuisine des téléphonistes, notre cuisine. Aujourd’hui,
j’en ai rapporté deux côtes de porc, des frites, tout çà, ajouté à l’ordinaire,
sera le bienvenu.]
CARNET
Dimanche
15 octobre 1939
[Hier samedi, je suis également
descendu à Weiskirch, j’ai pris notre courrier ainsi que celui de nos camarades
détachés au PC du 1er bataillon à Ormersviller. J’ai été bien reçu.
Sitôt débarrassé des lettres et colis, on m’a invité à me joindre à leur table.
Il y avait à peine une heure que j’avais mangé ; mais, un repas de
régiment se laisse facilement suivre d’un deuxième. Ici, nous avons toujours
faim. Le repas terminé par un bon café, j’ai visité leur central téléphonique
au sous-sol d’une maison qui me paraît n’avoir pas été épargnée par les balles
à en juger de l’état des dalles de zinc par où s’écoulent les eaux de pluie.
Dans le verger, plusieurs trous d’obus, des arbres décapités et même un obus
d’assez gros calibre non éclaté gisant à plat. À le voir, on le jugerait
inoffensif, mais chacun se garde bien d’en approcher même la pointe du soulier.
Vers trois heures, j’ai enfourché le vélo et regagné mon poste satisfait de ma
promenade qui m’a permis de connaître un coin de France de plus. Aujourd’hui
dimanche, je n’ai pu descendre au cantonnement, car il pleuvait et de plus, je
n’avais pas de vélo à ma disposition. Dans l’après-midi, je suis monté avec la
camionnette de transmissions au central Etienne-Théophile qui dessert les 6e
et 7e compagnies. Ainsi, pour la première fois, j’ai pénétré au-delà
de la frontière. Dans l’après-midi d’hier est passé un troupeau d’environ
quinze vaches venant d’Allemagne. Aujourd’hui, trois soldats allemands faits
prisonniers par deux gars de la 7e compagnie. Le colonel les a fait
descendre de première ligne à son PC où le général a tenu à leur serrer la main
et les féliciter.]
Personnel
et matériel d’un atelier téléphonique
Reçue le 19/10,
réponse le 20/10
Chère
sœur et cher beau-frère,
Étant
à environ cinq kilomètres en avant de la compagnie avec le Lourdais pour
exploiter un central téléphonique, hier matin, à l’aide d’un vélo je suis
descendu à Weiskirch chercher notre courrier afin de l’avoir le plus tôt
possible, car pour nous, vous le devinez bien, le courrier est attendu, pour si
régulier qu’il soit, avec impatience. J’en ai rapporté la présente lettre et
une pour Massaly, de sa femme. Je me
suis – vous dirai-je – rapproché des premières lignes. Nous sommes à
Eschviller, à environ un kilomètre de la frontière et à quelques kilomètres de
nos premières lignes qui sont en territoire allemand. Nous sommes dans un abri
de choix : dans une ..., en voûte de maçonnerie capable de résister à tout
bombardement tant d’artillerie qu’aérien. J’espère être relevé sous peu et
remplacé par deux collègues ; sitôt après nous regagnerons la compagnie.
Le front n’est pas trop mouvementé. Toujours des bourrasques de…, dans la
soirée. Pour le moment, je n’ai besoin de rien. J’ai numéroté cette lettre (7).
Dès maintenant, j’en ferai d’autant pour toutes. Ainsi, vous saurez si elles
vous parviennent toutes. Ci-joint une deuxième photo. Le bonjour chez Mme et M.
Mounard. Bons baisers à tous deux. Votre frère et beau -frère. Léon
Lundi 16 octobre 1939 :
« Alsace, l’armée française doit
évacuer Forbach. » [5]
Chère
maman,
Voilà
deux jours, j’ai reçu des nouvelles de Louis et Léonie à qui j’ai répondu
aussitôt. De mon côté, il en est de même. Tout va pour le mieux. Parfois, nous
trouvons, errant par-ci par-là, des volailles. Nous leur courrons après et dès
que nous pouvons leur tordre le cou, nous les passons à la cocotte. Nous avons
fait rôtir aussi quelques petits cochons d’environ trois mois. Tout ça, ainsi
que les légumes que nous ramassons, nous permet, ajouté à la cuisine des
roulantes, de faire de bons repas. Nous avons eu la pluie jusqu’à hier. Ce
soir, le ciel est étoilé. André Artigue, je ne l’ai pas vu depuis Bayonne. Il
est dans une unité, mais je ne sais pas dans quels bataillon et compagnie.
Chère maman, j’espère que la présente ira te trouver en bonne santé. Je termine
pour aujourd’hui en t’embrassant bien fort. Aujourd’hui, j’ai reçu une carte de
Tante de Toulouse ; toutes quatre vont bien. Ton fils. Léon
CARNET
Mardi 17
octobre 1939
[Vers dix-sept heures, une
offensive ennemie est déclenchée sur notre front. Dès ce moment, nous
n’arrêtons de donner des communications, toutes les directions nous étaient
demandées, soit par le PC du régiment, les PC des bataillons, les postes des
compagnies, voire même par le général. Parfois, quelques saucissons, tombant
sur nos fils ou à proximité, rendaient nos lignes inutilisables. Les
dépanneurs, tant de nuit que de jour, par temps calme ou orageux, étaient tenus
à suivre les lignes afin de trouver les coupures et rétablir le circuit. Ils
n’avaient pas la vie belle. Quant à
nous, durant toute la nuit de mardi à mercredi et jusqu’à dix-sept heures de ce
dernier jour, nous n’avons pas eu un instant de trêve. Vers dix-sept heures
trente, un certain mouvement régnait : bon nombre de camarades descendant
des lignes, épuisés, crottés jusqu’au casque, trempés jusqu’aux os, se
repliaient sous la poussée massive de l’ennemi. Depuis déjà plusieurs minutes,
un coup de téléphone venant du PC du régiment avait fait savoir au PC du 2e
bataillon qu’il devait se replier immédiatement. Étant au central, nous avions intercepté cette
communication qui ne nous était pas destinée et en attendant l’ordre de repli,
les minutes d’attente que nous traversions nous paraissaient sans fin. Malgré
cela, nous roulions nos couvertures, les musettes étaient remplies, les
équipements mis et le couteau était même ouvert pour qu’au coup de téléphone il
ne nous reste qu’à sectionner les lignes et décrocher les appareils. Avant
l’ordre envoyé au bataillon, un autre coup de téléphone du colonel s’adressant
aux commandants de compagnie se trouvant sous la poussée ennemie disait de
tenir encore pour permettre aux détachements des ailes de se replier en sûreté.
Le haut commandement encourageait les chefs de section, leur disant : « La ligne d’attaque ennemie n’est
formée que de quelques groupes d’hommes, ces attaques peuvent et doivent être
facilement contenues. » Quelques minutes seulement s’étaient écoulées
et nous recevons, cette fois-ci, officiellement, le message attendu si
fiévreusement accompagné de l’ordre suivant : « Récupérez tout le matériel, détruisez les lignes et
réinstallez-vous six cents mètres en arrière ». Sitôt dits sitôt faits
et trois quarts d’heure après, à la nuit tombante, nous arrêtons notre course
effrénée en bordure de la route menant d’Eschviller à Volmunster, à environ
deux cents mètres de ce dernier village. Nous installons nos appareils et
lignes, établissons les communications et ensuite, nous nous mettons en devoir
de camoufler notre poste. Nous établissons un petit camping dans une tranchée à
l’aide de nos deux toiles de tente et couvertures, celles de Massaly et de moi.
Bien nous en a su, car nous avons eu une nuit de pluie. Étant à l’entrée d’un
abri, l’eau de pluie nous passait sous les pieds ; nous piétinions dans la
boue jusqu’à la cheville. Nous étions tellement à l’étroit qu’il nous fallait
prendre le service l’un après l’autre. Celui qui n’assurait pas le service
faisait les cent pas sur la route pour se réchauffer. Vers minuit, les hommes
du PC remontaient à leur emplacement, porteurs de paille et de pain. Nous leur
en avons mendié un bout, car depuis midi rien ne nous était passé entre les
dents. Ici, nous sommes tous frères, nous disent-ils, en nous tendant une boule
de pain et le bidon de pinard pour remplir notre quart. Après leur avoir offert
une cigarette, nous ouvrons une boîte de pâté, tout ce qui nous restait comme
vivres et, ce petit repas terminé, nous fumons une cigarette et attendons le
jour, tenus en éveil par les grondements de canons, les sifflements des obus
qui se croisaient dans le ciel et les crépitements lointains et répétés des
armes automatiques. À six heures, alors que le jour pointait à peine, nous
avons replié pour remonter à Volmunster. Là, n’ayant qu’une ligne à desservir,
nous avons demandé au commandant du 2e bataillon si nous pouvions
rejoindre la compagnie. Satisfaction nous ayant été donnée, et toujours sous la
pluie, matériel à dos, nous nous dirigeons sur Weiskirch. À la sortie du
village de Volmunster, nous apercevons un petit chariot à quatre roues, abandonné
par nos prédécesseurs. Son timon étant démoli, nous rentrons dans la maison à
la recherche de quelques pointes pour le réparer. Nous nous trouvons en
présence d’une table encore mise. Le 29e GRDI avait certainement
quitté précipitamment les lieux et tout était resté tel quel. Voyant du pain,
nous avons cassé la croûte, récupéré quatre litres de café fait, un demi-paquet
de chicorée, du café en grains et un petit souvenir pour chacun. Nous prenons
la route et environ un kilomètre plus loin, j’aperçois à l’entrée d’une grange,
dans l’encoignure d’une porte, un fusil mitrailleur abandonné. Pendant ce
temps, mon copain capture un petit chat gris que j’emporte sur ma poitrine à
l’intérieur de ma capote. Sitôt arrivés, nous le lâchons dans notre cantonnement
où il parait très bien s’adapter. Nous étions mercredi, le restant de la
journée, nous avons été tranquilles. On avait certainement jugé qu’un peu de
repos serait le bienvenu.]
Reçue le 23/10,
réponse le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
Ce
matin, mercredi, au retour d’une mission au service du poste de commandement du
bataillon étant en ligne et ayant pour but d’assurer la liaison téléphonique
avec les compagnies, j’ai eu l’agréable surprise de rentrer en possession de
votre carte du 4 courant, deux d’Hélène et une de la maison Chalmandrier.
Depuis près d’une semaine, avec Massaly, j’avais été envoyé pour assurer le
fonctionnement du central téléphonique. Nous étions à quelques kilomètres des
premières lignes, et un kilomètre de la frontière. Malgré cela, j’ai été faire
un petit tour chez les « Fritz ». Hier après-midi, nous avons reçu
l’ordre de replier devant l’avance de l’ennemi. Nous avons été, tous deux, nous
replacer à six cents mètres en arrière et là, durant toute la nuit, à la belle
étoile, sous la pluie, nous avons dû assurer la liaison. À l’aube, nous avons
fait un dernier déplacement qui nous a menés au village de Volmunster.
De
là, n’ayant plus qu’une seule ligne à exploiter, et de ce fait ne nécessitant
pas l’emploi d’un central (appareil à plusieurs directions), nous avons regagné
à pied notre cantonnement. Tout va bien, la pluie seule nous est réfractaire.
Ce matin, j’ai vu André Artigue, qui avec son bataillon montait à la relève des
compagnies ayant opéré. Il est conducteur d’une voiture de transmissions et je
puis dire à peu près planqué. Donc, dans la nuit d’hier à aujourd’hui, nos
appareils dans une tranchée, Massaly et moi avons pris contact avec ce qui
s’appelle la guerre – En dehors de cela, tout va bien ; je n’ai toujours
besoin de rien. Ci-joint une deuxième photo. Accusez m’en réception. Bons
baisers à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon
J’oubliais
de vous dire que le repli de l’ennemi était attendu de nous ; nous lui
avions préparé le repas : terrains inondables et minés – Bon
appétit !
CARNET
Jeudi 19
octobre 1939
[À onze heures, à table. Départ à
midi pour établir une ligne de la 9e compagnie au moulin
d’Eschviller et une deuxième de ce dernier emplacement au blockhaus. Retour à
sept heures, et soixante minutes après, nous repartons dans la nuit profonde,
en vélo, direction Ormersviller, pour établir une ligne du central
Nicolas-Nicolas au blockhaus du village. Retour au cantonnement à trois heures
du matin après avoir reçu quelques averses, et pour certains d’entre nous
quelques billets de parterre, car comme vous pouvez bien le penser, nous
circulions sans le moindre éclairage.]
Vendredi
20 octobre 1939
[Six heures trente, réveil par le
lieutenant : direction Epping, central PPG. De là, nous lançons une ligne
jusqu’au sommet de la colline opposée où était installé le PC de la 3e
compagnie. Nous marchons de huit heures du matin à midi sous une pluie fournie
et continuelle traversant fossés, marécages. Le soir, à sept heures, après
manger, en piste de nouveau pour aller dépanner la ligne installée quelques
heures avant.]
Reçue le 25/10, réponse
le 26/10
Chère
sœur et cher beau-frère,
Hier
19, j’ai reçu votre carte du 11 et ce matin celle du 14 – Je n’ai pu répondre à
celle d’hier, car je n’en ai pas eu le temps. Hier 19, à midi, toujours avec
Massaly, et d’autres copains, nous sommes revenus à l’endroit où nous étions
deux jours avant pour établir une nouvelle ligne téléphonique. Nous sommes
rentrés à 19 heures après avoir installé deux kilomètres de lignes. Sitôt
arrivés, nous nous sommes mis à table et une heure plus tard, à vingt heures,
nous repartions en installer une deuxième à six kilomètres du cantonnement.
Nous avons enfourché des vélos et sans lanternes, naturellement, nous nous
sommes rendus au lieu-dit. Sous la pluie, nous avons déroulé, dans l’obscurité
la plus complète - nous étions seulement à quelques centaines de mètres de
l’ennemi – nous sommes rentrés à trois heures du matin, le travail terminé.
Ce
matin, à sept heures, le lieutenant est venu frapper à la porte et s’adressant
à notre sergent : « Deux
ateliers téléphoniques prêts de suite ». Nous avions une ligne de 2 km
500 à établir d’un central à un poste d’observation. Nous sommes rentrés à 13
heures, littéralement trempés, car la pluie nous avait accompagnés toute la
matinée. Ayant eu à traverser des terrains de toutes sortes, nous avons les
souliers pleins d’eau et les pantalons mouillés jusqu’au-dessus des genoux.
Tout cela est passé et a été pris avec le sourire, car nous savons tous que nos
copains de 1re ligne restent jour et nuit sous la pluie et par
conséquent sont encore bien moins favorisés que nous et bien plus à plaindre
que nous. Nous nous sommes changés et suppose que maintenant nous serons
tranquilles jusqu’à demain matin.
En
dehors de cela, tout va bien. Peut-être, descendrons-nous au repos d’ici la fin
du mois. Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène et une d’Élise. Ce matin, une
d’Hélène. À part cela, tout va bien. N’ai besoin de rien. Vous embrasse bien
fort à tous les deux. Léon
CARNET
Samedi 21
octobre 1939
[Il est onze heures, nous allons
manger pour partir sitôt après. Ayant formé deux équipes, nous partons, une sur
Urbach, l’autre sur Epping au central PPG que nous devions relier à Urbach. À
mi-parcours, nous nous rencontrons et après avoir raccordé les deux tronçons de
ligne, nous reprenons le chemin d’Epping et regagnons Weiskirch à pied. Au
début de l’après-midi, l’artillerie allemande avait déclenché un tir sur
Ormersviller et son bois où était en position la 2e compagnie. Parmi
les pertes, peu importantes heureusement, car la majorité des projectiles
étaient tombés en dehors du bois, dans les champs, un planton motocycliste
assurant la liaison de cette compagnie avec le PC trouva la mort, criblé
d’éclats d’obus. Son camarade, couché également à deux mètres de lui, s’en tira
seulement avec grande peur. Durant cette même après-midi, nous fûmes à maintes
reprises survolés par des avions de reconnaissance ennemis qui eurent leur
mission gênée par notre DCA. Un éclat de ces pièces vint même nous siffler aux
oreilles et tomba sur l’un des nombreux pommiers sous lesquels nous nous étions
dissimulés.]
Reçue le 16/10
Chère
maman,
Voilà
déjà plusieurs jours que je ne t’ai pas donné de mes nouvelles. Il est des
jours où nous ne faisons pas grand-chose, mais en revanche, il en est d’autres
durant lesquels la semaine de quarante heures ne durerait guère plus de deux
jours. Je me tranquillise quand même un peu à la pensée que Léonie, soit par
ses lettres ou sa présence, te rassure d’après les nouvelles qu’elle reçoit
assez souvent de moi. Jusqu’à ce jour, nous avons eu à supporter beaucoup de
pluie.
Depuis
ce matin, le temps est au beau. Ce n’est guère meilleur pour nous, car les
avions tourbillonnent à chaque instant. J’espère que, d’ici à peu de jours,
nous descendrons au repos. Il sera le bienvenu, malgré que pour ma part je n’ai
guère souffert. La santé est tout à fait bonne et je souhaite qu’il en soit de
même de toi. Hier, j’ai reçu une lettre de Léonie : ils vont bien. Voici
deux jours, j’ai aperçu André Artigue qui montait. Tout va bien. Je n’ai besoin
de rien. Je t’embrasse bien fort. Ton fils. Léon
CARNET
Dimanche
22 octobre 1939
[Après le réveil et le déjeuner,
je pourrais dire le jus tout court, mais je mentirais puisque notre petit
déjeuner est composé de café au lait et pain grillé ; après, disais-je,
nous partions sur Volmunster monter une ligne du central Antoine-André au poste
d’observation portant l’indicatif Zéphirin. Nous rentrons pour la soupe et,
l’après-midi, nous nous préparons à quitter Weiskirch. Vers cinq heures, la
caravane se forme : cinq charretons, deux chèvres, une vache et notre
petit chat « la quille ». Nous arrivons à Urbach à la nuit tombante.
Nous nous installons dans un ancien moulin où avaient déjà cantonné d’autres
troupes. Entre parenthèses, les lieux étaient passablement salles et comme
disposition loin de valoir celui que nous venions de quitter.]
Lundi 23
octobre 1939
[Après avoir passé une bonne nuit
de repos sur un sommier doublé d’une bonne épaisseur de paille ; au
réveil, Massaly et moi sommes désignés pour prendre le service au central PN2,
dans une cave obscure nécessitant de nuit comme de jour l’éclairage d’une bougie.
Le PC du colonel occupait le rez-de-chaussée de la même maison. Pendant deux
jours, lundi et mardi, nous avons exploité ce central.]
Reçue le 30/10 et
réponse tout de suite
Chère
sœur et cher beau-frère,
Je
viens de recevoir voilà déjà quelques heures votre carte-lettre du 17 courant.
Je vous écris depuis une cave, où, nuit et jour, nous exploitons un central
téléphonique à la lueur d’une bougie ! Je suis avec le copain et deux autres.
Nous prenons la garde à tour de rôle. Je crois que demain nous descendons au
petit repos ; l’unité qui doit nous remplacer commence à prendre position.
André Artigue - que j’ai vu il y a deux jours - m’a dit que Joseph Mur était
parmi cette unité. C’est avec plaisir que j’ai appris que vous aviez rentré les
patates. Je ne doute pas que vous en ayez été fatigués, maman aussi devait
l’être. Ici, les patates sont toutes dans les champs, c’est nous qui nous
chargeons de les arracher pour notre besoin personnel. Hier était de garde avec
nous, comme radio, un employé d’octroi de Tarbes : il est au poste de la
PV et s’appelle Fumat. Avec nous, en ce moment, se trouve également un camarade
d’Odos. Chère sœur, tu me dis d’écrire à Luchon, mais je ne me rappelle pas du
n°. En ce qui concerne l’électricité, je ne puis te donner de tuyaux, ce serait
un peu difficile. Pour le grenier, le plomb est sur la fenêtre de la cuisine. À
la cuisine, s’il n’y a pas deux lampes de même force en 110 volts. ;
enlevez le bouchon buis et mettre directement sur la douille une lampe en 220
volts. Je vais envoyer une carte chez Estrade. Ici, tout va bien. Hier, j’ai
reçu des nouvelles d’Hélène, demain certainement, en aurai-je à nouveau. Elles
comptent rentrer sous peu. Voilà quelques jours, j’ai reçu une lettre d’André,
il est à vol d’oiseau, à environ 10 km de moi, plus au Nord. Dans ma lettre
d’hier, j’ai demandé à Hélène de me procurer une carte Michelin qu’elle te
portera. Tu la joindras dans le prochain colis. Pour le moment, je n’ai besoin
de rien. Il pleut toujours et commence à faire froid. Je termine pour
aujourd’hui, en vous embrassant à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon
CARNET
Mercredi
25 octobre 1939
[Dans la matinée, les
transmissions du 123e RI viennent nous relever. Dès qu’ils eurent
installé leurs appareils, nous reprenons les nôtres, leur donnons quelques
renseignements sur le réseau et préparons nos sacs. Nos consignes étant
passées, quelques instants plus tard, nous prenons place sur le camion affecté
au service des transmissions. Nous traversons des paysages inconnus à nos yeux,
car nous étions montés pendant la nuit. Nous apercevons des ouvrages fortifiés
surmontés de tourelles. D’autres, mieux dissimulés servaient de fondations à des
maisonnettes. Seuls, peu au-dessus du niveau du sol, quelques créneaux fermés à
l’intérieur ainsi que la porte d’entrée par d’épaisses tôles d’acier. À
l’intérieur de ces ouvrages, l’eau, l’électricité et le téléphone. Les murs en
béton ne font pas moins de soixante-quinze centimètres d’épaisseur. Ensuite,
nous traversons Frohmuhl, tournons à droite et à moins de deux kilomètres
apercevons Siersthal, dans une cuvette entourée de bois de pins et peupliers
qui finissent par leurs teintes d’assombrir le village déjà assez enclavé. Nous
sommes installés au café de la Victoire, malgré que nous ne soyons encore
victorieux. Hélas, nous occupons deux chambres comme dortoirs au premier étage.
Au rez-de-chaussée, la salle de café est transformée en salle de cours. Nous
avons, en outre au premier étage, un réfectoire où nous avons installé un
fourneau sur lequel nous faisons nos extras de cuisine. C’est de là, de dos au
fourneau qui ronfle, que j’écris ces quelques lignes. Je m’arrête pour aujourd’hui…]
Bien
chère maman,
J’ai
appris, dans une lettre de Léonie, reçue il y a deux jours, que vous aviez
ramassé les pommes de terre. C’est un grand plaisir que j’ai éprouvé de savoir
que la récolte a été bonne. Je ne regrettais qu’une chose, ne pouvoir être
parmi vous pour vous seconder un peu. Ici, elles restent dans les champs :
c’est nous qui les arrachons, quand nous en avons besoin. Dimanche, j’ai vu
André Artigue, Joseph Mur est dans le régiment qui monte nous remplacer ;
je n’ai pu le voir. Nous sommes descendus, ce matin, d’environ dix kilomètres.
Je vois que nous sommes au petit repos. Tout va bien. La santé est bonne et
espère que la présente aille te trouver de même. Je n’ai besoin de rien. Reçois
de ton fils les plus tendres baisers. Mon meilleur souvenir à la famille Soulé.
Léon
CARNET
Jeudi 26
octobre 1939
[... Car je dois faire ma
toilette et la lessive. Un copain écrit, un autre prépare le café et, sur la
table, vingt côtes de veau attendent le moment de passer sur le feu.]
Reçue le 31/10,
réponse carte de Cadéac
Chère
sœur et cher beau-frère,
Il
est midi et demi. Nous avons mangé et comme nous avons installé un fourneau à
notre réfectoire de fortune, j’y viens pour vous écrire. Nous sommes là depuis
hier ; nous avons été relevés par un autre régiment dans lequel se trouve
Joseph Mur ; je n’ai pu le voir, car au moment de son passage j’étais dans
une cave pour exploiter un central téléphonique. En ce moment, nous sommes loin
des saucissons et pruneaux. Tout au moins, nous ne les entendons pas. Nous
sommes en position de résistance pendant que l’autre régiment de la division
est en ligne. Nous avons reculé d’environ dix kilomètres et sommes à hauteur de
la ligne Maginot. Hier, j’ai écrit à maman et à Hélène ; avant-hier, une à
M. et Mme Estrade. Nous cantonnons au café de la Victoire. Nous sommes toujours
vingt-cinq et nous occupons deux chambres comme dortoir, une troisième pièce
comme réfectoire, la salle de café nous sert de salle de cours. Nous avons
l’électricité, ce qui est très appréciable. Le chauffeur de la camionnette de
transmissions est allé dans un patelin voisin (15 km) habité d’où il a rapporté
du pain frais et une vingtaine de côtes de veau. Le prix coûtant sera divisé
entre tous et ainsi nous ferons un petit extra. La vache et les deux chèvres
nous permettent de faire du café au lait. Le petit chat gris que nous faisons
suivre dans un panier s’adapte bien à tous nos domiciles passagers ; il
nous distrait à tous. Un des nôtres nous annonce qu’il vient de commander, à un
de ses camarades qui circule, une provision d’huile et de sucre. Ici, toujours
la pluie, heureusement que maintenant nous pouvons rester à l’abri. Je crois
que nous sommes là pour une quinzaine de jours. Ensuite, je crois que nous
descendrons au grand repos. Si cousine de Luchon est encore là, embrasse-la
bien de ma part et remercie-la pour les chaussettes.
En
ce moment, j’ai un seau d’eau sur le feu. Dès que j’aurai fait la digestion, je
ferai grande toilette et ensuite la lessive, car depuis quelques jours je n’ai
eu l’occasion ni le temps de laver, car nous ne savions au juste quel jour nous
allions descendre. Donne le bonjour aux voisins qui te demandent de mes
nouvelles. Je ne me souviens pas exactement quelle photo je t’ai envoyée. J’en
joins une deuxième. Si tu l’as en double, tu la passeras à cousine de Luchon.
Je termine en vous embrassant bien fort. Votre frère et beau-frère. Léon
Lettre-carte (n°2) de Madame Raymond Chalmandrier de Tarbes
Bien cher Noguéro,
Excusez-moi de vous écrire au crayon, vu le
travail que nous avons, je profite de quelques instants au magasin pour écrire
entre deux clients. J’écris par ce même courrier à Généraux, il est papa d’un
superbe garçon ; il a été tout heureux de nous l’apprendre. Dancla est
rentré à Tarbes, voilà dix jours, il a été rappelé par l’arsenal. Il nous
disait l’autre jour qu’il ne se plaindrait plus, qu’il avait goûté de la dure.
Il est vrai qu’il est en sursis de trois mois, peut-être repartira-t-il. Vous avez de la chance que votre lettre n’ait
pas été censurée, car vous ne vous cachez pas au moins vous. Jean est toujours
à Tarbes. On lui a fait repasser deux visites sérieuses. Il a été maintenu à
l’auxiliaire, inapte aux armées. Quoique malgré cela, on pourrait l’envoyer à
Bordeaux. Enfin, nous l’avons là et nous voudrions le garder le plus longtemps
possible. Nous nous défendons le plus que nous pouvons avec ma belle-mère. Le
travail ne manque pas. Nous en avons beaucoup plus que nous ne pouvons en
faire. Réglat et Mauvezin sont passés chefs de chantiers. Jourdes est toujours
à Tarbes. Ici, il fait un froid de loupet ;
il pleut voilà deux jours. Vous devez avoir votre compte pour le mauvais temps.
Raymond a repris sa classe le 20 octobre avec la moitié des professeurs. Il
travaille beaucoup et nous donne des satisfactions. Il vous fait dire de ne pas
vous en faire et qu’il vous envoie bien le bonjour. Tout le monde se joint à
moi pour vous dire bien des choses et j’espère que vous nous donnerez de temps
en temps de vos nouvelles, cela nous fera plaisir. Poignées de mains. Marcelle
CARNET
Dimanche
29 octobre 1939
[Depuis jeudi, rien de
sensationnel. Secteur tout à fait calme. Ce matin, à 9 h, j’ai assisté dans la
riche et à la fois assez récente église de Siersthal à la messe solennelle d’un
nouveau prêtre qui compte parmi les soldats du 49e. Après cette
messe, ont été présents environ six cents hommes. Nous avons assisté à la
cérémonie d’imposition des mains du nouveau prélat. Une chose qui m’a touché, à
l’entrée de l’église, dans la cour, un monument assez important reproduisant
fidèlement la Grotte de Lourdes telle qu’on la vend dans cette ville, sculptée
dans un bloc de plâtre. Ici, ce n’est pas du plâtre, mais du ciment. À
l’intérieur de cette grotte, tout comme à Lourdes, est dressé un autel. Seuls
manquent, le grand chandelier où brûlent sans arrêt d’innombrables cierges et
les appareils et béquilles des croyants guéris durant leurs courts séjours à
Lourdes. Quelques mètres en avant, la petite Bernadette, statue de grandeur
naturelle, les mains jointes, les yeux fixés sur la niche où lui apparaît la
Vierge resplendissante, prie et l’implore. Quittant cette vision si inattendue,
à plus de mille kilomètres de son lieu réel, me voici à l’après-midi de ce dimanche
d’octobre. En compagnie de quelques copains, nous avons fait une petite
promenade sur les coteaux environnants. Le point de vue était admirable. Du
village de Siersthal, de nombreuses routes, pareilles aux tentacules d’une
pieuvre dont l’agglomération serait le corps, se déploient et franchissent les
coteaux menant aux ouvrages fortifiés, aux villages voisins, aux chantiers
militaires en cours. La plupart sont à l’état neuf ce qui explique qu’elles ont
été construites pour contenir le trafic intense que nécessite cette région en
raison de sa situation géographique, afin de la libérer de la griffe hitlérienne
toujours menaçante. Nous sommes sur un
plateau, du côté de Weiskirch. Nous apercevons un ruisseau qui serpente
paresseusement, nous donnant l’impression de s’attarder et quitter à regret ce
charmant paysage plus haut face à nous de grandes forêts, vastes quadrilatères,
les uns d’un vert foncé (ce sont des pins et sapins), d’autres de teinte
rougeâtre et or, ceux-là, ces arbres, moins privilégiés que leurs frères
s’apprêtent à quitter leur parure qui, elle aussi, a été d’un joli vert.
L’automne leur arrache, avec le vent pour complice, lambeau par lambeau, le
feuillage où faisaient leurs nids les oiseaux, où scintillaient sous les rayons
de soleil les gouttelettes de rosées, où on venait respirer la fraîcheur des
sous-bois ombreux. Plus à gauche, par-ci, par-là, sortant de terre, tels des
champignons naissants, nous apercevons plusieurs pièces contre avions. Le canon
braqué sur l’azur du ciel, tourelles d’acier, terrains bouleversés sillonnés de
tranchées abritant des sapes. Derrière nous, le clocher à la forme bizarre de
Petit-Réderching et pour cela très facile à distinguer. Une épaisse trainée de
fumée blanche que laisse derrière lui le train venant de quitter la gare de ce
village. Cette fumée et le cri strident du sifflet de la locomotive nous
réconfortent, nous donnent l’impression que nous sommes moins seuls. Hélas, ses
appels désespérés ne parviendront pas à nous mener à lui, ce n’est pas notre
tour, la permission si attendue, seule, nous le permettra.]
Reçue le 03/11 à 5 h
30, expédié mandat[6]-carte
100 F. (sans frais) de suite et carte le soir
Chère
sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce matin votre carte du 23 portant le n° 8. J’ai reçu en même temps une
lettre d’André Artigue qui me donne l’adresse de Raymond Mur. Il me dit que son
père a arraché les patates : son père lui apprend également que son cousin
Bertrand arrive en France avec la Légion (il l’a écrit chez lui). J’ai eu par
le même courrier deux lettres d’Hélène. Dans la première ainsi que dans les
deux ou trois qui la précédaient, elle se plaignait de n’avoir pas de lettre de
moi. Elle est restée huit jours sans nouvelles. Cela s’explique : depuis
le 17, j’ai envoyé toutes les lettres vers Tarbes, car en principe elles
auraient dû rentrer le 18. Dans la deuxième, elle me disait avoir reçu celles
des 17 et 19 qu’on avait fait suivre de Tarbes. Maintenant que j’ai l’adresse
de cousine de Luchon et que je sais qu’elle est rentrée, je vais lui envoyer
deux mots. Vendredi, j’ai reçu une lettre d’Anna qui s’est offerte à me faire
soit cache-nez, pull ou passe-montagne. Pour ne pas faire le fier, je lui ai
dit qu’un passe-montagne serait bien accueilli. Deux jours après, répondant à
une autre lettre et à la réception d’une de mes photos, c’est la petite
Marcelle qui m’a fait une gentille lettre. Elles sont toutes quatre bien :
Anna, toujours à l’usine – confectionne des chemises[7]
militaires – Juliette travaille comme cuisinière au lycée des jeunes filles,
transformé en hôpital militaire – Marinette, de retour de Bourisp est passée
leur pousser une pointe – elle rentrait à Paris chez ses anciens patrons,
croit-elle – Roger n’était pas encore parti. Je connais très bien Adolphe
Buerba, je l’ai rencontré plusieurs fois. Nous sommes le 30 et depuis le 4 j’ai
reçu huit lettres de vous. J’ose croire qu’elles me parviennent toutes.
Depuis
quelques jours, nous sommes - au moins, tout le laisse supposer - au petit
repos. Nous ne faisons absolument rien. Dans l’après-midi d’hier et
d’aujourd’hui, avec quelques copains, nous avons fait de petites promenades sur
les coteaux et à travers les forêts avoisinantes. Nous cherchions des
champignons, nous en avons trouvé un seul. Avant-hier, nous avons eu la neige,
qui d’ailleurs n’est pas restée. Hier matin, j’ai été à la messe :
première messe solennelle dite par un prêtre du régiment. Après la messe,
cérémonie de l’imposition des mains du nouveau prêtre, à laquelle je me suis
prêté. Chère sœur, je suis au courant, rapport aux permissions, mais c’est
tellement loin que je ne voulais en faire allusion. Je te demanderai de
m’envoyer sous peu un petit mandat, dans le cas où sous peu nous descendions au
grand repos. Ne m’envoie pas le gros cache-nez, je n’en vois pas la nécessité.
Dans le prochain que tu pourras m’envoyer sitôt que tu pourras je te demanderai
de mettre du chocolat, un couteau (j’ai perdu l’autre et dois en avoir un dans la
pharmacie), des cartes postales, quelques plumes, car celle-ci n’en veut plus.
Notre chauffeur ayant été à la localité habitée la plus proche en a rapporté
des côtes de veau et de porc. Chacun en a mangé une, ensuite des frites et pour
terminer un quart de café. Nous avions tout d’abord mangé notre assiette de
soupe des cuisines. Comme vous pouvez en juger, tout se passe pour le mieux. Je
termine en vous embrassant bien fort. Surtout, ne m’envoie pas des cartes
lettres comme celle-ci, car elles se collent entre elles et deviennent
inutilisables. Léon
Chère
maman,
Deux
mots simplement pour te dire que tout va bien, la santé est toujours bonne,
très bonne même. Depuis quelques jours, nous sommes descendus d’environ dix
kilomètres. Nous jouissons en ce moment de la plus grande liberté : pas
d’exercices, au lit à l’heure qu’il nous plait jusqu’au matin sept heures. Dans
la journée, pour faire passer le temps, nous faisons de petites promenades sur
les coteaux environnants. Avant-hier, nous avions la neige qui n’a été que de
passage. Hier, j’ai été à la messe où assistaient environ six cents soldats.
Nous sommes dans un petit village de Moselle à Siersthal qui possède une très
riche et assez récente église. Mercredi,
il y aura plusieurs messes, j’y assisterai, c’est en ce jour, mon devoir. Ainsi
quoique loin de toi, de vous, par la pensée je m’en rapprocherai. J’ai reçu des
nouvelles de Toulouse et de Léonie. Aujourd’hui, j’ai vu André Artigue – il va
bien lui aussi. Joseph Mur est dans la région, mais je ne l’ai pas vu. Ayant un
copain de la section qui a les facilités de se déplacer ; nous lui faisons
porter de la viande que nous faisons cuire. Nous faisons des frites, du café.
Notre vache et nos chèvres nous donnent toujours assez de lait pour nous
permettre de déguster chaque matin deux quarts de café au lait auxquels nous
ajoutons deux tartines de pain grillées. Comme tu le vois, nous améliorons
l’ordinaire dans la mesure du possible. Suffisamment il faut le croire puisque
mon visage s’arrondit, ainsi que celui de plusieurs copains. Le bonjour à la
famille Soulé. Ton fils qui ne t’oublie pas et t’embrasse bien fort. Léon
CARNET
Mardi 31
octobre 1939
[Tout allait trop bien, nous
étions trop tranquilles. Quelques téléphonistes sont repartis sur l’avant,
j’attends mon tour.]
[1] D.I. :
Division d’infanterie.
[2] « Chronique du 20ème siècle »,
op. cit.,
p. 548.
[3] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 548.
[4] Rémy Seiwert de
Volmunster, membre de la section du Pays de Bitche de la SHAL (Société
d’Histoire et d’Archéologie de Lorraine) me confirme la présence d'un blockhaus
à quelques centaines de mètres de ce moulin. Son voisin Jean Claude Ober y a
trouvé la mort accidentellement à l’âge de 13 ans, le 21 avril 1966. Il raconte
ce drame dans le tome 2 page 171 (v. bibliographie) consacré au village de
Volmunster.
[5] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 548.
[6] Note : Le 5 septembre 1939,
il restait 21.150 F. sur le compte de Léon (2.490 F. de disponibles et 18.660
F. sur le carnet d’épargne). On peut évaluer avec exactitude le salaire
d’électricien perçu par Léon autour de 1.000 F. par mois, ce qui correspond à
la grille du salaire moyen départemental des Hautes-Pyrénées attribué en zone
urbaine pour l’année 1939 et majoré de 20 %. Rien d’étonnant quand on sait à
quel point Léon était apprécié par ses patrons pour son travail et sa
disponibilité.
[7] Manufacture de
chemises Jules Sabatié S.A., 25-27, rue St-Thomas d’Aquin, Toulouse.