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Mobilisation générale
Mardi 5 septembre 1939 : « Les États-Unis proclament leur neutralité. »
[1]
CARNET
Mardi, 5
septembre 1939
[Le troisième jour de la mobilisation
était là : grande affluence d’hommes sur les quais de la gare de Tarbes
d’où le convoi qui devait quitter la gare à huit heures quarante-cinq part avec
une petite demi-heure de retard. Après de longs arrêts à Lourdes, Pau, Puyoo,
nous arrivons à Dax à 13h30. « Tout
le monde descend ». Nous dit-on ! Nous nous mettons à la recherche du
convoi qui doit nous mener à Bayonne après avoir interpellé bon nombre d’agents
sans succès. Nous apprenons enfin que notre train est en formation et ne
quittera Dax qu’à seize heures vingt. Chacun prend sa valise et, voyant les
portes extérieures de la gare s’ouvrir, s’élance vers la ville tout comme
ferait une nichée d’oiseaux en cage se voyant la porte ouverte.
Il n’y avait pourtant que
quelques heures que nous étions prisonniers et l’occasion de sortir de la gare
était une chose inespérée, mais fort bien accueillie.
À la sortie de
la gare, une immense prairie verdoyante où la majeure partie des
« touristes » se met en devoir de déballer le contenu des valises : poulets, vin dé caso heit, conserves, fromages,
fruits, etc. Les quelques autres - qui comme moi - en attendant les décisions
sur l’heure du départ, en avaient profité pour manger sur les bancs qui se
trouvent plantés un peu par-ci par-là sur les quais se sont dirigés sur le
centre de la ville. J’entre au premier débit de tabac que je trouve sur mon
chemin ; je commande un café et en profite pour envoyer un bonjour de Dax
sur une vue de cette ville. De là, je fais une visite très sommaire de la ville
boueuse et reboucle mon circuit par l’avenue de la gare.
Pause
repas sur les quais de la gare de Dax
Dans cette première partie du
voyage, était monté en gare de Pau, un brave père de famille âgé de
soixante-deux ans. Je crois qu’il n’avait pas pris le train tout à fait à jeun,
ses discours répétés et son programme peu varié nous le laissaient supposer.
Parfois, son verbe était un peu élevé, ses mouvements brusques, mais la gourde
qu’on lui présentait avait tôt raison de son énervement et ramenait un grand
sourire sur ce visage de Béarnais. Combien de fois nous a-t-il dit en
patois : « moi, à soixante-deux ans,
après cinquante-deux mois de guerre, encore rappelé, au milieu de cette
jeunesse, aquo quei trop ! J’y
vais en français, puisqu’on m’appelle, mais je ne ferai rien. » Certainement
qu’il aura changé d’autant plus, qu’il n’était pas dirigé, vu son âge, sur le
front mais sur une usine quelconque. Toujours est-il, quoique bien serrés dans
notre wagon, sa petite comédie nous a fait paraître le voyage moins long. À
seize heures vingt, donc, nous quittons Dax pour arriver à Bayonne à dix-huit
heures trente. Il était temps, car les treize wagons métalliques qui
composaient le train formé à Dax étaient légèrement surchargés. Nous sortons de
la gare, canalisés par des soldats vêtus de tenues plus ou moins disparates.
J’avais voyagé depuis Dax avec un Tarbais qui avait fait son service en Afrique
du Nord. À la sortie, il aperçoit un camarade de régiment qui habite Lourdes.
Après avoir échangé quelques impressions, nous nous dirigeons tous trois sur la
caserne Château-Neuf où devait se faire notre affectation. Nous traversons le
pont Saint-Esprit, ensuite une étroite rue qui débouche sur l’ancien hôpital,
une église, une place que nous coupons en diagonale, une petite côte nous
conduit face au bâtiment d’aspect forteresse dont les murs très épais étaient
percés de quelques petites fenêtres protégées de gros barreaux de fer et d’une
grande ouverture sur les côtés de laquelle se repliait un non moins important
portail. Au rez-de-chaussée du bâtiment de droite, derrière une fenêtre, un
agent militaire avait installé son bureau. Après quelques minutes d’attente,
sous les derniers rayons d’un soleil de feu, notre tour arrive. Nous passons
tous trois de file. Il prend nos livrets, consulte son fichier. Sur les trois,
un était dirigé sur un casernement différent. C’était l’autre Tarbais. Je
restais donc seul avec le Lourdais et nous fumes dirigés sur l’ancien collège
de jeunes filles où était en formation la compagnie de commandement (CDC) du 49e
régiment d’infanterie. Après avoir traversé un pont sur la Nive, nous nous
dirigeons sur cet établissement ayant pour point de repère les flèches de la
cathédrale qui en est toute proche. Ce ne fut pas long.
À l’entrée d’un grand porche se
trouvait déjà un poste de garde. Nous nous présentons. Le planton nous
répond : « Il est trop tard,
revenez demain matin ! » Nous n’en étions pas fâchés et, sans
nous faire tirer l’oreille, trop heureux de cette liberté inespérée, nous
partons à la recherche d’un restaurant et d’une chambre pour la nuit. Ce n’est
que difficilement que nous y parvenons. Les rues, les cafés sont débordés
d’hommes ; des milliers doivent être affectés dans plusieurs unités en
formation.
Le lendemain matin, vers sept
heures, nous regagnons le bureau de la compagnie. Nous sommes inscrits tous
deux dans l’ordre et nous arrivons à l’étage supérieur où était la salle de
visite. Le Lourdais passe, je le suis et malgré moi, je souris. Le
lieutenant-major me regarde et dit : avec un sourire pareil, inutile de
demander si ça va, et je passe un étage de plus et nous arrivons à
l’habillement. 1re chambre : essayage du casque et bonnet de
police ; 2e salle : capote et culotte ; 3e
salle enfin : godillots et dans la toile de tente tout le reste du
paquetage. Nous prenons place dans une chambre sur les côtés de laquelle était
étalée de la paille laissant un petit sentier sur le milieu. Quelques heures
après, nous apprenons, mon copain et moi, que nous sommes au groupe de
transmissions en qualité de téléphonistes. Ensuite, nous avons été classés,
faisant partie du même atelier téléphonique, et depuis ce moment, nous étions à
peu près certains de rester ensemble. C’est tellement plus agréable, étant du
même pays, surtout s’il faut s’éloigner de ce dernier, de tous ceux qui y
vivent, que nous y aimons. Entre camarades, on peut échanger ses idées, se
réconforter moralement, s’entraider, partager durant notre campagne nos petites
provisions, tant conserves que boissons, tabac, etc. Durant notre séjour à
Bayonne, et jouissant d’une assez grande liberté, nous en avons profité pour
visiter la ville, et non contents de cela, pour aller à Biarritz par le petit
tortillard, à Saint-Jean-de-Luz en car. Les journées passaient plus vite quand
nous ne rentrions pas sans avoir fait un assez long arrêt dans quelque
restaurant.
Notre stage à Bayonne devait
prendre fin ; les régiments qui y cantonnaient partaient un à un et nous
étions certains que nous n’étions pas là pour y rester. Où vont-ils ? Nous
n’en savons rien ! Où irons-nous ? Pas davantage !]