Mars 1940
Bien
chère maman,
Hier,
j’ai reçu une lettre de Léonie dans laquelle elle me disait qu’étant venue à
Cadéac elle t’avait trouvée en bonne santé. J’espère que lorsque la présente te
parviendra il en sera de même. De mon côté, tout va pour le mieux. La santé est
excellente, l’appétit bon. En ce moment, le travail ne nous manque pas, mais
par bonheur, le temps est au beau, il ne fait plus froid et de ce fait nous
travaillons avec plus de courage, de gaieté. Cet après-midi, j’ai fait la
lessive, j’ai lavé chemise, caleçon, deux serviettes, deux mouchoirs et deux
paires de chaussettes. Hier, j’ai reçu une lettre d’André Artigue. Aujourd’hui,
une de Joseph Mur. Avant-hier, J.M. Rumeau est venu me voir à nouveau. Il
compte être en permission à Cadéac vers le quinze courant. Bien chère maman, je
termine pour ce soir en t’embrassant bien affectueusement. Le bonjour à la
famille Soulé. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon
Reçue le 08 au soir,
réponse à 8 heures
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
C’est
à vos deux dernières lettres qui me sont parvenues respectivement le 29/02 et
ce soir (cette dernière était accompagnée de quatre Républicains sous deux bandes). Dans celui du 1er mars
était un article ayant le titre suivant : « Pour les soldats ayant un membre de leur famille tué ».
Cet article m’intéresse, car j’ai le droit à conserver ma place dans la
compagnie où je suis. Il y aura certainement assez de changement – peut-être
pas dans notre section –, car nous sommes tous plus ou moins spécialisés.
Toujours est-il qu’on en a pris note et que chaque intéressé doit se procurer
une pièce justifiant la date, l’endroit du décès du ou des membres de la
famille. Cet extrait de l’acte de décès devra porter la mention « Mort
pour la France ». Donc, cet après-midi, j’ai écrit au maire de Cadéac en
le priant de me faire parvenir le plus vite possible ledit extrait. Quant à
changer de compagnie pour mieux, je ne vois pas où je pourrais être versé. Je
ne me plains nullement de la place que j’occupe et ne demande qu’à la garder. Ce
soir, j’ai encore reçu une lettre d’André, c’est la deuxième depuis son retour
de perm ; d’Hélène ni hier soir ni ce soir de nouvelles, aussi demain en
aurai-je une, peut-être bien deux ou trois. Hier après-midi, en me promenant je
me suis rendu dans un village voisin, à Lampertsloch, rendre une petite visite
à Jean-Marie Rumeau. J’ai été très bien
reçu, bien entendu comme on peut se recevoir entre soldats : enfin, je me
suis attablé devant un pot de pinard et une assiette de gâteaux. Après avoir
causé pendant plus d’une heure, j’ai repris le chemin du retour accompagné
toujours de mon petit chien « Drac »
qui a toujours sa queue panache. Jean-Marie compte repartir pour la deuxième
fois dans une quinzaine de jours. Il passera cette permission à Cadéac où sa
femme viendra le rejoindre. Il voulait me faire rester pour diner avec lui, mais
mon sergent n’étant pas averti d’une absence si prolongée de ma part, n’aurait
pas été content. J’apprends avec plaisir la petite visite que vous a poussée
Élise. Il était temps. Il est vrai qu’elle avait été malade. Ces jours
derniers, j’ai reçu des nouvelles de Toulouse et de Luchon. Certes, la photo
leur fera plaisir, la mienne est arrivée en parfait état. Quant à la saucisse,
elle est mangée. Un soir, nous l’avons mise avec des fayots, mais il me semble
qu’elle était bien grasse et qu’il y avait des couennes. Dans mon prochain
colis, puisque tu me demandes mon avis : pas de chocolat, j’en ai
encore ; pas de pâté, pas de sardines à l’exception de sardines à la
tomate ou pilchards qui me feraient plaisir ; pas de cognac, j’en ai une
flasque pleine. Tu pourrais y mettre un paquet de thé, car souvent le soir nous
en faisons ainsi qu’un peu de sucre. Si la ventrèche est à point et si tu en as
sous la main, tu pourrais en y joindre un bon bout. Jusqu’à ce jour, je crois
avoir reçu toutes les lettres et les journaux que vous m’avez adressés.
Dans
l’espoir que la présente ira vous trouver tous deux en parfaite santé, je
termine en vous embrassant bien fort à tous deux.
Votre
frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon
Reçue le 12 au soir,
réponse le 13
Chère
sœur et cher beau-frère,
Voilà
déjà quatre jours que je vous ai écrit et je me décide à ne pas attendre
davantage, car les jours sans lettres sont bien différents des autres. Tout au
moins pour moi et je suis persuadé qu’il en est de même pour vous deux. Toujours
tout va bien. La santé est excellente. Nous sommes toujours dans le même
secteur et je crois bien que nous y resterons jusqu’à la fin du mois.
Nous
avons pas mal de travail, heureusement qu’il n’est pas très, très pénible ni
dangereux. Hier après-midi, cependant, nous nous sommes rendus tout près d’un
point où quelques heures auparavant une patrouille ennemie qui voulait tenter
de faire sauter un de nos points d’appui avancés fut repoussée par les nôtres
abandonnant sur le terrain un sous-officier blessé mortellement. Ce dernier que
j’ai pu voir ce matin était âgé de vingt- sept ans et armé de grenades à
manche. Louis, tu dois connaître çà, revolver et fusil d’un modèle récent
capable d’être approvisionné de 14 balles. Cet après-midi, j’ai vu André
Artigue qui avait reçu un colis de son père. J’ai cassé la croûte avec
lui ; il avait un bon rôti de porc bien aillé. Ce soir, j’ai reçu une
lettre d’Hélène m’apprenant que Roger venait d’arriver pour la deuxième fois.
Chère
sœur et cher beau-frère, je termine pour ce soir dans l’espoir que la présente
ira vous trouver en parfaite santé à tous deux. Votre frère et beau-frère qui
ne vous oublie pas. Léon
Cachet Poste aux
armées du 07/03
Cachet bureau Poste
Cadéac du 10/03
Bien
chère maman,
Rien
de changé, rien de nouveau, je suis toujours au même endroit. Nous y sommes
d’ailleurs très bien et personne ne s’y ennuie : l’emplacement est bon,
confortable et assez éloigné du danger éventuel. Le travail que nous avons à
faire n’est pas des plus durs et, à tous, nous arrivons facilement à bout. Le
matin, nous avons installé une ligne téléphonique. Le camion nous avait portés au
lieu de travail. Aussi, cet après-midi, avons-nous repos. Dans la matinée, la
neige tombait abondamment. Le sol est recouvert d’une légère couche qui
disparaitra rapidement.
J’ai
de bonnes nouvelles de Louis et Léonie qui sous peu vont m’envoyer un colis.
J’ai écrit à Monsieur le Maire pour qu’il me fasse parvenir un papier. Chère
maman, ma santé est excellente et je souhaite de tout cœur que la présente
aille te trouver de même. Ton fils qui t’embrasse. Léon
Reçue le 15, réponse
le 16
Chère
sœur et cher beau-frère,
C’est à deux de vos lettres que je
réponds : celle du 6 (n°6) et celle du 8 (n°7) que j’ai reçu ce soir ainsi
que deux Républicains (5 et 6). Sur
l’un d’eux figure la citation du téléphoniste de la rue Carnot : je l’ai
eu vu, je crois même avoir causé avec lui, mais il parait qu’il y avait deux
croix à distribuer. Les copains les ont désignés et d’après ce que j’ai entendu
dire : comme ils n’en fichaient pas lourd, peut-être que la décoration les
encouragera à travailler un peu plus. Autrement dit, c’est du luxe et ça ne
mérite pas de paraitre sur les journaux régionaux comme fait de guerre.
Hier
matin, neuf heures, j’ai été vacciné derrière l’épaule ainsi que deux copains
de chambrée. Demain, c’est au tour de trois autres. Nous n’y passons pas tous à
la fois afin qu’il y ait toujours des téléphonistes disponibles soit pour
installer ou réparer des lignes. J’ai eu un peu de fièvre. L’épaule me fait
encore un peu mal, mais j’espère qu’après la deuxième nuit, c’est-à-dire demain
matin, il ne restera plus grand-chose. En ce qui concerne l’article du journal,
je ne tiens nullement à changer de compagnie. Quant à Jean-Marie Rumeau, plus
âgé que moi, chauffeur d’officier d’état-major, je crois qu’il n’est guère à
plaindre. Vendredi après-midi, j’ai été voir André Artigue. J’ai goûté avec
lui, il avait reçu du rôti de porc de son père, bien aillé : il était
délicieux. Le lendemain, il devait quitter ce cantonnement, car son bataillon
(le 3e) allait relever le 2e qui était aux positions
depuis notre arrivée ici. Malgré qu’il soit plus éloigné, j’aurai autant de
chances, car souvent nous allons à Rott, village où il va cantonner.
J’ai
donné le bonjour à Massaly qui m’a dit de vous le retransmettre. Il est
toujours au bureau de la compagnie. De temps en temps, il vient faire un brin
de causette avec ses anciens coéquipiers. Quant à Clouzet, depuis plusieurs
jours, il a été évacué sur un hôpital, au juste je ne sais pour quelle maladie.
Aujourd’hui,
il a fait très beau, mais je n’ai osé sortir de peur que ça me joue un sale
tour. J’espère que vos aurez trouvé maman en bonne santé. Tu me demandais s’il
me fallait une pile. Non, je m’en sers très peu vu que nous sommes bien
éclairés et que je reste au cantonnement. Le lieutenant ne veut pas me détacher
dans un poste, il préfère me garder à sa disposition pour l’aménagement de
centraux, construction de lignes, etc. Je crois pouvoir dire que je suis bien
dans ses papiers.
Chère
sœur et cher beau-frère, je termine pour ce soir en vous en embrassant bien
fort. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon
Cachet Poste aux
armées du 13/03
Cachet bureau Poste
Cadéac du 16/03
Bien
chère maman,
J’aurais
voulu t’écrire hier, mais ayant été piqué, comme les copains, j’étais mal en
point pour cela.
Aujourd’hui,
je suis debout, ça va un peu mieux. J’ai bien un peu de fièvre, mais l’épaule
me fait moins mal. À part cela, ça va très bien, la santé est excellente. Ces
jours derniers, la température s’était à nouveau rafraichie. Nous avons eu même
plusieurs bourrasques de neige. On sent quand même que le Printemps est proche,
car le matin, il fait bon, les oiseaux commencent à chanter.
Vendredi
dernier, j’ai été voir André Artigue. J’ai mangé avec lui du rôti de porc que
son père lui avait envoyé dans un colis. De mon côté, j’attends celui que doit
m’envoyer Léonie. Oh, tu sais, nous ne sommes pas trop à plaindre, mais tout de
même et de temps en temps ça fait plaisir de manger quelque chose qui vient de
chez soi. J’ai reçu des nouvelles de Toulouse et Luchon. Toutes ont été
grippées, mais elles sont complètement rétablies.
Bien
chère maman, je termine pour aujourd’hui en espérant que la présente ira te
trouver en parfaite santé. Le bonjour à la famille Soulé. Ton fils qui ne
t’oublie pas. Léon
Cachet Poste aux
armées du 16/03
Cachet bureau Poste
Cadéac du 19/03
Bien
chère maman,
J’ai
reçu ce soir la lettre que Léonie m’avait écrite pendant les deux jours qu’elle
a passés auprès de toi. J’ai appris avec grand plaisir que vous étiez tous
trois en parfaite santé.
Quant
à moi, il en est toujours de même, ça va très bien. Le plus désagréable, c’est
qu’aux grands froids succède une période de pluies et de vent. Aujourd’hui, il
n’a fait que ça. En dehors de ça, tout est bien calme et je crois que nous
resterons dans ce château jusqu’au début du mois prochain, après quoi nous
irons au repos.
Pendant
ces derniers jours, je n’ai vu ni André Artigue ni Jean-Marie Rumeau. Peut-être
ce dernier est-il déjà à Cadéac ?
La
nouvelle du décès de Sylvie m’a réellement surpris. Pauvre femme, elle a eu tôt
fait et pourtant, lors de ma permission, il m’avait semblé qu’elle avait une
physionomie bien fraîche. Une de plus qui manquera bien. Pauvre Irma, elle va
en avoir du travail. Je plains également Dominique qui aura appris la triste nouvelle,
si loin. Mon meilleur souvenir à la famille Soulé.
Bien
chère Maman, je termine pour ce soir en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui
ne t’oublie pas. Léon
Reçue le 18, réponse
le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce soir au courrier de cinq heures votre gentille lettre que vous m’avez
envoyée de Cadéac.
À
l’instant, je viens de terminer une petite lettre que j’ai envoyée à maman.
Vraiment, je n’en reviens pas de cette mort si cruelle, si précipitée. Elle qui
lors de ma permission m'avait donné un petit gâteau du four. Elle était
toujours très gentille. Pauvre Irma, elle va en avoir du travail et Dominique,
quel coup pour lui surtout étant si loin. Depuis mon retour, je lui écrivais.
Il m’avait déjà répondu une fois. Demain, je ferai une petite carte pour chez
Estrade.
Depuis
quelques jours, aux grands froids succèdent et la pluie et le vent. Cet
après-midi, il a même tonné. Durant toute la journée, le vent souffle avec rage.
Vers cinq heures et demie, il nous a fallu partir dépanner une ligne de
plusieurs kilomètres. Nous avons eu assez de veine, car à la deuxième
vérification, nous avons trouvé les deux fils cassés entre deux arbres :
ils étaient certainement trop tendus et le vent faisant jouer les arbres, ils
ont cassé. Heureusement que nous avons vite trouvé la panne. Ainsi, nous avons
pu rentrer pour la soupe, vers six heures. Le lieutenant, satisfait, nous a
offert un Byrrh. Il est neuf heures vingt, quelques copains sont couchés, huit
jouent aux cartes, d’autres écrivent. À L’instant, un téléphoniste du central
vient de nous apprendre que plusieurs lignes ne répondaient pas. Donc, pas de
doutes, cassées. Du travail pour demain. Aussi, nous pouvons nous attendre à
partir à six heures. À part ça, tout va très bien. Ce matin, j’ai fait la
lessive.
Les
permissionnaires partent toujours à la cadence de 3 tous les deux jours, 25
environ sont partis. Je ne compte pas encore, car 136 c’est encore bien loin. Dans
l’attente de recevoir le colis, je termine, chère sœur et cher Louis, en vous
embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon
Reçue le 21, réponse
le 22
Chère
sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre lettre du 13 et ce soir deux journaux.
Ce
matin, j’ai été à la messe et ensuite avec une équipe j’ai été installer des
lignes tout près d’ici. L’après-midi, nous aurions dû continuer ce travail, mais
nous avons eu la pluie : une pluie douce, mais serrée et continuelle. La
voiture des transmissions se rendant au PC du 3e bataillon, j’ai
demandé à l’adjudant de m’amener afin que je puisse voir un copain. Donc, nous
voilà partis, amenant comme d’habitude mon chien Drac. J’ai trouvé André Artigue, faisant l’horloger ; il
essayait de réparer un carillon. Je me suis rendu chez les pionniers
divisionnaires croyant y trouver le chef Carmouze, parent des patrons, mais lui
aussi avait quitté le secteur pour une bien triste corvée : sa femme étant
décédée ces jours derniers. À mon retour, j’eus la surprise d’apprendre que
j’étais de garde : oh, je n’ai pas à me plaindre, c’est la première fois
depuis que nous sommes ici. Le chef de poste est le caporal Gabas, de Vielle
(celui qui travaillait à Tarbes avec Carrère). Il m’a rappelé que Louis avait
été les voir et il m’a dit de vous transmettre le bonjour à la première
occasion. Chose qui voilà est faite.
Hier,
j’ai reçu une lettre de Blaisine m’annonçant la triste nouvelle. Mais, déjà la
veille, j’avais envoyé une petite lettre de condoléances.
Tout
à l’heure, j’ai retrouvé une connaissance (masculine naturellement) d’il y a
plus de dix ans. Le général est arrivé (ce n’est pas de lui qu’il s’agit). Nous
lui avons rendu les honneurs. Ensuite, avec son officier d’ordonnance et notre
colonel, il s’est approché de nous et, comme j’étais le seul à être chaussé de
bottes, il m’a questionné : « Est-ce
pratique, fatiguant ? Etc.. » Il a également fait allusion aux
pantalons bouffants. Je lui ai dit qu’on y était plus à notre aise, que les
mouvements étaient plus libres. Le visage de son chauffeur avait attiré mon
attention. Il me semblait le connaître, mais, comme habillés de la sorte, nous
nous ressemblons tous plus ou moins, j’hésitais. Enfin, je me décide et me
trouve en présence du commis de réception de l’Hôtel du Palais, lorsque j’y
étais. Nous avons causé un moment. Il avait quitté Pau pour passer deux ans en
Angleterre. Avant la mobilisation, il était directeur d’une entreprise de
transport à Vichy. Ces jours derniers, j’ai eu également l’occasion de voir
Duffour, le boucher de chez Souque. Il était cuistot, et, les quelques
téléphonistes que nous étions lui devons d’avoir bien cassé la croûte avec de
bons beefs. Il m’a dit : « tu
donneras le bonjour à ton beau-frère » et en même temps il m’a rappelé
un certain soir de 1er de l’An ou de Noël que vous aviez passé
ensemble. Nous avons comme adjudant de transmissions un Tarbais – Managot – qui
avait tenu l’épicerie d’à côté de Cayrefour, le marchand d’huîtres. Avant de
s’engager, il était au dépôt. Quant au colis, je ne compte pas le recevoir de
suite, car par la gare, ils mettent quelques jours de plus. Jean-Marie Rumeau
est à Cadéac, j’ai appris ça vendredi dernier. D’un coup de vélo, j’avais été
le voir et il y avait déjà huit jours qu’il était parti. Samedi soir, nous
avons touché l’indemnité de combat de la première montée en ligne, soit 230
francs : ça met du beurre dans les épinards. Cette fois, nous ne
toucherons rien, car notre compagnie cantonne en arrière de la ligne Maginot.
Un officier de liaison de l’artillerie est détaché avec notre État-Major. Son
visage ne m’était pas inconnu. Je viens d’apprendre par Gabas que c’était le
frère du patron des Vêtements Maurice – un bel homme fort, assez jeune et portant
des lunettes. Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour cette fois en vous
embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon
Lundi 18 mars 1940 : Col du Brenner, rencontre entre Mussolini et
Hitler.[1]
Cachet Poste aux
armées du 20/03
Cachet bureau Poste
Cadéac du 23/03
Bien
chère maman,
Voici
deux jours que j’ai à nouveau reçu une longue lettre de Léonie me disant le
travail qui a été fait pendant les deux jours qu’ils ont passés auprès de toi.
Elle m’a également dit qu’elle m’avait expédié le colis que je recevrai d’ici
quelques jours, car, étant expédié de la gare et non de la poste, il mettra un
peu plus de temps à venir.
Hier
et ce matin, il pleuvait. Ce soir, le ciel est étoilé. Hier dimanche, j’ai été
voir André Artigue. Il est très bien et était content de me voir. Ce soir, j’ai
reçu une lettre de Joseph Mur et une de Tarbes des patrons.
Chère
maman, je n’ai pas grand-chose d’autre à te dire, nous sommes toujours au même
château, tout est calme, la santé est excellente et je souhaite de tout cœur
que le présent petit mot aille te trouver de même. Ton fils qui t’embrasse et
ne t’oublie pas. Le bonjour à la famille Soulé. Léon
Mercredi 20 mars 1940 : « Démission de Daladier, 300 députés
s’étant abstenus de lui apporter leur soutien. » [2]
Jeudi 21 mars 1940 : « Paul Reynaud président du Conseil et
ministre des Affaires étrangères. » [3]
Reçue le 26, réponse
le 27
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre longue lettre du 18 alors que j’étais encore au lit pour me
remettre de la deuxième piqûre que j’avais subie la veille. Cette dernière a
été de beaucoup moins douloureuse que la première. Aussi, nous avons mangé
comme si de rien n’était.
Ce
soir, je reprends la garde, car nous sommes tous pris. Nous avons pas mal de
travail à faire. Vous me parlez d’un certain Claverie qui m’a vu, je ne vois
pas du tout.
Je
viens de recevoir une lettre de Dominique Anglade qui me disait avoir reçu à
Cadéac la lettre que je lui avais envoyée en Tunisie (on doit lui faire suivre
le courrier). Il m’a appris la mort d’Antoine Montaner et le jour qu’il
m’écrivait Victorin était à la maison pour le champ. J’ai reçu une lettre de la
patronne me donnant des détails sur les deuils qui viennent de les frapper.
Chère
sœur, ne t’en fais pas pour le papier à lettres, j’ai ce qu’il me faut, nous
nous le procurons par l’intermédiaire des motocyclistes qui assurent la liaison
avec la division.
Jean-Marie
Rumeau ne saurait tarder à revenir de permission, j’irai le voir dès que
j’aurai un moment. Depuis quelques jours, le temps est au beau. Je viens
d’envoyer un mot à maman. La santé est excellente et je souhaite de tout cœur
que la présente aille vous trouver de même. Votre frère et beau-frère qui ne
vous oublie pas. Léon
Lettre
(13) manquante
Bien
chère maman,
Deux
petits mots pour dire que tout va bien. Je suis complètement remis des deux
vaccins que j’ai supportés comme tous les copains d’ailleurs.
Ce
soir est rentré un permissionnaire de la compagnie qui m’a dit qu’il avait
rencontré en cours de voyage un artilleur du 214e qui avait un colis
pour un soldat téléphoniste du 49e. J’en ai conclu que cet artilleur
était Jean-Marie Rumeau. Nous cantonnons dans deux villages différents distants
de quelques kilomètres. Peut-être, irai-je le voir demain, à moins que ce ne
soit lui qui arrive le premier. Nous sommes toujours au même endroit. Hier,
j’ai reçu une lettre de Dominique Anglade qui venait d’en recevoir une des
miennes que je lui avais envoyées en Tunisie. Il m’a appris la mort d’Antoine
Montaner qui a suivi de près sa pauvre mère. Il m’a également dit que le jour
qu’il m’écrivait Victorin fumait et labourait le champ. Voici déjà quelques
jours que j’ai reçu le gros colis[4]
que m’avait envoyé Léonie. Il est arrivé en parfait état. Depuis quelques
jours, nous avons le beau temps ; quelques petites pluies seulement qui
font bourgeonner les arbres et reverdir les prairies à vue d’œil.
Bien
chère maman, je reçois de partout de bonnes nouvelles et espère que la présente
ira te trouver de même.
Reçois les meilleurs baisers de ton fils qui ne t’oublie pas. Bien le bonjour à la famille Soulé. Léon
Reçue le 29, réponse
le 30
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu ce soir votre lettre du 22 (11) ainsi que deux Républicains. Hier, j’en
avais également reçu un. André aussi m’a écrit ainsi qu’Hélène.
Hier,
jour de Pâques, le matin, avec sergent, caporal, lieutenant, nous avons été
faire une reconnaissance de terrain pour y installer de nouvelles lignes. Vers
midi, nous sommes rentrés. On nous a servi un repas digne de ce jour.
L’après-midi, je me suis rendu à Lampertsloch pour voir Jean-Marie Rumeau qui
était rentré de permission la veille. Maman
lui avait donné un petit paquet contenant un saucisson, une tranche de jambon,
deux bouts de saucisse. Il m’a gardé pour dîner avec eux et je me suis
régalé : ils sont tous cuistots et ils ont ce qu’il faut. Son régiment
ayant installé un foyer, je m’y suis rendu pour acheter une bonne bouteille de
Saint-Émilion. Je suis rentré vers dix heures en compagnie de Drac et guidé par de clairs rayons de
lune qui pénétraient dans le sous-bois. D’Hélène, j’ai reçu une superbe carte
garnie d’un gros œuf de Pâques et d’un écusson en forme de cœur renfermant un
soldat serrant contre lui une délicieuse petite. Monsieur Benazet, l’ingénieur
du secteur est au même village de Jean-Marie. Hier et aujourd’hui, nous avons
eu un temps superbe. Cet après-midi, j’ai été au village où est Duffour le
boucher de chez Souque, il était bien.
Chère
sœur et cher beau-frère, je termine pour ce soir en vous embrassant de tout
cœur. Je continue par un petit mot à maman et ensuite à Hélène. Léon.
P.S.
Je n’ai pas encore reçu le certificat que j’avais demandé au maire. A-t-il reçu
ma lettre ? Je me le demande.
Bien
chère maman,
Voilà
deux jours que j’ai été voir Jean-Marie Rumeau ; c’était donc dimanche,
dans l’après-midi. Le soir, ayant été invité par lui, j’y suis resté pour diner
et c’est vers dix heures du soir, accompagné de mon chien Drac et éclairé par un beau clair de Lune que j’ai rejoint mes
camarades. Il m’a remis le petit colis que tu lui avais donné pour moi et qui
me permettra de bien déjeuner pendant plusieurs jours. Les jours derniers, j’ai
reçu des nouvelles de Louis et Léonie. Depuis samedi, il fait de belles journées
et si cela continue, les arbres ne tarderont pas à être couverts de fleurs. Ce
soir, nous avons ramassé des pissenlits et en avons fait une belle salade. Nous
avons toujours du travail. Dans un sens, c’est préférable, car ainsi le temps
passe plus vite. Je ne sais encore quand nous descendrons au repos. Le secteur
étant très calme et assez plaisant, il ne nous tarde guère de le quitter.
Depuis quelques jours, je n’ai pas eu l’occasion de voir André Artigue, car
notre travail, en ce moment, n’est pas de ce côté. La santé est excellente et
je souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même. Bien le
bonjour à la famille Soulé. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon
Mercredi 27 mars 1940 : « Allemagne, Heinrich Himmler ordonne la
construction du camp de concentration d’Auschwitz. » [5]
Jeudi 28 mars 1940 : « Accord franco-britannique interdisant
tout armistice ou toute paix séparée. » [6]
Reçue le 1er
avril, réponse le 02
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre lettre que vous aviez envoyée de Cadéac. Aujourd’hui, j’ai reçu
deux Républicains. Dimanche, je me
suis rendu au village où est Jean-Marie Rumeau prendre possession du petit
colis que lui avait confié maman – mais je crois vous en avoir déjà causé.
Ce soir également, j’ai reçu des nouvelles de Toulouse me remerciant de la
photo. Tante également fait allusion à la prochaine perm et voudrait que mon
arrêt parmi elles soit un peu plus prolongé que la dernière fois. Que dois-je
faire ? Dix jours sont si vite passés. Depuis une quinzaine de jours, nous
partons soit tous les matins, toutes les après-midis. Heureusement que le
travail n’est pas excessivement fatiguant et ce qui nous fait plaisir à
tous : c’est de pouvoir respirer librement au lieu de rester des journées
entières dans le cantonnement. De Dominique, j’ai reçu une longue lettre à
laquelle je dois la réponse. Ainsi, journellement, nous installons de nouvelles
lignes se ramifiant sur des positions que nous allons occuper incessamment et
ceci ne nous permet guère de supposer une proche relève. Et pourtant, voilà
près de deux mois que nous sommes là. Hier encore, la neige tombait en
abondance, mais ce ne fut qu’une bourrasque de courte durée. J’ai des nouvelles
d’André et d’Hélène qui me dit que son frère Jean arrive ces jours-ci.
Hier,
j’ai écrit aux patrons et à Généraux qui est à la frontière du Luxembourg.
La
santé est excellente, tout va bien et j’espère que la présente ira vous trouver
de même. Votre frère et beau-frère. Léon
[1] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 554.
[2] « Lettres du temps de guerre
1939-1942 » de Christian Melchior-Bonnet, présenté et annoté par Alain
Melchior-Bonnet (1999), p. 51. Éditions Imago.
[3] « Lettres du temps de guerre 1939-1942 »,
op. cit., p. 51
[4] Colis de 5 kg 900
expédié de la gare et contenant : jambon, ventrèche, saucisson, saucisse,
chocolat, figues, bonbons, gâteaux, thé, sucre, fromage, 1 thon, 2 sardines à
la tomate, 2 pilchards, 1 pâté, 2 pochettes papier à lettres et 3 journaux.
[5] « Chronique du 20ème
siècle », op. cit., p. 554.
[6] « Lettres du temps de guerre
1939-1942 », op. cit., p. 51