vendredi 9 décembre 2022

Mobilisation générale

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Mobilisation générale

 

 

 

Mardi 5 septembre 1939 : « Les États-Unis proclament leur neutralité. » [1]

 

CARNET

Mardi, 5 septembre 1939

 

[Le troisième jour de la mobilisation était là : grande affluence d’hommes sur les quais de la gare de Tarbes d’où le convoi qui devait quitter la gare à huit heures quarante-cinq part avec une petite demi-heure de retard. Après de longs arrêts à Lourdes, Pau, Puyoo, nous arrivons à Dax à 13h30. « Tout le monde descend ». Nous dit-on ! Nous nous mettons à la recherche du convoi qui doit nous mener à Bayonne après avoir interpellé bon nombre d’agents sans succès. Nous apprenons enfin que notre train est en formation et ne quittera Dax qu’à seize heures vingt. Chacun prend sa valise et, voyant les portes extérieures de la gare s’ouvrir, s’élance vers la ville tout comme ferait une nichée d’oiseaux en cage se voyant la porte ouverte.

Il n’y avait pourtant que quelques heures que nous étions prisonniers et l’occasion de sortir de la gare était une chose inespérée, mais fort bien accueillie.

À la sortie de la gare, une immense prairie verdoyante où la majeure partie des « touristes » se met en devoir de déballer le contenu des valises : poulets, vin dé caso heit, conserves, fromages, fruits, etc. Les quelques autres - qui comme moi - en attendant les décisions sur l’heure du départ, en avaient profité pour manger sur les bancs qui se trouvent plantés un peu par-ci par-là sur les quais se sont dirigés sur le centre de la ville. J’entre au premier débit de tabac que je trouve sur mon chemin ; je commande un café et en profite pour envoyer un bonjour de Dax sur une vue de cette ville. De là, je fais une visite très sommaire de la ville boueuse et reboucle mon circuit par l’avenue de la gare.


Pause repas sur les quais de la gare de Dax

 

Dans cette première partie du voyage, était monté en gare de Pau, un brave père de famille âgé de soixante-deux ans. Je crois qu’il n’avait pas pris le train tout à fait à jeun, ses discours répétés et son programme peu varié nous le laissaient supposer. Parfois, son verbe était un peu élevé, ses mouvements brusques, mais la gourde qu’on lui présentait avait tôt raison de son énervement et ramenait un grand sourire sur ce visage de Béarnais. Combien de fois nous a-t-il dit en patois : « moi, à soixante-deux ans, après cinquante-deux mois de guerre, encore rappelé, au milieu de cette jeunesse, aquo quei trop ! J’y vais en français, puisqu’on m’appelle, mais je ne ferai rien. » Certainement qu’il aura changé d’autant plus, qu’il n’était pas dirigé, vu son âge, sur le front mais sur une usine quelconque. Toujours est-il, quoique bien serrés dans notre wagon, sa petite comédie nous a fait paraître le voyage moins long. À seize heures vingt, donc, nous quittons Dax pour arriver à Bayonne à dix-huit heures trente. Il était temps, car les treize wagons métalliques qui composaient le train formé à Dax étaient légèrement surchargés. Nous sortons de la gare, canalisés par des soldats vêtus de tenues plus ou moins disparates. J’avais voyagé depuis Dax avec un Tarbais qui avait fait son service en Afrique du Nord. À la sortie, il aperçoit un camarade de régiment qui habite Lourdes. Après avoir échangé quelques impressions, nous nous dirigeons tous trois sur la caserne Château-Neuf où devait se faire notre affectation. Nous traversons le pont Saint-Esprit, ensuite une étroite rue qui débouche sur l’ancien hôpital, une église, une place que nous coupons en diagonale, une petite côte nous conduit face au bâtiment d’aspect forteresse dont les murs très épais étaient percés de quelques petites fenêtres protégées de gros barreaux de fer et d’une grande ouverture sur les côtés de laquelle se repliait un non moins important portail. Au rez-de-chaussée du bâtiment de droite, derrière une fenêtre, un agent militaire avait installé son bureau. Après quelques minutes d’attente, sous les derniers rayons d’un soleil de feu, notre tour arrive. Nous passons tous trois de file. Il prend nos livrets, consulte son fichier. Sur les trois, un était dirigé sur un casernement différent. C’était l’autre Tarbais. Je restais donc seul avec le Lourdais et nous fumes dirigés sur l’ancien collège de jeunes filles où était en formation la compagnie de commandement (CDC) du 49e régiment d’infanterie. Après avoir traversé un pont sur la Nive, nous nous dirigeons sur cet établissement ayant pour point de repère les flèches de la cathédrale qui en est toute proche. Ce ne fut pas long.

À l’entrée d’un grand porche se trouvait déjà un poste de garde. Nous nous présentons. Le planton nous répond : « Il est trop tard, revenez demain matin ! » Nous n’en étions pas fâchés et, sans nous faire tirer l’oreille, trop heureux de cette liberté inespérée, nous partons à la recherche d’un restaurant et d’une chambre pour la nuit. Ce n’est que difficilement que nous y parvenons. Les rues, les cafés sont débordés d’hommes ; des milliers doivent être affectés dans plusieurs unités en formation.

Le lendemain matin, vers sept heures, nous regagnons le bureau de la compagnie. Nous sommes inscrits tous deux dans l’ordre et nous arrivons à l’étage supérieur où était la salle de visite. Le Lourdais passe, je le suis et malgré moi, je souris. Le lieutenant-major me regarde et dit : avec un sourire pareil, inutile de demander si ça va, et je passe un étage de plus et nous arrivons à l’habillement. 1re chambre : essayage du casque et bonnet de police ; 2e salle : capote et culotte ; 3e salle enfin : godillots et dans la toile de tente tout le reste du paquetage. Nous prenons place dans une chambre sur les côtés de laquelle était étalée de la paille laissant un petit sentier sur le milieu. Quelques heures après, nous apprenons, mon copain et moi, que nous sommes au groupe de transmissions en qualité de téléphonistes. Ensuite, nous avons été classés, faisant partie du même atelier téléphonique, et depuis ce moment, nous étions à peu près certains de rester ensemble. C’est tellement plus agréable, étant du même pays, surtout s’il faut s’éloigner de ce dernier, de tous ceux qui y vivent, que nous y aimons. Entre camarades, on peut échanger ses idées, se réconforter moralement, s’entraider, partager durant notre campagne nos petites provisions, tant conserves que boissons, tabac, etc. Durant notre séjour à Bayonne, et jouissant d’une assez grande liberté, nous en avons profité pour visiter la ville, et non contents de cela, pour aller à Biarritz par le petit tortillard, à Saint-Jean-de-Luz en car. Les journées passaient plus vite quand nous ne rentrions pas sans avoir fait un assez long arrêt dans quelque restaurant.

Notre stage à Bayonne devait prendre fin ; les régiments qui y cantonnaient partaient un à un et nous étions certains que nous n’étions pas là pour y rester. Où vont-ils ? Nous n’en savons rien ! Où irons-nous ? Pas davantage !]

 



[1] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 545.


Présentation

Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

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