dimanche 11 décembre 2022

Mai 1940 en Alsace

 

Mai 1940


 

Mercredi 1er mai 1940 lettre (24)                                                    135

Reçue le 4, réponse aux deux le 4 au soir

Les premières violettes de Cleebourg cueillies à la descente du secteur le 27.04.40

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Ce matin, m’a été remis par Clouzet le colis[1] dont vous l’aviez chargé. Il était en parfait état. Quant à Clouzet, il a été trimbalé de gare en gare avant de nous retrouver. Ce matin, je me suis levé à 6 h.et demie pour aller laver, car étant là-haut sans eau, je n’avais pu le faire. Vers 9 h, j’étais de retour et comme je me rasais, l’adjudant est venu me dire que je partais avec lui et le lieutenant dans un village voisin où s’installait le deuxième bataillon afin de le relier par téléphone au reste du régiment. Cet après-midi, je repars pour un village plus éloigné où se trouve le troisième bataillon. J’y étais hier et ai pu voir André Artigue qui est en bonne santé. Mes camarades ainsi que tout le régiment se rendent à une prise d’armes pour la remise de décorations et la présentation à notre nouveau général puisque nous avons changé de division. Avant-hier soir, les nouveaux gradés de la compagnie avons été réunis par notre capitaine qui nous a offert un vin d’honneur. Tout va bien, le temps me manque. À très bientôt pour plus longuement. Votre frère et beau-frère qui vous remercie et vous embrasse de tout cœur. Léon

Nouvelle adresse : Caporal Noguéro Léon, Compagnie de Commandement, 49e RI, Secteur Postal 12550

 

Toulouse, jeudi 2 mai 1940                                                          135-1

Lettre d’Anna Tissinier à Louis et Léonie

 

Bien chers cousins,

Par ces quelques lignes, je viens au nom de nous toutes vous inviter à la 1re Communion de Marcelle qui se fera le 16 juin prochain. Nous serions très heureux de vous avoir tous ce jour-là, mais peut-être que pour Léon, ce ne sera pas possible, car il sera déjà venu en permission, mais enfin, nous comptons toujours sur vous deux et nous pensons que vous serez des nôtres pour deux ou trois jours. Nous ne faisons qu’un repas de famille où nous pensons être une douzaine avec les parents de Saint-Martin, de L’Isle-Jourdain, Élie et Hortense. Il n’y aura pas Marcelle et Roger. Nous ne pouvons faire ce repas à la maison faute de place, mais ce sera à Saint-Cyprien. Nous espérons que vous êtes tous deux en bonne santé ainsi que tante. Quant à Léon, il nous disait sur sa dernière qu’il pensait venir en permission au commencement du mois de mai. Nous y sommes, donc il ne tardera pas à venir. Élie est parti lundi dernier pour rejoindre la caserne de Foix d’où il nous a adressé une carte postale. Il croyait pouvoir aller à Pamiers, mais il nous a dit qu’il avait eu des inconvénients.

Chers Louis et Léonie, je vous quitte dans l’espoir de vous lire et de vous voir bientôt. Recevez les meilleurs baisers de nous toutes.

Votre cousine. Anna

 

Jeudi 2 mai 1940 lettre F.M.                                                        136

 

Bien chère maman,

La présente lettre aura un jour de retard, car c’est hier que j’aurais bien voulu te l’envoyer, mais le temps m’a manqué. Toute la journée avec la voiture, j’ai circulé d’un village à un autre pour installer des lignes téléphoniques. J’ai eu le plaisir de voir André Artigue qui, lui aussi, est au repos. En ce moment, je t’écris du bureau de poste du village où nous sommes au repos. Je suis là de garde au téléphone jusqu’à demain matin. Ensuite, ce sera le tour d’un autre. Hier, par l’intermédiaire d’un Tarbais qui est à ma compagnie et qui revenait de permission, j’ai reçu un colis de Léonie. Donc, bien chère maman, tout va très bien, et tout ira encore mieux lorsque mon tour de permission sera arrivé, mais il est encore assez loin, hélas. Je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Vendredi 3 mai 1940 lettre (25)                                                      137

Reçue le 6, réponse le 8

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

C’est hier soir que m’est parvenue votre lettre du 30 alors que j’étais de service au central téléphonique du bureau de poste du village avec un des copains qui était avec moi là-haut. Hier soir également, nous avons pris le repas chez la bonne femme où nous logeons. Nous étions : 2 sergents, 1 caporal-chef et 4 caporaux. C’est notre sergent téléphoniste qui nous a offert çà pour fêter son départ en permission.  Quelques bonnes bouteilles ont été débouchées. Chère sœur, comme je te l’ai déjà dit, nous revoilà au pays des cigognes, mais cette fois nous avons le plaisir de les voir évoluer ou juchées au-dessus de leur nid.  Avec le printemps, elles sont aussi revenues. Rassure-toi, je n’oublierai pas de m’en procurer quelques-unes. De l’argent, je n’en ai pas besoin jusqu’à mon arrivée en permission, soit dans environ deux à trois semaines. Je reprends la lettre que j’avais dû abandonner pour me rendre avec l’adjudant des transmissions dans un village voisin. À mon tour, je dois féliciter Louis pour la belle adresse tout en lui disant que je pense à lui pour les cigarettes. Chère sœur, tu as l’air de me reprocher mon sourire et pourtant c’est cette bonne humeur, quasi constante, qui me fait être estimé des chefs. C’est tout au moins ce que m’a dit, hier en tête à tête, le capitaine qui est vraiment très gentil pour moi. Je n’ai toujours pas reçu le certificat du maire, mais j’attendrai d’être en permission pour l’obtenir. Tout va bien. Je vous embrasse de tout cœur. Léon

P.S. Hier soir, j’ai aussi reçu une lettre des patrons.

 

Dimanche 5 mai 1940 lettre F.M.                                                   138

 

Bien chère maman,

Aujourd’hui, nous avons la pluie, oh, une pluie très fine, très douce. Hier, ayant obtenu l’autorisation du capitaine, je me suis rendu avec deux copains, en bicyclette, au village où nous avons passé notre précédent repos (celui où j’étais lorsque j’étais venu en permission).  Les habitants étaient heureux de nous revoir et auraient voulu que nous revenions chez eux. Ils avaient gardé un bon souvenir du 49e. Hier soir, le cinéma aux armées nous a donné une représentation gratuite à laquelle j’assistais. Nous sommes rentrés tous satisfaits de cette soirée qui nous a fait vivre quelques heures de gaieté. Notre séjour ici se poursuit agréablement, mais étant désœuvrés, nous songeons trop à partir en permission et cela nous fait paraître le temps plus long. J’espère, toutefois, si tout va bien, venir te retrouver d’ici une quinzaine de jours. Avant-hier, j’ai reçu une longue lettre de Léonie à qui j’ai d’ailleurs répondu aussitôt après. Bien chère maman, tout va bien, je n’ai besoin de rien, la santé est excellente et je souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même.

Ton fils qui t’embrasse et ne t’oublie pas.  Léon

 

Lundi 6 mai 1940 lettre (26)                                                         139

Reçue le 9, réponse le 11

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai attendu le passage du vaguemestre croyant qu’il m’apporterait une de vos lettres. Peine perdue. Aussi, je m’empresse de vous faire deux mots afin qu’il les emporte et que vous ne restiez pas sans nouvelles trop longtemps. Avant-hier après-midi, avec deux copains, j’ai été en vélo à Weiterswiller où nous avions passé notre précédent repos. Nous avons été très bien accueillis, tout le monde était content de revoir des hommes aux écussons du 49e. Nous avons mangé chez le boulanger et, ensuite, nous sommes rentrés avec la camionnette qui avait transporté les permissionnaires à la gare. Nous avions fait le voyage aller en vélo (18 km), munis d’un laissez-passer signé du capitaine. Le soir, ici, nous avons assisté à une séance gratuite de cinéma. Je ne suis pas encore fixé sur la date de mon départ en permission. Je compte environ quinze jours. Hier, j’ai écrit à maman. Demain matin, nous allons aux douches en camion, à cinq kilomètres d’ici. L’après-midi, match de football auquel je ne participerai pas. Peut-être, irai-je en spectateur. Notre séjour à Uhrwiller se poursuit dans de bonnes conditions. Le temps, seul, n’est guère favorable. Ici aussi, nous commençons à gagner la confiance des habitants qui ont eu tôt fait d’apprendre à nous connaître. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon

 

Mercredi 8 mai 1940 lettre (27)                                                      140

Reçue le 11, réponse le 13

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Hier soir, vers 17 h 30, à notre retour, j’ai trouvé votre lettre du 4. Nous venions d’assister successivement à un match de football et un match de rugby joués par des équipes formées par des joueurs de tout le régiment. Au début de la deuxième partie, notre général, se trouvant de passage par-là, s’est arrêté et a assisté à toute la partie tellement elle était intéressante. À la mi-temps, il est rentré sur le terrain pour féliciter les équipes qui, au garde-à-vous, ont répondu à son salut. J’ai l’impression qu’il est très gentil, son âge : 56 ans d’après ce qu’on en dit. Le matin, en camion, nous avons été nous doucher à Obermodern, tout près de Bouxwiller. À mon retour, j’ai fait la lessive et hier soir c’était sec. À L’instant, je viens d’écrire à maman et à Toulouse. Je ne sais toujours pas quand j’arriverai et ne crois pas pouvoir vous le fixer, car nous ne le savons que deux ou trois jours avant. J’espère tout de même être parmi vous d’ici une quinzaine. J’ai reçu la dernière lettre d’André le 25 et j’espère bien que nous nous trouverons ensemble en permission. Hier après-midi, j’ai vu, au match, Buerba d’Arreau : lui non plus n’est encore parti. En ce qui concerne l’adresse, il n’y a que le numéro de secteur qui a changé. Au coin gauche de ta lettre, je vois, remarque 3f.4 – que veux-tu dire ? J’y retrouve, en arrangeant les chiffres d’une certaine façon, le numéro de la Chenard. Est-ce de ça qu’il s’agit ?

Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Léon                  

P.S. Le bonjour chez M. Mounard et autres.

 

Mercredi 8 mai 1940 carte postale                                               141

 

Bien chère maman,

Un petit mot pour te dire simplement que tout va bien. Je suis toujours au repos et espère bien aller te retrouver d’ici une quinzaine de jours, avant peut-être. Mais, ici, il est difficile de fixer une date, nous ne sommes au courant de notre départ que deux ou trois jours avant. Hier, j’ai reçu une lettre de Louis et Léonie. À l’instant, je viens d’écrire à Toulouse. La santé est excellente et je souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même. Ton fils qui t’embrasse et ne t’oublie pas. Léon


*****

 

Vendredi 10 mai 1940 : Huit mois après le début officiel de la guerre, l’offensive allemande est lancée contre les Français et les Britanniques retranchés derrière la ligne Maginot. Hitler attaque par surprise le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas. « Plus d’un million et demi de prisonniers de guerre français ont connu la captivité en 1940. Près d’un million d’entre eux ont subi une captivité de près de cinq années. » [2]

 

Du soldat au combattant, il n’y a qu’un pas à franchir

 

Samedi 11 mai 1940 lettre (28)                                                       142

Reçus lettres et colis le 15, réponse de suite

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Hier soir, tout en venant me chercher au village où était le 3e bataillon, le conducteur de notre voiture m’a apporté le courrier me permettant ainsi de le dépouiller plus tôt. J’avais été déposé dans ce patelin au début de l’après-midi afin d’y récupérer le matériel téléphonique que nous y avions installé et, après le départ du bataillon, rétablir à la poste le téléphone civil. J’ai passé un bon moment avec André qui attendait, fin prêt, le moment de partir. J’ai aussi aperçu Buerba d’Arreau qui lui aussi remontait. Quant à nous, pour le moment, nous restons ici. Le bataillon qui était ici, au même village, en même temps que nous est également remonté. Depuis hier, les permissions sont à nouveau suspendues. Peut-être, un de ces jours, vous enverrai-je un colis où je mettrai le pull et toutes les autres affaires inutiles, car nous avons bien assez d’affaires à trimbaler. Les jours derniers, j’ai reçu des journaux. Aujourd’hui, deux en ce qui concerne la chanson du 7e BTM.  Tu m’excuseras, mais je ne puis te donner l’air ne le connaissant pas.  Hier, j’ai reçu une lettre de Robert, mais, je suis gêné pour lui écrire : la mère Sabathié est-elle toujours avec eux et puis son adresse n’est pas très lisible : quel numéro de l’avenue J. Jaurès ? 303 ? Ces jours derniers, j’ai également reçu une lettre d’A. Saint-Martin. Clouzet est pionnier à notre compagnie tandis que le cousin à Mme Bordenave fait partie d’une compagnie de pionniers attachés à notre régiment. Dès que j’aurai un moment, j’enverrai un mot à Élie. Tout va bien, il ne me manque rien. Je vous embrasse bien fort. Léon

 

En pièce jointe au colis

 

Chère sœur,

Comme il se pourrait que je tarde encore assez à venir en permission et que d’ici là nous ayons à nous déplacer, peut-être plusieurs fois même, je m’empresse de te faire parvenir dans ce colis des affaires qui me sont inutiles. Garde tout le tabac que je t’envoie, à l’exception naturellement de celui dont aura besoin Louis. Quant aux broches, choisis celle ou celles qui te conviendront, mais malgré cela garde-les toutes.

 

Ci-dessous, la liste du contenu du colis :

Passe-montagne, Pull grenat, 15 paquets de tabac, 12 paquets cigarettes, 2 paires de chaussettes, 1 cornet de gâteaux secs (Weiterswiller), 9 broches diverses, 1 caleçon, 2 tours de cou.

Dès que tu seras en possession du colis, tu me le feras savoir. Tout va toujours bien, il ne me manque rien, sommes toujours au même endroit. Je vous embrasse de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Samedi 11 mai 1940 lettre F.M.                                                     143

Cachet d’Uhrwiller sur la lettre

 

Bien chère maman,

Étant de service au téléphone du bureau de poste du village où nous sommes toujours, je me suis amusé à mettre un coup de tampon au haut de ma lettre. Hier soir, j’ai reçu des nouvelles de Louis et Léonie. Les permissions étant à nouveau arrêtées, j’ai préparé un petit colis pour Léonie dans lequel j’ai mis tricot, passe-montagne, cache-nez. Je n’ai plus besoin de tout ça et, si nous nous déplaçons, nous avons bien assez d’affaires à porter. Dans l’après-midi d’hier, j’ai vu André Artigue et Adolphe Buerba d’Arreau qui, tous deux se préparaient à se rapprocher des positions. Quant à nous, pour le moment, nous ne savons rien. Peut-être, resterons-nous ici avec le colonel. Aujourd’hui, le temps est orageux, les gens se dépêchent à semer les pommes de terre. Pour le moment, tout va bien, il ne me manque rien. Chère maman, je termine pour aujourd’hui, espérant que la présente lettre ira te trouver en parfaite santé. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Mardi 14 mai 1940 lettre (29)                                                        144

Reçue le 17, réponse aussitôt

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Laissez-moi tout d’abord vous rassurer en vous disant que toutes vos lettres me parviennent. Par celle-ci, je viens répondre à la vôtre du 11 qui m’est parvenue hier au soir. Depuis quelques jours, le temps est tout à fait au beau et certainement que les sauvages d’en face avaient consulté le baromètre avant de déclencher leur attaque de grande envergure. Aussi, depuis trois jours, entendons-nous le grondement lointain et continu de l’artillerie. À maintes reprises, nous avons été survolés par les appareils ennemis qui ont eu la lâcheté de mitrailler des petites agglomérations voisines, des gares. Ici, rien à signaler pour le moment, mais, comme il pourrait leur prendre la fantaisie de piquer, nous partons dans la nature, sur les coteaux qui encerclent le village et là, avec tous nos fusils mitrailleurs, nous attendons qu’ils viennent accomplir leur sauvage exploit de mitrailler et bombarder la population civile. Hier soir, vers sept heures, trois bombardiers avançaient en formation. La DCA les a contraints à faire demi-tour alors qu’ils étaient presque sur nous. Je ne sais pour combien nous sommes ici, nous pourrions certes être beaucoup plus mal. André Saint-Martin[3], lui hélas, doit être « aux premières », car ça a l’air de chauffer par là-haut. Je vais lui envoyer un mot car je lui dois la réponse. J’espère qu’au moment où vous parviendra la présente vous aurez reçu mon colis que je vous ai envoyé avant-hier. Il est vrai qu’ils mettent plus de temps que les lettres. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère.  Léon

 

Mardi 14 mai 1940 lettre F.M.                                                      145

 

Bien chère maman,

Hier au soir, j’ai reçu une lettre de Léonie à qui je viens de répondre à l’instant. Pour le moment, nous sommes toujours au même village. Jusqu’à quand ? Je ne le sais. Depuis quelques jours, le temps est au beau, le soleil commence à chauffer. Je suis toujours en parfaite santé et souhaite de tout cœur que le présent petit mot aille te trouver de même.  Hier, Lundi de Pentecôte, nous avons assisté à un petit spectacle : pendant toute la matinée, les petits garçons du village faisaient la tournée des maisons pour ramasser les œufs (les œufs de Pâques). Ils étaient deux par deux, portaient un panier et l’un, sur l’épaule, portait un petit sapin garni de fleurs en papier de toutes couleurs. Nous prenions plaisir à les voir. Cette coutume étant un peu différente de la nôtre. Je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Vendredi 17 mai 1940 lettre (30)                                                   146

Reçue le 21, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Depuis ce matin 6 h. et jusqu’à la tombée de la nuit je suis, de DCA, dans un trou cylindrique, au haut d’un coteau aux abords immédiats du village. Nous avons un fusil-mitrailleur installé afin de pouvoir tirer sur les pirates de l’air dans le cas où il leur prendrait la fantaisie de venir piquer sur le patelin. Il était deux heures de l’après-midi et, j’allais me mettre à écrire lorsque, un des deux copains qui sont de service avec moi vient me dire : « Je viens de voir tout près d’ici un lièvre qui traversait le chemin et rentrait dans une vigne ». Je prends mon mousqueton et nous voilà partis. Arrivé à ladite vigne, je le vois, accroupi de dos à moi, à environ 40 mètres, j’épaule, je tire et le voilà raide. À l’instant, je viens de le descendre au cantonnement. D’après les dires de tous les admirateurs, il pèse de trois à quatre kilos. Le sergent va se charger de le préparer et avec les autres caporaux nous le mangerons, peut-être à tous, mais les parts seront bien petites. J’ai reçu votre lettre du 13 ainsi que la fameuse copie. Hier soir, nous avons eu un petit orage et aussi un petit orage de bombes sur un village voisin.  Aujourd’hui, le temps est couvert et un peu frais. De ce fait, les oiseaux de proie ne viennent pas trop nous survoler. Je ne sais pour combien nous sommes encore là. Tout va bien et je souhaite de tout cœur que la présente aille vous trouver en parfaite santé, Louis complètement rétabli. Léon

 

Vendredi 17 mai 1940 lettre F.M.                                                 147

 

Bien chère maman,

Après trois jours de silence, je viens par ces quelques mots te dire simplement que tout va toujours bien, la santé est excellente et je souhaite de tout cœur que le présent petit mot aille te trouver de même. Notre petit repos se poursuit toujours au même village. Avant-hier, j’ai reçu une lettre de Léonie dans laquelle était joint le certificat que j’avais demandé au maire. Bien chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur. Ton fils qui pense à toi. Léon


 

Samedi 18 mai 1940 : « Remaniement du gouvernement Reynaud. Pétain ministre d’État et vice-président du Conseil. » [4]

 

Lundi 20 mai 1940 : « Des unités alliées sont encerclées à Dunkerque. » [5]


 

Lundi 20 mai 1940 carte postale                                                    148

Reçues le 24, réponse de suite à 2 h.

 

Bien chère sœur et cher Louis,

J’ai reçu avec un peu de retard, vu les circonstances et notre petit déplacement, votre lettre du 15 m’apprenant avec plaisir que vous étiez en possession de mon petit colis. Je suis content qu’il vous soit parvenu en bon état et qu’il vous ait fait plaisir. Quant aux cartes, j’en avais acheté quelques-unes et croyais bien vous en avoir déjà envoyé. Voilà chose qui sera faite, ce sont les dernières. Depuis samedi après-midi, nous sommes à Bischholtz, à cinq kilomètres du précédent village. Ainsi, nous sommes tout près du colonel. Les habitants sont très gentils. N’étant pas très nombreux, beaucoup ont pu trouver des chambres. Tous les caporaux et sergents de chez nous en ont, ce soir, pour la première fois depuis le début de la guerre. Je vais pouvoir coucher dans des draps, car le sergent partage le lit avec moi. Comme ça ne me tentait guère, le sergent m’a dit : « Tu es le seul de nous qui couche dans la paille, si on le veut, nous coucherons ensemble » et j’ai accepté. Mauvaise habitude peut-être, mais nous sommes habitués maintenant à prendre comme ça vient. Quand il le faudra, nous reprendrons la paille. Hier soir, j’ai reçu une lettre de Marseille (50 F) ainsi qu’une de Toulouse et je crois que ces dernières comptent sur vous pour la communion de Marcelle, sur moi aussi, mais je crois que ce n’est pas la peine, ce n’est guère le moment. En dehors de çà, tout va très bien, le secteur est très calme. On entend moins ces jours passés les canons. Quant à l’aviation, elle est aussi moins active. J’ai aussi reçu une lettre d’Hélène m’apprenant qu’Élise vous avait rendu visite. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Bischholtz, le 25/05/1940

 

Lundi 20 mai 1940 carte postale                                                  149

 

Bien chère maman,

Avant-hier, j’ai reçu une lettre de Léonie dans laquelle elle me disait avoir reçu mon colis contenant des effets d’hiver dont je n’ai plus besoin. Hier, j’ai eu une lettre de Toulouse et aussi une de Marseille accompagnée d’un mandat de 50 francs. Depuis samedi après-midi, je suis dans un autre village, à cinq kilomètres du précédent. Ainsi, nous nous sommes rapprochés du colonel. Nous sommes toujours au petit repos. Tout est bien calme. Les habitants sont très gentils. Ça va toujours très bien. Je n’ai besoin de rien. Je termine, espérant que cette petite carte ira te trouver aussi en bonne santé. Ton fils. Léon

 

Mercredi 22 mai 1940 lettre (32)                                                   150

Réponse le 29

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Votre lettre du 17 est venue me trouver au village où je suis depuis samedi dernier. Après environ une semaine de beau temps ; ce matin, nous avons eu une petite pluie d’orage et maintenant, à quatorze heures, il pleut à nouveau, mais je crois que ça ne durera pas. Hier, j’ai écrit à Robert Duclos et à Marseille pour le remercier de son petit mandat. En ce moment, je vous écris de notre chambre, où ma foi, nous sommes bien tranquilles, bien chez nous. Le matin, nous prenons un bol de café au lait avec beurre et deux petits pains. Tout çà pour quarante sous. À midi, nous mangeons à l’ordinaire avec tous les copains. Le soir, le menu étant un peu moins bon, nous prenons la soupe, et, nous achetons ce que bon nous semble. Dans la cour où nous avons installé une cuisinière réquisitionnée quelque part dans la nature par nous-mêmes ; nous faisons cuire œufs, côtes, haricots, pois, etc. Il faut bien nous soigner puisque nous le pouvons. Après, nous verrons. On ne parle pas pour le moment de nous faire remonter, mais, les ordres sont si vite arrivés et exécutés. Le courrier entre Hélène et moi et, vice-versa, marche un peu au ralenti, car, je n’ai pu m’empêcher plus longtemps de lui expliquer le cas. Fais comme si tu ne savais rien. À part ça, tout va bien. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Jeudi 23 mai 1940 lettre FM                                                        151

 

Bien chère maman,

Un petit mot seulement pour ne pas te laisser durant de longs jours sans nouvelles. Nous sommes encore au petit repos dans le même petit village et pour le moment, au moins, nous n’avons point compris que notre départ en fut proche. Nous avons gagné çà, car nos deux précédentes montées en lignes ont été assez longues. La santé est excellente, le moral aussi et je souhaite de tout cœur que la présente aille te trouver de même. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Samedi 25 mai 1940 lettre (33)                                                      152

Réponse le 29

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Votre gentille lettre du 21 est venue me trouver hier au soir alors que j’étais de service au fusil mitrailleur installé en DCA à l’entrée du village. Un seul rapace est passé dans la journée, à haute altitude, et s’est borné à jeter des tracs. Je crois que notre séjour ici tire à sa fin.  Voilà demain, huit jours, que nous y sommes. Il paraitrait que nous avançons de 9 kilomètres de plus. Ce bond nous laissera à encore une douzaine de kilomètres de la frontière. Donc, nous serons encore en lieu à peu près sûr d’autant plus que notre front est très très calme. Lorsque nous étions en ligne, avec l’autre division, nous avions l’air de nous plaindre. Maintenant, nous voyons qu’il valait mieux tenir les lignes à ce moment que maintenant. De plus, les régiments avec qui nous étions à ce moment sont partis vers la Belgique. Nous avons quitté la division à point. D’après les changements successifs de Louis, je vois qu’il y a du remue-ménage un peu partout et je crois qu’avec ce remaniement ministériel ça va barder aussi. Au sujet de la copie, je l’ai.  C’est déjà beau, maintenant comme tous, j’attends qu’on me la demande, mais je crois que tout çà est tombé à l’eau et que nous restons comme nous sommes. Chère sœur et cher Louis, je terminerai pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Tout va bien, il ne me faut rien.

Avant-hier, j’ai reçu une lettre de cousine de Luchon qui me prie de vous transmettre le bonjour ainsi qu’à maman.

Le civet qui m’avait été porté ici en moto – car j’étais parti avant les autres – était excellent, très bien préparé. Tous les téléphonistes y ont goûté. Léon

 

Premières manœuvres et écoute radio au 126e RI de Brive

 

 

Dimanche 26 mai 1940 carte postale                                              153

 

Bien chère maman,

Une fois de plus, nous nous préparons à repartir. Le départ se fera certainement, comme d’habitude, à la tombée de la nuit afin d’être moins vu des avions qui nous survolent souvent. Je crois que nous ne ferons qu’une dizaine de kilomètres et que nous nous arrêterons, une fois de plus, dans un village habité. Depuis quelques jours, nous avons le beau temps, mais aujourd’hui, il fait lourd et je crains pour ce soir un orage. Hier, j’ai écrit à Léonie et, avant-hier, à Marseille. Cousine de Luchon qui m’a écrit ces jours derniers t’envoie bien le bonjour. Tout va bien, il ne me faut rien. Bien chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur en espérant que la présente ira te trouver en parfaite santé. Ton fils. Léon

 

Lundi 27 mai 1940 lettre (34)                                                         154

Reçue le 31, réponse le 01/06

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Voilà un mois, jour pour jour, que nous quittions la région de Rott, Wissembourg, etc. Nous voilà à nouveau sur la route des positions. Hier soir, nous avons quitté le petit village où notre séjour n’a été que d’une semaine. En ce moment, nous en sommes à 17 kilomètres que la plupart ont faits à pied avec tout le chargement. Quant à moi, je suis monté plus à mon aise – malgré que la place ne fût pas des plus confortables – j’étais derrière notre motocycliste, mais le siège manquait : un deuxième se trouvait dans le panier, car, depuis environ un mois, nous avons une moto comme celle des Hussards. Ce soir, deuxième étape qui sera – je suppose – aussi la dernière. Cette fois, nos positions seront entre les deux premières – autrement dit – dans le même secteur. J’ai reçu, hier soir, votre lettre à tous deux datée du 24 : ça marche assez vite, j’ai écrit un mot à maman. Avant-hier, j’ai écrit à Élie, à vous deux, à Raymond Mur et chez Estrade. Cher Louis, merci pour tes conseils. Je suis de ton avis, quant aux petites Alsaciennes, il y en a de bien gentilles et de temps en temps on fait quelques brins de causette. Il faut bien se distraire un peu. Bientôt, je vous enverrai quelques photos ; dès que nous serons arrivés et installés. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon

 

Ci-joint un brin de muguet que j’ai cueilli hier, avant notre départ, dans un petit bois.


 

Mardi 28 mai 1940 : « Capitulation de l’armée belge. Le roi Léopold III se constitue prisonnier. » [6]



Mercredi 29 mai 1940 lettre F.M.                                                  155

 

Bien chère maman,

Nous voilà, depuis hier soir, installés dans un village assez important évacué ces jours derniers seulement. Aussi, tout est beau à voir, les jardins sont bien travaillés, les pommes de terre dans les champs atteignent quinze centimètres de haut. Nous nous retrouvons à environ une dizaine de kilomètres en arrière du village où nous étions pendant notre première montée. Le coin est très calme et nous pouvons être tranquilles, car devant nous est la barrière quasi infranchissable constituée par la ligne Maginot. Nous sommes bien installés dans une grange. Une pièce attenante à la maison et indépendante nous sert de salon de correspondance. Nous avons l’électricité, ce qui est bien agréable, bien appréciable. La santé est toujours des meilleures. Hier, j’étais un peu fatigué, car en deux jours, nous avons parcouru environ 40 kilomètres à pied, naturellement pour arriver ici. Aujourd’hui, presque tout le monde est d’aplomb à l’exception, évidemment, de ceux qui avaient les pieds blessés. Bien chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant de tout cœur. Ton fils. Léon

 

Jeudi 30 mai 1940 lettre (35)                                                          156

Reçue le 03/06, réponse le 05/06

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

À nouveau, depuis avant-hier soir, nous voilà installés. Combien de jours passerons-nous ici ? Je n’en sais rien. Notre position, une dizaine de kilomètres en arrière du village que nous occupions en octobre lors de notre première montée. Nous logeons dans un village assez important évacué tout dernièrement. Aussi, tout est beau à voir, toutes les terres sont cultivées, les jardins en très grand nombre - car paraît-il, la majeure partie des habitants étaient des ouvriers d’usine – sont aussi très bien tenus. Nous avons fait la cueillette des radis, les pois sont en fleurs, les pommes de terre hautes de 15 centimètres. L’hiver prochain, nous pourrons encore ramasser des patates afin d’améliorer le menu des roulantes. Le coin est assez calme. Seule, la nuit, l’artillerie adverse tape et parfois assez près de nous.

Hier, j’ai écrit à maman et à André Saint-Martin. Le petit incident avec "H" est réglé. C’était une blague. Ces jours derniers, j’ai reçu une lettre de Madame Chalmandrier. Plus rien de nouveau, tout va bien. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant de tout cœur. Léon

 





[1] Dernier colis remis le 28/04 par Clouzet et contenant : Pilchards, thon, pâté, thé, sucre, gibbs, papier à lettres, biscuits, bonbons, ventrèche, saucisson, chocolat, Cognac, muguet, 2 journaux.

[2] « La Captivité, Histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945 », Yves Durand, p. 32, ouvrage édité par la Fédération Nationale des Combattants Prisonniers de Guerre et Combattants d’Algérie, Tunisie, Maroc. V. Bibliographie en fin d’ouvrage.

[3] Une note reprise sur un des feuillets de Léonie fait état d’« André Saint-Martin, matricule  52897 au stalag XVII B de Krems Gneixendorf  en Allemagne ».

 

[4] « Lettres du temps de guerre 1939-1942 », op. cit., p. 52

[5] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 556.

[6] « Lettres du temps de guerre 1939-1942 », op. cit., p. 52

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Présentation

Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

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