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dimanche 11 décembre 2022

Avril 1940 en Alsace

 

Avril 1940

 

Lundi 1er avril 1940 : « Allemagne, la loi sur l’Ostmark parachève l’annexion de l’Autriche. » [1]

 

Mardi 2 avril 1940 lettre (16)                                                         119

Reçue le 8 au matin, réponse carte le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,            

Cette fois, c’est à deux de vos lettres que je dois la réponse (27 et 30). Ce n’est plus du Château de Marienbronn que je vous écris, c’est la vie à la montagne que nous menons. Avec deux copains, nous exploitons un central téléphonique et avons l’entretien des lignes que nous desservons. Nous sommes installés dans une des nombreuses baraques en planches que les sapeurs du génie ont montées tout récemment. Une compagnie est avec nous et c’est elle qui nous nourrit.   Pour le moment, ça va très bien et je crois qu’à ce train, si nous n’avons pas plus de travail que ça, nous allons faire du lard. Le secteur est très calme ; nous sommes au sommet d’une colline assez élevée et richement boisée de sapins. De là, nous jouissons d’un point de vue admirable tant sur chez nous que sur les fritz. La frontière n’étant qu’à quelques kilomètres de nous. Hier, nous avions une journée admirable. Le thermomètre marquait + 25°. En revanche, cette nuit, la pluie est tombée et maintenant le temps est couvert et assez frais. Hier, à plusieurs reprises, nous avons été survolés, mais, à très haute altitude. J’ai reçu une lettre d’Hélène m’apprenant la visite qu’elle vous a poussée : elle m’a également parlé de son vélo. Préalablement, elle m’avait demandé conseil pour le prix du vieux car elle l’a vendu. Elle m’a dit également que Louis était toujours là pour dire des blagues…  

Cher Louis, je pense à toi pour les cigarettes. Parfois, on nous donne des Gauloises. Quant aux broches, je ne sais où nous irons au repos, mais rassurez-vous, j’y songerai. Je vous embrasse de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Mercredi 3 avril 1940 lettre F.M.                                                   120

 

Bien chère maman,

Un petit mot pour te dire simplement que je suis en parfaite santé et j’espère de tout cœur que la présente ira te trouver de même. Hier, j’ai reçu une lettre de Léonie à qui j’ai répondu de suite. J’ai également répondu, hier, à Dominique Anglade qui, lui-même, m’avait écrit depuis son retour. Depuis 3 jours, je suis détaché avec deux copains comme téléphonistes dans un camp de baraques qu’occupe une compagnie. Nous sommes en haut d’une colline boisée de sapins. Le travail n’est pas trop bien dur, étant assis du matin au soir. Nous assurons le service à tour de rôle et ainsi nous avons de longues heures de liberté. Nous sommes nourris par la compagnie qui loge avec nous. Nous sommes très bien nourris, nous avons suffisamment de vin. Hier, nous avons eu une belle journée, même très chaude. En revanche, aujourd’hui, nous avons la pluie et il fait assez frais. Donc, bien chère maman, je suis tout à fait bien et j’ai tout ce dont j’ai besoin. Je n’ai pas vu André Artigue, depuis plusieurs jours, car je ne puis m’absenter faisant fonction de chef de poste. Je termine en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui t’aime et ne t’oublie pas. Léon

 

Vendredi 5 avril 1940 lettre (17)                                                    121

Reçue le 10, réponse le 12 au soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Après une période assez surchargée de travail, me voici depuis quelques jours dans un emplacement nouveau avec un travail de tout repos. Notre séjour ici serait des plus agréables s’il faisait moins froid.  Depuis trois jours, il pleut presque sans arrêt et, sur le matin, il fait froid dans la paille. Dans ces baraques, l’air rentre un peu de partout. En dehors de ça, tout va pour le mieux. Nous sommes très, très bien nourris, plus que nous ne pouvons en manger ; du vin, nous en avons assez. Quant au travail, à trois, nous y arrivons à l’aise. Le plus ennuyeux, c’est qu’à n’importe quelle heure de la nuit la sonnerie du téléphone vient nous arracher de notre profond sommeil. Nous ne nous plaignons pas, ce serait plus dur s’il fallait, à tour de rôle, veiller toute la nuit. Demain, nous descendrons au village où sept autres copains exploitent un autre central. Parmi eux est le caporal de Bagnères qui était venu en permission en même temps que moi. Là, nous nous mettrons à la recherche d’un petit fourneau pour chauffer notre casbah. Autrement, avec un bidon, nous en fabriquerons un. Ce soir, tous deux, le troisième restant au central, nous irons au cinéma et coucherons avec les autres sept pour ne remonter que le lendemain matin. J’ai reçu votre longue lettre du 2 (15) ainsi qu’une de Luchon, mais elle ne me parle pas de la photo. Quant au certificat, je l’attends toujours. Étant détaché ici, je ne puis transmettre le bonjour à Massaly qui doit être toujours au bureau. Clouzet qui avait été évacué, je ne sais s’il est de retour. Le copain, un Landais, a reçu un colis contenant : un poulet, deux cuisses canard (en confit) et dans une boîte un civet de lièvre. Nous nous sommes régalés. L’autre, un Basque, en avait également reçu un ces jours derniers. Quant à moi, j’ai encore des boîtes. Donc, tout va très bien, il ne me manque rien. Je vous embrasse de tout cœur. Léon

 

 

Dimanche 7 avril 1940 lettre F.M.                                                122

 

Bien chère maman,

Ce soir, j’ai reçu une lettre de Madame Estrade m’apprenant que tu es en parfaite santé, ce qui ne peut que me faire plaisir. Je puis t’en dire de même pour moi. Je suis aussi bien qu’on peut l’être étant en guerre. Bien sûr, il serait préférable que je sois plus près, que je puisse arriver plus souvent. Je compte bien, d’ici un mois, pouvoir passer quelques jours avec toi. Après quelques jours de pluie, le beau temps est revenu.  La nuit, il gèle un peu et dans nos baraques en planches assez mal jointes, il ferait un peu froid, mais les deux copains qui sont détachés avec moi couchent à côté de moi sur la paille et nous nous serrons bien les uns contre les autres. Ces jours derniers, j’ai reçu également une lettre de Léonie me disant qu’elle avait été t’aider à trier et monter les pommes de terre. J’ai aussi reçu de bonnes nouvelles de Toulouse et de cousine de Luchon qui me dit que son fils Bertrand[2] est rentré en France pour la servir. Bien chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Lundi 8 avril 1940 lettre (18)                                                         123

Reçue le 13, réponse le 15

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai bien daté ma lettre du 8, mais, en réalité, ce n’est que le lendemain, à quatorze heures, que j’y réponds et pour cause : c’est que nous avons eu le courrier ce matin au lieu d’hier soir. Le service du motocycliste qui nous le portait habituellement ayant été suspendu.  Donc, hier soir, c’était à mon tour d’aller chercher les lettres. Je les ai attendues assez tard et il en a résulté, après une attente vaine, que j’ai dû manger et coucher au central d’en bas. J’avais donné un coup de téléphone à mes deux coéquipiers pour qu’ils ne s’inquiètent pas sur mon sort. Ce matin, vers huit heures, j’ai pu prendre connaissance de votre gentille carte de bonne fête et je vous en remercie de tout cœur. Quant au mandat, il mettra encore quelques jours à me parvenir, car c’est le sergent qui le touchera pour moi au bureau et qui me le fera parvenir.

Hier soir, la pluie s’est mise à tomber à nouveau et le froid l’a suivie. Un peu à notre droite, au début de la nuit dernière, il y a eu un peu d’activité de part et d’autre, mais pas de casse. Hier, une casemate de la ligne a tapé durant toute l’après-midi. À l’œil nu, dans la plaine allemande, nous pouvions voir le but atteint par les pruneaux. Dernier canard, il paraitrait que nous sommes encore ici pour un mois, jusqu’à ma perm quoi : elle comptera pour une cette montée, plus de trois mois. Si le calme persiste, tout ira bien, mais, il se pourrait qu’à force de les taquiner, de les harceler, ça prenne une forme différente. En même temps, j’ai reçu une lettre d’Hélène et deux journaux (3 et 4). Tout va bien, la santé est excellente. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon

P.S. Hier, j’ai envoyé un mot à maman. Je n’ai toujours pas le papier du maire.

 

Mardi 9 avril 1940 : « Invasion de la Norvège et du Danemark par les Allemands. » [3]

 

Jeudi 11 avril 1940 lettre (19)                                                        124

Reçue le 15, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai à vous accuser réception d’une lettre du 6 et une carte du 8 ainsi que de deux journaux. J’ai aussi reçu celui où figurait le petit article concernant l’exploit des filous de la 82e et l’heureuse intervention du garde de la SNCF (va-t-on te donner la croix de guerre ?). J’espère qu’au moment où vous parviendra la présente vous aurez reçu les précédentes. Ce matin, le temps était couvert, les deux artilleries ont donné dur. Les fritz ont tiré à notre droite et à notre gauche. À droite, devant nous, ils ont tiré sur un bois où étaient camouflées des pièces d’artillerie, mais je crois que leurs pruneaux n’ont pas trouvé d’amateurs. Ils sont restés sans effet. Dans l’après-midi, ce sont les grosses pièces de la ligne Maginot qui ont craché. Souhaitons que ces messieurs d’en face ne se réveillent pas, qu’ils soient assez préoccupés par le front de Norvège, Suède, Danemark. Il est à souhaiter que ces messieurs les Anglais leur arrangent la cravate et, je crois qu’ils y sont prêts. Tout cela est bien beau, mais le plus ennuyeux c’est que les permissions sont suspendues.  Quand reprendront-elles ? Je n’en sais rien. Hier, j’ai écrit à Luchon, avant-hier à Marseille et Toulouse. Hier, également, j’ai reçu une lettre de Roger ; ce soir, d’Hélène. Quant à l’extrait que j’avais demandé au Maire, je ne l’ai pas encore reçu. Heureusement que ce n’est pas urgent.

Chère sœur et cher beau-frère, je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon

 

P.S. Le bonjour aux voisins et ceux qui demandent de nos nouvelles.

 

Samedi 13 avril 1940 lettre F.M.                                                    125

 

Bien chère maman,

Durant ces quelques derniers jours, j’ai été tellement occupé que le temps a passé avec une rapidité extraordinaire. Aussi, me suis-je rendu compte ce soir que j’étais en retard de deux jours pour t’écrire. Rien de nouveau à t’apprendre. Je suis toujours au même poste. Au début de la semaine, nous avons pris l’initiative de nous construire un abri où nous pourrions nous réfugier en cas de bombardement, car nous avons jugé que la baraque en planche où nous retient notre travail ne serait guère résistante. Ainsi, nous faisons les terrassiers. Ensuite, nous ferons tomber des arbres pour faire la carcasse et surtout le dessus, car, il ne faut pas moins de quatre couches superposées de troncs d’arbres pour être vraiment à l’abri. Jusqu’à ce jour, nous n’en avons pas eu besoin et il est à souhaiter que ce moment ne vienne pas. Ce matin, au réveil, le sol était recouvert de quelques centimètres de neige. Dans la journée, il a plu. Je reçois de bonnes nouvelles de partout. De mon côté, ça va pour le mieux et je souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même. Chère maman, merci d’avoir pensé à ma fête, j’ai reçu le billet ce matin. Ton fils qui ne t’oublie pas et qui t’embrasse. Léon

 

Tarbes, samedi 13 avril 1940                                                        125-1

 

Bien cher frère,

Deux mots, seulement, comme je ne viendrai pas demain vu le temps. Nous renvoyons à dimanche prochain. Nous avons eu de bonnes nouvelles de Léon, il devait aussi vous écrire, il n’avait pas encore reçu votre mandat, car étant plus loin, ça met plus de temps et ils sont obligés tous les 3, à tour de rôle, de descendre prendre le courrier. Aussi, c’est le sergent du bureau qui touchera son mandat pour lui transmettre.

Question de nourriture, il ne se plaindrait pas, mais il fait très froid et presque toujours la pluie. Et voilà 2 mois qu’il y est et peut-être jusqu’à la perme. C’est toujours le tour des mêmes. Enfin, vous irez trouver M. Abadie car il me dit ce soir que le papier ne lui est pas encore parvenu : il s’est peut-être égaré.

Nous espérons que ma lettre ira vous trouver en bonne santé comme elle nous quitte. Il pleut et il fait froid. On dit que là-haut il y a la neige, on s’en passerait pour la saison. Nous profitons d’éclaircies pour ramer les pois et sarcler.

Si vous avez besoin, faites-moi écrire deux mots. À dimanche.

Bons baisers de nous deux.

Louis et Léonie

P.S. Le bonjour à la famille Soulé.

 

Lundi 15 avril 1940 : « Débarquement franco-britannique à Narvik. » [4]

Lundi 15 avril 1940 lettre (20)                                                        126

Reçue le 19, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Afin que mes lettres ne soient pas très espacées, c’est hier que j’aurais dû vous écrire. Je ne l’ai pas fait, car je n’avais rien reçu de vous.  Ce soir, j’ai reçu votre longue lettre du 12 ainsi que les journaux des 11 et 12. J’ai également reçu une lettre d’Hélène me disant que Jean était reparti. Ce matin, enfin, le beau temps est revenu, mais la nuit, il fait encore assez frais et nous avons besoin de tous nos effets, des deux couvertures, des deux pulls. De ce fait, le printemps ne se manifeste guère apparemment dans ce sale pays. Je dis sale parce que nous y sommes, mais en plein été, en touriste, il doit être vraiment plaisant. Les chasseurs doivent se régaler : qu’est-ce qu’il y a comme palombes et comme biches. La semaine dernière, à travers bois, je longeais un chemin – l’arme en bandoulière – croquant un bout de chocolat et un crouton, tout à coup j’arrive sur une pente découverte et, à quarante mètres devant moi, je vois trois biches côte à côte qui me regardaient. M’étant arrêté, elles sont encore restées là quelques secondes alors que stupéfait je les regardais. Prendre le mousqueton, je n’aurais eu le temps, car il n’était chargé. Je me suis donc contenté de les voir grimper avec une aisance surprenante cette pente pourtant raide. Si j’avais eu l’arme prête à la main, j’en aurais bien ajusté une. Tant pis. Chère sœur, tu me demandes si j’ai amené le chien : non, car il ne pas vivrait longtemps. Tout soldat à l’ordre de tirer sur un chien, car ce pourrait être un chien de transmission ennemi. C’est donc le sergent qui s’en occupe au château. J’ai reçu le mandat de maman. Tout va bien. Je vous embrasse de tout cœur. Léon

 

Mercredi 17 avril 1940 lettre F.M.                                               127

 

Bien chère maman,

Quelques lignes seulement pour te dire que tout va toujours bien. La santé est excellente, le moral aussi, la nourriture est bonne et assez abondante. Le travail qui nous est assigné à tous les trois, nous y arrivons très bien à bout. Le plus désagréable, c’est que le mauvais temps persiste : pluie, neige, vent. La température est assez fraîche et la nuit, dans nos baraques, il est nécessaire de bien se rouler dans les couvertures pour n’avoir pas froid. De Tarbes, j’ai de bonnes nouvelles et souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même. Ton fils qui t’embrasse et ne t’oublie pas. Léon

 

Jeudi 18 avril 1940 lettre (21)                                                         128

Reçue le 22, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

En même temps que votre lettre du 15, j’ai reçu ce soir les deux journaux annoncés. Je croyais t’avoir accusé réception du brin de muguet que tu avais joint à une lettre précédente. Une chose qui me chiffonne, c’est cette histoire de vélo… Il me semble que tu es bien renseignée et, à mon tour, je voudrais bien l’être par ton intermédiaire. Naturellement, c’est Hélène qui t’a dit qu’on lui avait volé le vélo. À moi, elle m’a dit qu’elle l’avait vendu au parfumeur. Peut-être, t’étonneras-tu que j’attache cette importance à cette petite histoire, mais ce que je n’admettrai pas, c’est qu’on emploie envers moi des arguments mensongers. J’ai horreur du mensonge et comme on ne peut avoir confiance à quelqu’un qui ment, il ne m’en faudrait pas davantage pour couper court à tout. Ceci doit rester entre nous, si tu ne peux me renseigner, je continuerai l’enquête moi-même. N’en fais nullement allusion quand elles viendront vous voir. Quant aux permissions, elles n’ont pas encore repris et je ne sais combien ça durera. Vu cette interruption, et seulement si elles reprennent ces jours-ci, je ne pourrai être en permission que vers la fin mai. Avant-hier, j’ai écrit à maman. Ici, nous avons toujours la pluie, il est vrai que si dans un sens c’est ennuyeux, ça nous donne l’avantage de n’avoir pas à redouter quelque manœuvre massive de la part des fritz. À part ça, tout va pour le mieux. Je termine en vous embrassant.  Votre frère et beau-frère. Léon

 

Samedi 20 avril 1940 : « En Allemagne, les militaires ayant du sang juif ou ayant épousé des Juives sont exclus de la Wehrmacht. » [5]

 

Dimanche 21 avril 1940 lettre F.M.                                              129

 

Bien chère maman,

Enfin, depuis deux jours, le soleil est venu remplacer et la pluie et le froid. Ce matin, vers 10 heures et demie, une messe a été dite au milieu de la forêt, sous les sapins, à proximité des baraques que nous occupons. Notre capitaine qui est aussi prêtre s’était déplacé pour venir faire un sermon. Ensuite, après la messe, il est venu nous voir à tous trois et, il m’a félicité, disant : « je suis très heureux que tu sois caporal ». Eh oui, chère maman, le 17, je recevais des coups de téléphone des copains me félicitant alors que moi je n’en savais encore rien. Le soir, notre lieutenant me l’a appris officiellement. Ceci ne change rien à mon affectation. La seule différence, c’est qu’au lieu de faire partie d’un atelier téléphonique composé d’un caporal et cinq hommes, je suis chef d’atelier. Le temps est ravissant, le soleil chauffe, les arbres commencent à verdoyer, les oiseaux sifflent gaiement.  Avant-hier, j’ai reçu une gentille carte-lettre d’André Artigue qui est dans un village tout proche d’ici. Ces temps derniers, il s’occupait à forger haches, pioches et remettre des manches. Joseph Mur, qui était également tout près d’ici, est descendu d’une dizaine de kilomètres. J’attends des nouvelles de Toulouse, de Luchon et aussi des patrons. De Tarbes, j’en ai toujours en abondance. Bien chère maman, dans l’espoir que la présente ira te trouver en parfaite santé, je termine en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Lundi 22 avril 1940 lettre (21)                                                       130

Reçue le 26, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Ce soir, j’ai eu le plaisir de pouvoir lire votre longue lettre du 19 ainsi qu’une de Luchon et aussi une d’Hélène.

Depuis quelques jours, nous avons un temps rêvé, le soleil chauffe, la nature commence à verdoyer, les oiseaux à toute heure de la journée par leurs chants font revivre nos bois qui en hiver, encore même tout dernièrement, étaient si silencieux. Hier, comme les dimanches précédents, une messe a été dite parmi les sapins. Notre capitaine était venu faire un sermon. La messe terminée, il est venu nous trouver. Il me serra la main longuement, et … Chers Louis et Léonie, je vais vous faire une petite surprise : « Alors petit caporal », me dit-il, « toutes mes félicitations, je suis très content que tu sois nommé car j’y tenais ». Je me demande bien pour quelle raison il tenait à ce que je le devienne. Donc, c’est depuis le 17 que j’ai augmenté en grade. Quelle affaire, deux ou trois sous de plus par jour. Enfin, c’est le commencement, je n’en suis quand même pas fâché.  J’aurais voulu arriver en permission pour vous faire la surprise, mais elle est tellement éloignée encore. Voici quelques jours, j’ai reçu une lettre d’André Artigue qui est tout près de moi, à quelques kilomètres quoi. J’apprends avec plaisir la visite que vous ont faite Hélène et Élise. Je n’ai pas encore reçu le certificat en question. Hier, j’ai écrit à maman. Bien chère sœur et cher Louis, pour le moment tout va pour le mieux. J’ai été un peu enrhumé, mais ça n’a été rien. Il ne me manque absolument rien. La relève bientôt et aussi la permission. Je vous embrasse bien fort à tous deux. Léon

 

Mercredi 24 avril 1940 lettre F.M.                                               131

 

Bien chère maman,

Avant-hier, j’ai reçu deux longues lettres de Luchon et de Léonie. Toutes les deux étaient porteuses de bonnes nouvelles ainsi qu’une d’André Artigue et Joseph Mur qui, eux aussi, sont très bien. Ce soir, c’est une lettre de Madame Estrade qui est venue m’apprendre que tu étais toujours en bonne santé. Pour moi, il en est de même pour le moment. D’après certains bruits, certaines visites d’officiers d’un autre régiment qui n’est pas encore monté en ligne de cette fois ; il se pourrait que sous peu ils viennent prendre notre place afin qu’à notre tour, nous puissions aller passer quelques semaines de repos dans un lieu un peu plus sûr, un peu plus éloigné de ces messieurs. Après quelques jours de beau soleil, ce soir, un vent assez violent s’est levé et je crois bien qu’il va nous apporter la pluie. Chère maman, je termine pour ce soir en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Jeudi 25 avril 1940 lettre (22)                                                        132

Reçue le 29, réponse le 30

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Ce soir, le courrier ne nous est pas parvenu. La raison, c’est que notre relève a commencé ce qui contribue à décaler le courrier. De plus, de la compagnie, nous sommes les seuls qui somment si en avant. C’est pourquoi on ne juge pas nécessaire de déplacer une voiture ou une moto. Donc, nous sommes ici pour quelques jours encore (deux ou trois). C’est la division que nous avions nous-mêmes relevée qui vient reprendre les positions. Ils ont passé le repos où nous l’avions passé et, parait-il, les civils de ces villages seraient heureux de nous voir revenir parmi eux, car dans l’ensemble ils ont gardé un bon souvenir de nous. Quant à moi, je préférerais aller atterrir dans un coin encore inconnu où nous ne sommes pas passés. Les permissions reprendront certainement dès que nous serons installés dans nos nouveaux cantonnements. Hier, j’ai envoyé un mot à maman, à l’instant à Hélène. C’est tout juste si nous ne regrettons pas de quitter ce coin, car nous y sommes réellement bien. Je redoute le repos, car l’adjudant n’a pas fini de nous embêter et moi, maintenant, avec mes deux ficelles, il me faudra prendre la garde, diriger des corvées, etc. Ce qui nous fait plaisir, c’est que restant des derniers, nous ferons certainement le trajet qui nous sépare du lieu de repos en voiture alors que le gros du régiment le fera à pied. C’est appréciable. À part ça, tout va très bien. Dans l’espoir que la présente ira vous trouver en parfaite santé, je termine en vous embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon

P.S. Hier soir, j’ai reçu deux Républicains. Merci

 

CARNET

Avril 1940

 

[Dans les derniers jours d’avril, un bataillon de chasseurs vint nous relever. Tard dans la journée, la camionnette des transmissions vient nous prendre et après un arrêt à Woerth où nous avons eu seulement l’occasion d’arroser nos galons, nous reprenons la route pour nous arrêter à nouveau à Uhrwiller où nous avons passé quelques jours. Ensuite, nous avons fait également un court séjour à Rothbach. De là, nous avons gagné Baerenthal et ensuite Lemberg, Enchenberg où nous n’avons fait que passer, car le haut commandement a jugé que nous étions trop près des lignes.]

 

Dimanche 28 avril 1940 lettre (23)                                               133

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Enfin, depuis hier soir dix heures, nous voilà rendus au patelin où nous allons passer notre petit repos. Je dis petit, car je crois qu’il ne sera que de trois semaines après quoi nous monterons, mais pas avec la même division : nous la quittons pour passer régiment d’infanterie alpine (RIA). Vraisemblablement notre numéro de secteur postal changera, mais je vous en aviserai quand le moment sera venu. Donc, nous sommes descendus d’environ 45 kilomètres. Étant restés les derniers en attendant nos remplaçants, nous avons eu l’avantage de faire le trajet en voiture. Les copains, eux, partis avant-hier soir, ont fait le trajet en deux étapes ; ils en avaient assez. Le village où nous sommes compte près de 800 habitants et se nomme Uhrwiller, mais il n’est guère intéressant.

Heureusement pour nous qu’il-y-a un foyer du soldat. Ce soir, il y a, parait-il, ciné. C’est de là qu’en ce moment je vous écris. J’ai reçu votre longue lettre voilà deux jours. Ce matin, j’en ai eu une de Toulouse et deux d’Hélène ainsi qu’une de J.M. Montaner et R. Rumeau. Le Marseillais ne m’a pas répondu. Je termine, car, il est onze heures et le foyer ferme. Tout va bien, la santé est excellente, rien ne me manque pour le moment. Les permissions repartent. Souhaitons que le pourcentage soit assez élevé afin que je puisse aller vous voir avant de remonter.

Je vous embrasse de tout cœur. Léon

 



Dimanche 28 avril 1940                                                                134

Carte postale imagée (Retour d’Église)

 

Bien chère maman,

Depuis hier soir, dix heures, nous voilà au village où nous allons passer le repos que je crois est bien gagné, car depuis mon retour de permission nous étions tout à fait devant. Maintenant, étant en arrière de près de cinquante kilomètres, nous pouvons vivre tranquilles. De plus, nous sommes en pays habité, le village compte près de huit cents habitants. Comme j’ai été des derniers à partir, vu que j’ai dû attendre la relève et passer des consignes, j’ai eu la veine d’arriver ici en auto alors que la majeure partie est descendue à pied. Tout va bien, la santé est excellente et le moral aussi. Ton fils qui t’embrasse et ne t’oublie pas. Léon

 

                         Equipe de téléphonistes à l’entrée du central téléphonique de Cleebourg, le 25 avril 1940



[1] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 555.

[2] Courrège Louis, Léon, Bertrand, né le 03/04/1907 à Bagnères-de-Luchon, 2e cl mobilisé au 11e RI, fait prisonnier et rapatrié en 1943. Cousin de Léon ayant émigré aux États-Unis d’Amérique en 1930, décédé à Atlantic City le 2 septembre 1946. Fils de Maria Pilar Gabas Noguéro et de Courrège Dominique. 

[3] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 555.

[4] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 555.

[5] « Lettres du temps de guerre 1939-1942 », op. cit., p. 51

 


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Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

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