Février 1940
CARNET
Mardi 6
février 1940
[Dans la soirée, je quittais
Tarbes où je venais de passer ma première permission du front qui fut d’une
durée de dix jours. Durant les trois cents premiers kilomètres de mon voyage de
retour, j’eus l’occasion de faire connaissance de quelques gars de mon régiment.
Immédiatement, nous nous groupons et deux jours après arrivons dans une gare
régulatrice et sommes invités à gagner un centre d’accueil qui se trouvait à
quelques centaines de mètres de là, camouflé dans un bois. Chacun casse la croûte en tapant dans les
provisions de voyage. Environ deux heures après, un haut-parleur invisible nous
rappelle d’abord au silence et ensuite, une voix bien sonore annonce très
distinctement les horaires des trains, les directions qu’ils prennent et aussi
nous met au courant des déplacements d’unités. C’est à ce moment que j’appris
que mon régiment que j’avais laissé à Weiterswiller en Alsace avait rejoint les
positions. Assez tard dans la soirée, nous reprenons le train.]
Jeudi 8
février 1940
[Le matin, au petit jour, nous
arrivons dans la petite gare de Schweighouse-sur-Moder. Nous traversons les
voies, prenons un chemin de terre à travers de jeunes plantations de sapins et
au bout d’un quart d’heure de marche, nous apercevons parmi les grands arbres
cette fois un coquet petit village de baraques en bois reliées entre elles par
de beaux petits chemins bien entretenus, un petit pont rustique enjambait un
bruyant ruisselet. La première baraque à droite abritait des services de
renseignements. C’est là que j’appris que je devais reprendre un autre petit
train jusqu’à Soultz-Sous-Forêts. Quittant ce bureau, je me dirigeai sur la
cantine où j’eus le grand plaisir de boire un café bien chaud. Cela nous remit
un peu d’aplomb, car il faisait encore froid et la neige était encore parmi
nous. Une heure après environ, nous fûmes dirigés sur cette petite voie de 60
où nous attendaient un bijou de locomotive et deux petits wagons aménagés par
les soins des sapeurs du génie. Plus tard, j’appris que cette voie était
destinée à desservir les ouvrages fortifiés. Vers midi, arrivée à Soultz où l'on
ne put nous renseigner sur notre unité. Nos décidâmes de nous mettre à table
dans un restaurant et après avoir bien mangé et bien bu et fait le plein des
bidons, nous repartîmes en direction d’un petit village dont le nom m’échappe.
Là était installée une batterie d’artillerie du 214e. Un officier
nous engagea à faire la pause dans leur cantonnement et nous promet de trouver
notre régiment. Vers la fin de l’après-midi, il revient, n’ayant pu entrer en
liaison. Il nous conseille tout de même de rejoindre le camp de Drachenbronn où
avait peut-être cantonné notre unité. À notre arrivée, le camp était désert.
Seuls, quelques chasseurs nous apprirent qu’ils avaient été relevés par notre
régiment, mais cela était bien vague. Par quelle compagnie avaient-ils été
relevés, où se trouvaient les PC de bataillons, où se trouvait celui du
régiment ? C’est ceci qui m’intéressait personnellement. Comme la nuit
approchait, nous décidâmes, à nouveau, de la passer en campagne, espérant
retrouver le régiment le lendemain. Tout près du camp, nous décidons d’occuper
une maison abandonnée. Nous installons les matelas, de la paille et ouvrons nos
musettes afin de les faire aérer, car à force de temps le contenu aurait pu
sentir le faisandé.]
CARNET
Vendredi
9 février 1940
[Après avoir passé une bonne
nuit, nous reprenons la route en direction de Lobsann en passant par les mines
d’asphaltes. Là cantonnait le CRE. Je dus rebrousser chemin et m’enfoncer dans
un bois afin de gagner le château de Marienbronn où j’eus enfin le plaisir de
retrouver ma compagnie assez confortablement installée. Mes coéquipiers
occupaient une pièce du sous-sol aménagée de couchettes à étage, grande table,
grands bancs, étagère à paquetage et poêle au charbon. Un détail que j’avais
oublié, c’est que j’étais parti seul en permission et que nous rentrions à
deux : j’avais en effet recueilli à Drachenbronn un joli petit chien que
j’avais immédiatement baptisé de la première syllabe du lieu où je l’avais
trouvé. Il s’appelait donc « Drac ». Comme la compagnie n’avait pas
de mascotte ; il fut le bienvenu et bientôt choyé de nous tous. Aussi ne
manquait-il pas de nous accompagner dans nos sorties. Le ronflement de notre
camion Citroën ne lui était pas inconnu et dès qu’il l’entendait, il fonçait
droit sur la cour, sautait parfois alors que nous avions déjà démarré et
aussitôt, venait s’asseoir sur mes genoux et crânement il flairait et
parcourait l’horizon de ses yeux éveillés. Au bout de quelque temps, il montait
même sur l’échelle à barreaux ronds et descendait avec la même facilité, mais
la tête en avant. Pendant un mois, je restais à Marienbronn. J’installais
d’abord toutes les lignes et le Central jusqu’à l’abri creusé dans la butte. Je
refis en entier les réseaux téléphoniques de Rott et Climbach.
Rispail
sergent téléphoniste et « Drac » notre chien, Geyre caporal,
Laplace
chauffeur du camion des transmissions, à l’entrée fortifiée
du
central téléphonique de Cleebourg
J’installais un nouveau central à Rott, une
ligne à Cleebourg au sommet de la montagne qui domine ce village et au haut de
laquelle était cantonnée la première compagnie. Là-haut, également,
j’installais un central et le jour de Pâques je montais prendre possession de
mon poste accompagné de deux copains, un Basque et un Lourdais. Quelques jours
après, le capitaine Pambrun[1] vint m’annoncer, en me
serrant la main, que je figurais au tableau d’avancement en qualité de caporal.
Je passais presque tout le mois d’avril à ce poste où j’étais très tranquille
et bien secondé par mes deux aides.]
Reçue le 13, réponse
le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Il
est dix-neuf heures. Voilà à peine quelques heures que j’ai pu rejoindre mes
copains qui, en effet, avaient quitté le village où nous avions passé près de
trois mois. Me voilà donc à nouveau installé ; c’est ce que j’ai voulu
faire avant de prendre la plume. Clouzet est tout près de notre cantonnement et
est rentré en possession de son colis dont il était content. Castérot est aussi
venu prendre le sien. Depuis hier midi, c’est-à-dire pendant un jour, nous
avons vadrouillé partout à pied, à la recherche des nôtres, traversant
plusieurs villages évacués. Nous n’avons pas vu Massaly. Je ne sais ce qu’il
doit faire. Toutes les provisions sont arrivées à bon port (celles qui sont
arrivées au bout). Le pinard a été un peu juste, en raison de ce voyage
prolongé. Je termine pour ce soir. À très bientôt pour plus longuement. Léon
Bien
chère maman,
Me
revoilà, depuis quelques heures seulement, parmi mes copains. Le voyage a été
un peu long, car je ne les ai retrouvés au même endroit et ai dû les chercher
pendant un jour. Enfin, je suis très bien arrivé. Je vais bien et souhaite de
tout cœur que la présente carte aille te trouver de même. Je termine pour ce
soir, car j’ai beaucoup à écrire, afin de rassurer tout le monde. Reçois chère
maman mille gros baisers. Ton fils. Léon
Reçue le 16 au matin,
réponse le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Ce
matin au réveil, de gros flocons tombaient. Il fait froid, mais moins quand
même qu’au village où nous étions au repos.
Ce
matin, nous ne travaillons pas.
Hier
matin, en revanche, malgré que ce soit dimanche, nous avons installé une ligne.
Avant-hier samedi, nous en avons vérifié une que nous avaient laissée nos
prédécesseurs. Massaly n’est encore rentré : il a dû demander trois jours
de prolongation. Comme vous pouvez vous en douter, je n’ai pu voir Cambot et
n’espère le voir de ces jours-ci, pas plus qu’André Artigue que je n’ai pas
retrouvé depuis mon retour. Je ne sais plus si je vous ai dit comment nous
sommes installés : j’ai retrouvé la compagnie logeant dans un château, au
pied d’une colline boisée. Nous, les téléphonistes, occupons un entresol meublé
de couchettes à étage. La pièce nous sert de réfectoire ; chauffée par un
fourneau, éclairée à l’électricité. À proximité, nous avons un lavabo et l’eau
courante. Tout le confort, la vie de château pourrai-je même dire en
comparaison des cantonnements que nous avions au repos. Je crois que c’est
assez rare pour un régiment qui est en ligne. Il est vrai que notre compagnie
est pour le moins, à vol d’oiseau, à six kilomètres de la frontière. Donc, pour
le moment, tout va très bien, faute de mieux. Dans l’espoir que la présente ira
vous trouver en parfaite santé à tous deux, je vous embrasse tous. Léon
P.S.
Le bonjour chez M. Bonnard. Hier, j’écris chez Estrade, demain à maman.
Château de Marienbronn, près de Lobsann, séjour du 10/02/1940 au
27/04/1940
Bien
chère maman,
Un
tout petit mot pour te dire que tout va bien et que je suis complètement
réadapté à notre vie ambulante. Nous faisons comme les gitanes, nous passons
quelques jours ici, puis on va un peu plus loin. Avec les copains, je mange jambon, pâté et
boudin qu’ils trouvent excellents. Hier, il neigeait, mais aujourd’hui, le soleil
brille, mais sans chauffer et ne parvenant pas à faire disparaître la neige.
Depuis mon arrivée, je n’ai pas encore reçu de courrier. Il est vrai qu’on n’a
eu le temps. Je termine pour aujourd’hui, dans l’espoir que la présente ira te
trouver en parfaite santé. Le meilleur
souvenir à la famille Soulé. Léon
Reçue le 20, réponse
le soir
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Vers
dix-huit heures alors que je rentrais en camion avec quelques copains d’aller
installer une ligne, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir votre gentille
lettre qui m’a fait grand plaisir, car vraiment elle m’est parvenue assez
rapidement. D’Hélène, rien d’aujourd’hui. En revanche, hier, j’ai reçu deux de
ses cartes datées des 9 et 10. Elle n’avait pas eu la patience d’attendre que
je lui écrive. André est en perm et leur maman va mieux. Peut-être à l’heure
qu’il est, l’une ou l’autre vous aura poussé une visite. Massaly est rentré
hier seulement : il avait obtenu une première prolongation de trois jours
vu que sa femme était malade et ensuite il a pu lui-même, prétextant un peu de
bronchite et moyennant un certificat, se faire accorder quatre jours de plus.
Chère
sœur, mon rhume est pour ainsi dire passé. Je ne dis pas tout à fait car, ici,
il nous en reste toujours un peu.
Quant
aux Républicains, fais comme bon il
te semblera. Envoie-les s’il y a quelque chose d’intéressant.
Si
Lopez revient, dis-lui 75 à 80 francs la lampe simple.
En
ce moment, nous sommes à quelques kilomètres de Wissembourg où passe le fleuve
La Lauter. Je termine en vous envoyant mille gros baisers. Demain, j’écrirai à
maman. Léon
Cachet Poste aux
armées du 19/02
Cachet bureau Poste
Cadéac du 21/01
Bien
chère maman,
J’ai
reçu hier soir une longue lettre de Léonie m’apprenant qu’elle avait reçu ma
première carte et qu’elle avait été te voir dimanche, te trouvant en bonne
santé, ce qui m’a fait grand plaisir. Il en est de même de moi pour le moment.
Nous sommes très très bien ; jamais nous n’avons été logés, éclairés et
chauffés dans d’aussi bonnes conditions. Vraiment, nous ne nous croyons pas en guerre.
La nourriture est bonne. Nous avons
trois quarts de vin par jour. L’après-midi, vers trois heures et demie, nous
avons du thé bien chaud. Le soir, après souper, avant de se mettre dans nos
couchettes individuelles, nous préparons nous-mêmes du chocolat (à l’eau
naturellement). Aujourd’hui, il a neigé pendant quelques heures. De ce fait, le
sol est recouvert de près de quinze centimètres de neige. Heureusement qu’il ne
fait pas très très froid. Hier, j’ai été pousser une petite visite à André
Artigue qui est à près de deux kilomètres d’ici. Il est lui aussi en parfaite
santé et était heureux de me revoir.
Chère
maman, tout va pour le mieux et j’espère que la présente ira te trouver en
parfaite santé. Les provisions étaient arrivées à bon port et ont été très
goutées de nous tous. Seule la saucisse sèche au plafond. Elle sera décrochée
le premier jour ou le menu des cuisines ne sera pas jugé assez copieux. Ton
fils qui t’embrasse. Léon
P.S. :
Le bonjour à la famille Soulé.
Reçue le 24 au soir,
réponse le 26
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
J’ai
reçu hier votre longue lettre du 16 ainsi qu’une lettre de monsieur Estrade me
donnant de bonnes nouvelles de maman qu’il avait vue la veille de m’écrire. Il
est en pleine saison de pèle-porc, car il me laisse entrevoir qu’il en exécute
bon nombre. Quelques permissionnaires sont encore arrivés : Jean
Picassette et Marcel Van den Bosch (jaquette). Restent à venir les Marocains.
Hier,
il a plu presque toute la journée. De ce fait, la température étant plus douce,
la plus grosse partie de la neige a fondu.
Aujourd’hui,
il faisait à nouveau assez froid. Depuis hier matin et pour quelques jours
encore, nous avons notre travail à une huitaine de kilomètres d’ici. Il
consiste à remettre en état un réseau téléphonique à l’intérieur d’un village.
Nous partons en camion le matin vers sept heures, emportant un repas froid, et
on vient nous reprendre vers dix-sept heures. Cet après-midi, j’ai aperçu le
sergent-chef Carmouze des pionniers divisionnaires. C’est un parent des
Chalmandrier.
Demain,
j’irai le trouver à son cantonnement. Il est au village de Rott tout près de
Wissembourg.
Chère
sœur, pour le moment, je n’ai pas besoin de colis. L’ordinaire est assez bon
et, comme ici, nous ne restons qu’une dizaine – les autres étant employés
par-ci par-là plus à l’avant – dès qu’un colis arrive, nous le partageons.
Ainsi, presque chaque jour, nous avons quelque chose à diviser. J’ai appris par
Hélène qu’André était venu. J’aurais bien voulu le voir en civil.
Dimanche
matin, j’ai eu la visite de Jean Marie Rumeau. Il est au 214e
d’artillerie en qualité de chauffeur d’un officier. Ayant conduit ce dernier au
bureau du colonel et ayant appris par Gabas de Vielle que j’étais là, il est
venu me trouver alors que je faisais avec deux copains la corvée de chambre. Il
était tout heureux d’avoir trouvé un gars du pays, car dans son régiment il est
presque seul de chez nous. Lui ayant indiqué où était André Artigue, il me
dit : « je te remercie, je
tacherai de le trouver, j’y passe journellement devant ».
Massaly
est rentré depuis quelques jours. Quant à Clouzet, il habite la même propriété
que moi, mais un bâtiment différent. André Artigue est à moins de deux
kilomètres d’ici. Bien chère sœur et cher beau-frère, je termine pour ce soir
en vous envoyant mes meilleurs baisers, dans l’attente de vous lire sous peu. Léon
Cachet Poste aux
armées du 23/02
Cachet bureau Poste
Cadéac du 26/01
Bien
chère maman,
Deux
mots pour te dire que tout va pour le mieux. La santé est excellente, la
température est plus douce que ces derniers jours. Aujourd’hui, le soleil
chauffait faisant fondre la neige et le verglas qui recouvre les routes. Ces
jours-ci, nous travaillons à remettre en état des lignes téléphoniques dans la
traversée d’un village. Avant-hier, j’ai reçu une longue lettre de Léonie.
Dimanche matin, Jean-Marie Rumeau, chauffeur d’un officier du 214e
d’artillerie est venu me trouver. Il était venu porter son lieutenant au bureau
du colonel. Étant pour ainsi dire seul de la région dans son régiment, il a été
très heureux de me trouver. Il m’a promis d’aller voir André Artigue, car je
lui ai indiqué où il stationnait.
Chère
maman, je termine dans l’espoir que la présente ira te trouver en bonne santé. Gros
baisers de ton fils. Léon
Reçue le 27, réponse
le 1er mars
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Je
viens de recevoir il y a à peine une demi-heure votre lettre n° 3 datée du 20
et je constate avec plaisir qu’elle m’est vite parvenue : je souhaite qu’il
en soit pour toutes de même. Après avoir travaillé pendant quelques jours dans
un village éloigné de huit kilomètres, en avant ; aujourd’hui, nous
n’avons pas fait grand-chose. Notre plus grand travail a consisté à aller
chercher dans la colline voisine un tronc de pin qui va nous servir à alimenter
notre fourneau qui ronfle toute la journée. Depuis quelques jours, il ne fait
pas trop froid, mais il nous faut de l’eau soit pour la vaisselle soit pour laver
du linge, nous raser, etc. Ces arbres qui nous servent de bois de chauffage
avaient été abattus et pelés, prêts à être dirigés vers des scieries. C’est
autant de perdu et vraiment dommage de les mettre au feu. Il vaut tout de même
mieux s’en chauffer que de les laisser pourrir sur place.
Hier,
j’ai reçu une gentille lettre de la maison Chalmandrier. Marcelle me
disait : « mon cousin Raoul a
lui aussi changé de place, il est dans les Vosges ». Et voilà que ces
jours derniers, je l’ai aperçu au village où je travaillais. C’est là qu’est sa
compagnie, il est sergent-chef dans les pionniers divisionnaires et fait partie
de la même division. J’aurais bien voulu lui causer, mais je n’ai pas eu le
temps d’aller le trouver à son cantonnement. Tu me parles des photos, tu en
donneras une à Hélène et dans une prochaine lettre tu m’en enverras une pour
moi. Quant à Cambot, il est certainement à environ dix-huit kilomètres en
arrière de nous. Je crois qu’ici aussi le deuxième tour de permission ne saurait
tarder à commencer. Il paraît que certains de la division sont partis déjà
hier. Avant-hier, j’ai reçu une lettre de M. Estrade m’apprenant l’arrivée de
nouveaux permissionnaires, les derniers de France. Restent à arriver les
Marocains. Pour le colis, je n’en vois guère l’utilité pour le moment, car tous
en reçoivent et en bons camarades, à douze que nous sommes, nous partageons
tout. Quant à la petite fiole, je la conserve jalousement en cas de (malaise
inattendu). Tous les copains à qui j’avais envoyé une photo m’ont envoyé une
lettre de remerciement, en attendant de se retrouver pour la prochaine, si ce
n’est avant, devant quelques « Pernod », ou simplement une bonne
chopine à 40 sous et non à 4 francs comme par ici. Maintenant que j’y pense, la
saucisse que tu m’avais donnée, je crois bien que c’est une saucisse de
couennes. Je n’en suis pas sûr, car elle sèche encore au plafond attendant le
premier jour où l’ordinaire sera assez piètre pour être décrochée. Chère sœur
et cher beau-frère, je termine pour ce soir en vos embrassant bien fort à tous
deux. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon
Bien
chère maman,
Après
quelques jours de silence, je viens par ces quelques lignes te donner quelques
détails sur ma santé et cette nouvelle vie que nous menons déjà depuis quelques
mois. En ce qui concerne la santé, ça va très bien, l’appétit y est et nous
avons une assez bonne nourriture améliorée par les colis que nous recevons tous
et que nous partageons volontiers. La vie devient plus agréable, car il fait
moins froid. La neige tend à disparaître, les oiseaux commencent à chanter,
annonçant la proche arrivée du Printemps. Nous logeons toujours dans le même
château et je compte que nous y resterons encore trois semaines. De Tarbes,
j’ai toujours de bonnes nouvelles ainsi que de plusieurs soldats de Cadéac.
Bien chère maman, dans l’espoir que la présente petite lettre ira te trouver en
parfaite santé, je termine pour ce soir en t’envoyant mille gros baisers. Ton
fils qui ne t’oublie pas. Léon
Reçue le 4 mars au
matin, réponse le 6
Bien
chère sœur et cher beau-frère,
Depuis
deux ou trois jours, je renvoie de vous écrire. Chaque jour, l’heure du
courrier arrive, la distribution se fait : rien. Ce sera pour demain, me
disais-je, et quelques jours ont passé. Ce soir donc, je me décide à vous
envoyer un mot afin que mon silence ne vous paraisse trop long. Il y a quelques
jours, j’ai reçu deux Républicains. Votre dernière lettre portant le n° 3 et datée
du 20 m’est parvenue le 23 et ce même jour j’y ai répondu – je précise dans le
cas où, de part ou d’autre, quelque lettre ne serait parvenue.
Pour
le moment, tout va pour le mieux. Je reçois de bonnes nouvelles de soldats
Cadéacois, d’Hélène, André qui dès son arrivée s’est empressé de m’écrire. De
Toulouse, je n’ai encore rien reçu depuis mon retour, pourtant j’avais écrit à
tous mes correspondants. Je dois la réponse à madame Chalmandrier, à Généraux,
à André.
Depuis
quelques jours, nous avons du travail, aussi ne pouvons-nous écrire que le
soir. Hier après-midi, étant de passage dans notre propriété, j’ai reçu la
visite de Jean-Marie Rumeau qui est toujours chauffeur d’officier. Il compte
partir en perm vers le 15 mars pour la deuxième fois. Ici, également, le
deuxième tour a commencé hier par deux départs, aujourd’hui un, demain deux
autres… soit à la moyenne de trois tous les deux jours, tant que nous sommes
ici. Quand nous descendrons, le pourcentage sera augmenté.
Hier
a fait trois semaines que le régiment est ici, encore autant à passer et
ensuite j’espère, nous redescendrons. En ce moment, la température s’est
radoucie, la neige disparait, il pleut quelque peu. La santé est excellente.
Hier
après-midi, nous sommes descendus au plus proche village pour nous doucher.
L’installation était parfaite, l’eau bien chaude, aussi sommes-nous rentrés
tous satisfaits d’une toilette totale si bienfaisante.
Bien
chère sœur et cher beau-frère, je termine pour ce soir en vous embrassant bien
fort, dans l’attente de vous lire sous peu. Léon
[1] M. l'abbé Pambrun,
curé doyen de Salies-de-Béarn (Basses-Pyrénées), chevalier de la Légion d'honneur
et quatre fois cité au titre de la guerre 1914-1918, capitaine adjudant-major
au 2e bataillon du 49e R. I. ... a mérité, au cours de la dernière guerre, les
deux citations suivantes à l'ordre du corps d'armée : « I.- Au cours d'une journée particulièrement
difficile, a secondé son chef de bataillon avec compétence et dévouement,
méprisant le danger et se portant aux endroits difficiles. Type du
prêtre-officier, qui, depuis le commencement de la campagne, n'a cessé de
maintenir très haut, par son exemple et ses paroles, le moral des hommes, en
les visitant presque tous les jours en ligne, quelquefois sous les
bombardements les plus violents. » II.- « À la contre-attaque du 21 juin, a assuré des liaisons difficiles sous
de violents bombardements. À réussi à mener sur la ligne de feu des éléments de
deuxième position, renforçant ainsi la puissance de résistance des postes
avancés. A fait, une fois de plus, preuve du plus grand mépris de la
mort. » Source : La Croix, n° 17655 du 16 août 1940.