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dimanche 11 décembre 2022

Janvier 1940 en Alsace

 

1940

 


Janvier 1940

 

Rappel historique : Lundi 1er janvier 1940 : « Mobilisation générale en Grande-Bretagne. » [1]


           

Lundi 1er janvier 1940 lettre (--)                                                      76

Reçue le 6, réponse le 7 à Cadéac

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Merci à tous deux, à Louis pour le charmant minois que porte sa carte, mais hélas ! qui est loin de remplacer une poupée naturelle. Merci aussi à toi, chère sœur, pour ta longue lettre arrivée par le même courrier. Et pour ce matin, c’était tout.

Ce matin, la température est plus douce, le ciel est assez clair, mais le soleil ne réussit pas à percer.

Hélène m’avait écrit également que Roger était bien pris pour les quelques derniers jours qu’il avait à passer et qu’elle doutait de pouvoir vous emmener son frère.

Je recevrai, avec plaisir, les Républicains envoyés. Je les lis assez souvent, car je connais des Tarbais qui le reçoivent et, le soir, au foyer, nous nous le passons. Ceux du colis étaient amusants, je m’étonne de ne pas te l’avoir dit – l’idée est passée entre les lignes, sans doute.

Quant au colis des patronnes, je crois vous avoir dit déjà que je l’avais reçu. Il avait été expédié par la gare sous forme de colis agricole « conserves ».

Il nous est très agréable, maintenant, avec le poste, d’aller passer de bons moments au foyer – installé dans une salle de classe bien chauffée.

Je viens de transmettre vos vœux à Massaly qui écrit à sa femme. Il est à côté de moi et me charge, quoiqu’un peu tardivement, de vous transmettre les siens.

Quand partons-nous ? Je n’en sais rien.

La santé est excellente à l’exception de mes genoux qui ne me font plus de mal – mais quand même – je continue de me faire soigner, la chaleur ne peut m’y faire que du bien.

Je vous embrasse bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon

 

Mercredi 3 janvier 1940 carte-lettre                                              77

 

Bien chère maman,

Toujours du même village où notre repos se prolonge, je t’envoie ces quelques lignes pour te dire que tout va bien. La santé est bonne, malgré les grands froids qui persistent.

Voici deux jours, j’ai reçu une gentille lettre de la famille Estrade à laquelle je vais répondre sous peu. Je reçois de bonnes nouvelles de partout et espère que la présente ira te trouver en parfaite santé.

Quant à la permission, je ne crois pas l’obtenir avant les premiers jours de février. J’aurais pourtant voulu être là pour le cochon, mais je doute fort qu’il puisse attendre mon arrivée. Chère maman, je termine en t’embrassant bien fort. Ton fils. Léon

 

Jeudi 4 janvier 1940 carte (--)                                                          78

Aux armées.  Reçue le 9, réponse de suite.

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Deux mots, toujours du même patelin, pour vous dire que ça va très bien. La petite crise de rhumatismes est tout à fait effacée. Je suis un peu enrhumé, comme tous d’ailleurs, mais rassurez-vous ce n’est rien, car ce matin, à la visite, j’ai pris la température : 37°5, tout ce qu’il y a de plus normal. J’en ai profité pour me faire mettre des ventouses et une bonne couche de teinture d’iode. Il m’est très difficile de me faire reconnaître par les toubibs, car j’ai une bonne paire de joues roses bien garnies et toujours le même sourire. J’essaie, tout de même, d’amoindrir ma belle mine en laissant pousser une barbe de plusieurs jours - (je ne me rase plus tous les 2 jours comme quand j’allais voir Hélène) – je me fais raser 1 fois par semaine seulement par le coiffeur de la compagnie. D’après un canard de ce matin, il paraîtrait que nous ne monterons plus avant le 15 janvier. Tant mieux, autant de pris.

J’ai reçu une longue lettre de chez Estrade. Par Hélène, j’ai appris que Jean était venu remplacer son frère Roger. Ils ont pu se voir avant que Roger ne soit parti.  Quant à moi, par Massaly qui depuis quelques jours est au bureau de la compagnie comme aide-comptable, j’ai pu apprendre que j’étais 136e à partir (soixante-dix sont déjà partis). Il en reste donc 66 encore et à raison de deux par jour, j’en ai jusqu’à la première dizaine de février. Donc, dès à présent, vous voilà fixés pour le pèle-porc, car je doute fort qu’il puisse arriver jusque-là. Hier, j’ai envoyé une carte à maman.

Aujourd’hui, la température est sensiblement plus douce, mais malgré cela, il fait encore bien froid. Hier, le vin était gelé dans les barriques ; des boules de pain étaient gelées. Afin de pouvoir le manger, il a fallu le mettre à l’intérieur d’un four afin qu’il ne ramollisse pas.

Je termine en vous embrassant bien fort à tous deux. Léon


Toulouse, vendredi 5 janvier 1940                                                 78-1

 

Bien cher cousin,

Nous avons reçu ta lettre, laquelle nous a fait grand plaisir de te savoir toujours en bonne santé. Il en est de même de nous pour le moment.

Nous te remercions de tes bons souhaits. Comme tu dis, il faut espérer que cette situation ne durera pas et nous souhaitons de tout cœur que pour toi le bonheur vienne faire place à ce cauchemar que l’on vit depuis quatre mois. Nous espérons que tu as toujours de bonnes nouvelles d’Hélène ainsi que de Louis et Léonie. Nous en avons eu dernièrement. Je leur écris ce soir.

À Toulouse, il ne fait pas froid. Après quelques jours de grand vent très froid, la température s’est radoucie. Nous pensons que tu es toujours au même village ; il nous tarde beaucoup de te revoir. Enfin, la permission doit approcher et nous espérons que soit à l’aller soit au retour, tu nous réserveras un jour ou deux. Cher Léon, ne t’en fais pas et dans l’attente de te voir sous peu, Maman et Juliette se joignent à moi pour t’adresser nos meilleurs baisers.

Ta cousine. Anna

 

Samedi 6 janvier 1940 lettre (--)                                                       79

Reçue le 11, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu hier votre longue lettre du 1er janvier. J’espère qu’au moment où vous recevrez la présente cette maudite grippe vous aura quitté. Il n’en est pas de même pour nous qui sommes tous plus ou moins enrhumés. À part ça, tout va bien. Il fait toujours froid, mais c’est à croire qu’on se familiarise avec le froid car nous le supportons mieux. Il est deux heures de l’après-midi et je viens de lire – 10° au thermomètre. Ce matin, nous avons fait une petite promenade dans la neige, à travers le bois. Le soir, après la soupe, nous nous rendons au foyer : c’est une salle bien chauffée où, en écoutant la T.S.F. et en attendant les informations, nous jouons aux dominos et comme des gosses regardons les images d’un tas d’illustrés qui sont à notre disposition. Hier soir, nous y avons eu la visite du colonel accompagné de notre capitaine. La salle était comble. Ils étaient heureux tous deux du succès qu’obtient cette salle. Je reçois régulièrement des nouvelles d’Hélène.   À son tour, elle m’a dit vous avoir présenté Roger qui a été très heureux de vous connaître et vous trouve bien gentil. Chère sœur, merci pour le calendrier qui était joint à votre dernière lettre. Tu me dis également que Jean est à l’hôpital où est Juliette. Quel Jean ?

 D’Anna, j’ai reçu une petite carte hier, mais je n’ai pas répondu, car au bas elle avait mis : « lettre suit ». En effet, je vois que les voisins ne s’intéressent guère à moi. Lorsque je serai là, il ne faudra pas qu’ils essaient de m’approcher. J’ai reçu les deux derniers Républicains, peut-être te l’avais-je déjà écrit. Vous donnerez bien le bonjour chez Mounard à Aurensan et à tous ceux qui demandent de mes nouvelles. Ces jours derniers, j’ai également reçu une lettre de Jourdes qui avait ses bottes pour rejoindre un point… quelque part.

En terminant, j’ai le plaisir de vous dire que le pourcentage des permissionnaires étant augmenté depuis hier, il se pourrait que j’arrive vers le 25 courant. Ne m’attendez pas avant.

Je vous embrasse bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon

 

49e Régiment d’Infanterie, Compagnie de Commandement, 3e section, Secteur Postal n° 30

 

Dimanche 7 janvier 1940 lettre (--)                                                80

Clouzet. Reçue le 11, réponse le soir

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je profite de ce qu’un Tarbais, ayant comme moi fait le service au 126e et étant de la même compagnie, va en permission pour vous envoyer ces quelques lignes. J’ai reçu votre lettre du 4 ce matin.  J’espère que cette grippe vous aura quittée et que toi, chère sœur, tu auras trouvé maman en bonne santé. Je te prierai de m’envoyer un mandat, comme d’habitude, le plus vite possible.

J’espère aller vous retrouver avant la fin mois. Je vous embrasse bien fort. À bientôt de vous lire en attendant de vous voir. Léon

 

Dimanche 7 janvier 1940 carte-lettre                                               81

 

Bien chère maman,

Par ce premier dimanche de la nouvelle année, je prends la plume dans l’espoir que la présente ira te trouver en bonne santé. Quant à moi, tout va pour le mieux. Il fait toujours très froid, mais, rassure-toi, je suis bien couvert. Nous avons la neige depuis plusieurs jours. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Louis et Léonie.  En ce moment, alors que j’écris, elle doit être auprès de toi. Dans la chambre, je suis seul à écrire, pendant que deux copains dorment et qu’un troisième lit un livre devant le feu. Chère maman, je termine. Tout va bien, il ne me faut rien. Je t’embrasse bien fort. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Jeudi 11 janvier 1940 lettre                                                        81-1

Enveloppe ouverte par l’autorité militaire. Reçue le 15 au soir, réponse le 16

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu ce matin la longue lettre écrite de Cadéac. Je vais donc après avoir terminé la présente, envoyer deux mots à maman. Même sans nouvelles, je l’aurais fait, car c’est tous les quatre jours que je lui écris. Je suis heureux de la savoir en bonne santé. Je vois que je ne suis guère les lignes. Je suis près du poêle ainsi qu’un autre copain ; nous écrivons sur les genoux : il fait tellement froid que nous laissons la table de côté et pourtant nous écririons plus à notre aise. Aujourd’hui ainsi qu’hier, le soleil brille mais ne chauffe guère. Le temps est clair de temps en temps, entendons-nous, les ronflements puissants et rageurs de nos avions de chasse qui effectuent des vols de reconnaissance. Il fait très froid. La circulation automobile est pour ainsi dire nulle à tel point que le car des permissionnaires ne vient plus. Ce qui oblige ces derniers à faire une dizaine de kilomètres à pied pour se rendre à la gare la plus proche. Les routes sont couvertes d’une épaisse couche de verglas transparent sur lequel on marche très difficilement. Les chevaux ne sortent plus depuis plusieurs jours. Beaucoup, à la suite de chutes ont dû être abattus, tant de la batterie d’artillerie qui cantonne ici que de ceux de notre régiment. Les pionniers sont chargés de répandre de la terre sur les différentes rues du patelin. Malgré ce froid vif et persistant, il n’y a pas beaucoup de malades. Pour mon compte, ça peut aller. Comme la plupart, je suis enrhumé. Hier, j’ai reçu une longue lettre des Toulousaines qui comptent me voir lorsque j’arriverai en perm. Si j’emprunte cet itinéraire, je tâcherai de m’y arrêter. Oh, quelques heures seulement pour leur faire plaisir. Je compte toujours partir vers le 25. Je voudrais que le temps dont vous jouissez persiste jusqu’à mon arrivée. Alors, je me croirai sur la Côte d’Azur, car la différence avec ici est énorme.

Chère sœur, merci pour les journaux, mais à l’avenir, ne m’envoie pas Paris-Soir, il passe tous les jours. Ce matin, j’ai également reçu une lettre de Généraux qui est toujours au 18e ; d’Hélène toujours de bonnes nouvelles.

Cher Louis, j’espère qu’au moment où vous parviendra la présente, tu seras complètement rétabli de cet assaut de grippe. En ce qui concerne le réchaud, puisque ce n’est pas urgent, je verrai moi-même. J’espère que le Tarbais aura été vous trouver et que tu auras envoyé le mandat. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Léon

 

Jeudi 11 janvier 1940 lettre F.M.                                                      82

Cachet Poste aux armées du 13/01

Cachet bureau Poste Cadéac du 15/01

 

Bien chère maman,

Je viens de recevoir la longue lettre qu’a écrite Léonie et c’est avec plaisir que j’ai appris que vous étiez en bonne santé à l’exception de Louis que la grippe a surpris, mais j’espère que ce ne sera rien et qu’en ce moment il doit être complètement remis. Quant à moi, ça va pour le mieux : un peu de rhume, mais ici, qui ne l’est pas ? Il fait toujours très froid. Les routes sont tellement mauvaises que la circulation des autos est presque arrêtée. L’autobus qui venait chercher les permissionnaires ne vient plus depuis quelques jours, ce qui oblige les soldats à faire une dizaine de kilomètres à pied pour atteindre la gare la plus proche. On nous occupe à répandre de la terre dans les rues pour recouvrir l’épaisse couche de verglas glissant. C’est avec plaisir que je participerai au pèle-porc, mais je ne sais exactement quel jour je partirai : je compte toujours vers le 25 de ce mois. Une trentaine encore doit passer avant moi et ils ne partiront qu’à mesure que les autres rentrent.

Bien chère maman, je m’arrête pour aujourd’hui. Ton fils qui t’aime et ne t’oublie pas. Léon

 

Samedi 13 janvier 1940 lettre (--)                                                   83

Réponse le 20, carte verte

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Il est sept heures et demie du soir. Installé sur la table, de dos au poêle qui ronfle à tel point qu’il est en partie rouge, me voici en plein courrier après avoir fait une lettre pour Hélène, une deuxième pour André.

J’attaque la présente. Je viens donc répondre à votre carte lettre du 9 que j’ai reçu hier. Ce matin me sont parvenus les deux Républicains qui m’avaient été annoncés. Hier, j’ai reçu une lettre de Généraux me disant qu’il avait pris sa permission durant laquelle il avait travaillé. J’ai également reçu une longue et gentille lettre de Madame Chalmandrier jeune. Elle me dit que le Sarrois, Jacob, est en perm et travaille aussi. « À quand la vôtre ? Bientôt, j’espère », me dit-elle. Elle m’apprend, également, avoir eu ta visite au sujet des fourneaux qu’elle vient juste de recevoir et voilà ce qu’elle écrit : « si vous lui écrivez, dîtes-le lui, il se pourrait qu’elle ait votre lettre avant que je n’aie sa visite ». Elle termine en me faisant entrevoir que vous jouissez d’une température printanière. Qu’elle persiste au moins jusqu’à mon arrivée, car ici, toujours pareil. Nos occupations : corvées de sable pour le répandre sur le verglas qui recouvre les rues et corvées de bois pour les roulantes. C’est marrant, nous partons dans la forêt où nous abattons des chênes morts. Ces arbres étant fins (grosseur d’un timon de char) et très hauts, on les scie en quatre et chacun emporte un morceau sur l’épaule. Les voitures ne circulent presque plus ; les chevaux, n’en parlons plus et il en résulte que nous faisons les ânes, si nous voulons que les fayots soient cuits. Chère sœur, tu me demandes si j’ai besoin d’argent. J’espère que le copain tarbais t’aura remis le petit mot et les cartes que j’y avais jointes. Je te demandais un mandat que, certainement, tu as déjà expédié. C’est tout ce qu’il me faudra jusqu’à mon arrivée. Je compte toujours partir d’ici vers le 25, car la cadence des départs va bon train. Aujourd’hui, quatre sont partis. D’André Artigue, pas de nouvelles ni de visites depuis plusieurs jours. Peut-être, nous rencontrerons-nous à Cadéac.  J’ai reçu, aujourd’hui, une lettre de l’autre André et je crois bien que nous nous verrons à Tarbes, sa permission étant avancée. Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui dans l’espoir que la présente va vous trouver tout à fait rétablis. Recevez mes meilleurs baisers. Léon


CARNET

Dimanche 14 janvier 1940

 

[Enfin, je retrouve le courage de pouvoir continuer ces notes commencées l’année dernière. Que de faits depuis le jour où j’avais écrit les quatre premières lignes de cette page. D’abord, cette fin d’année 39. Noël, Jour de l’An. En ce jour de Noël, nous avons eu les menus de l’ordinaire passablement améliorés. Le champagne était à l’honneur ainsi qu’un cigare : cigare et champagne Daladier. Le soir, nous avons assisté à la messe de minuit, gala à grand spectacle avec le concours de plusieurs ecclésiastiques. Le 1er Janvier, également, notre menu était amélioré. Ensuite, fait nouveau, la neige fait son apparition. Oh ! pas beaucoup, une couche d’environ dix centimètres. Le temps s’étant mis au froid, cette neige ne tarda pas à se transformer en glace qui recouvrant les routes les a rendues impossibles à la circulation tant automobile qu’hippomobile. Aussi, depuis plusieurs jours déjà, avons-nous deux occupations nouvelles, deux métiers de plus à exercer : cantonnier et bûcheron. Cantonnier, car armés de pelles-pioches et brouettes, nous nous rendons dans une carrière pour en extraire du sable que nous répandons dans les rues du village afin de les rendre moins glissantes, moins dangereuses. L’art du bûcheron, nous le déployons en corvées de bois organisées par l’adjudant-chef. La circulation de tout véhicule étant arrêtée, il nous faut approvisionner les roulantes en bois de chauffage afin que les cuistots puissent faire cuire les pois cassés, le riz, les fayots et, j’allais oublier, la bonne soupe qu’ils nous font, heureusement. Depuis l’année dernière, nous avons aussi effectué quelques promenades. Bouxwiller et Obermodern et entre autres l’excursion qui nous a menés au château d’Hunebourg[2], propriété, parait-il, habitée avant la Déclaration de guerre par un nazi. Dès les premiers jours de septembre, il disparut laissant tout ouvert. Aussi, après être grimpés par un escalier tournant composé de quatre-vingt marches au sommet de la tour d’où, parait-il, par temps clair, on peut voir la cathédrale de Strasbourg, nous avons visité la maison d’habitation récemment modernisée et richement meublée. Les pièces se trouvant sous le toit étaient entièrement lambrissées sur les côtés. Tout le long étaient installés de nombreux lits suspendus et étagés tout comme un bateau, où, puisque nous sommes en guerre, à la manière des couchettes superposées qu’on aménage dans les abris souterrains. Je dois dire aussi qu’une auberge de la jeunesse était installée là et ces aménagements avaient dû être faits dans ce but.]

 


Lundi 15 janvier 1940 : « Introduction des cartes d’alimentation. »[3]


 

Lundi 15 janvier 1940 lettre (--)                                                      84

Reçue le 20 au soir

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je viens de recevoir ce matin votre lettre recommandée du 11 et aussi le mandat qu’elle renfermait. Avant midi, je me suis rendu à la poste faire l’échange. J’avais fait de la même façon pour le mandat que m’avait envoyé le Marseillais. Je doute fort que la présente soit arrivée avant le passage de Clouzet. Si oui, je prierai de lui dire de rentrer sans retard, car de grandes sanctions sont prises à l’égard de tout permissionnaire rentrant avec du retard.

Pour le moment, je n’ai besoin de rien, ou du moins me faire des caleçons, car de ceux que j’avais emportés : les vieux sont troués, mais ne me les envoie que s’il passe. Autrement, j’attendrai la permission. Dès ce jour, je suis en mesure de vous dire que je ne sais quand je serai parmi vous. Depuis hier soir, les permissions sont suspendues. Jusqu’à quand ? Je n’en sais rien. Il se pourrait également que notre séjour, ici, ne se poursuive guère plus.

Ce matin, j’ai également reçu les deux Républicains et j’espère que l’article concernant les employés de la SNCF est à l’avantage de Louis.

Je souhaite que la présente aille vous trouver complètement débarrassés de la grippe. Ici, le temps se radoucit de jour en jour, mais il gèle quand même toutes les nuits. Donc, si ce cher Clouzet arrive, donnez-lui le bonjour de ma part et trinquez ensemble à la santé de nous tous.

Je termine en te disant que moi, je n’ai pas de golfs : à la distribution, les miens étant pour ainsi dire neufs, je n’ai pas eu à les changer. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon

 

Lundi 15 janvier 1940 lettre                                                          85

 

Bien chère maman,

Après quatre jours de silence, je viens par ces quelques mots te dire que nous sommes toujours au repos dans le même village. Le froid est moins violent que ces jours passés, n’empêche que chaque nuit il fait de fortes gelées. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Louis et Léonie à laquelle je viens de répondre. Ils ont été un peu grippés, mais cela est passé. Pour ma part, ça va très bien. La santé est excellente. J’espère que la présente ira t’en trouver de même. Quant aux permissions, elles vont un peu au ralenti. De ce fait, je ne sais exactement quand j’arriverai. Dès que je serai bien fixé, j’en aviserai Léonie.

Depuis plusieurs jours, je n’ai vu André Artigue ni reçu de lettre de sa part. Peut-être, est-il en permission. Je termine pour ce soir en t’envoyant, chère maman, mes plus tendres baisers. Léon

 

Tarbes, mardi 16 janvier 1940 carte                                                86

 

Bien cher frère,

Hier soir, nous avons reçu ta lettre du 11 et sommes heureux de te savoir mieux, nous aussi, ça s’améliore petit à petit ; et nous voici de nouveau à la pluie. Peut-être là-bas aussi, ça dégèlera un peu, pour vous faciliter les transports. Ça s’approche, aussi ne fait pas d’imprudences pour arriver et, si tu peux, arrête-toi à Toulouse. Cela dépendra de ton itinéraire. Élie doit passer une visite le 20, son frère est réformé. Si tu peux, tu iras voir Hortense. Cambot aussi est en perme. Le Tarbais passera vendredi. Tu sauras me dire si tu as reçu mandat. Bons baisers. Léonie


 

Jeudi 18 janvier 1940 : « Les gouvernements suédois, danois et norvégien proclament leur neutralité. » [4]


 

Jeudi 18 janvier 1940 lettre (--)                                                        87

Reçue le 23 au soir, réponse de suite

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je reviens par ces quelques lignes vous annoncer une nouvelle qui je crois sera bien accueillie. Depuis aujourd’hui, les permissions reprennent cours. Reste à savoir si le pourcentage sera le même qu’avant l’interruption. Si oui, je compte être parmi vous dans les derniers jours du mois. Je reprends ma lettre que j’avais quittée pour aller à la soupe. Le menu, toujours à peu près, de la bonne soupe, pour ça, nous avons de bons cuistots, tout au moins pour la soupe. Ensuite, un plat de lentilles dans lequel nageaient les portions de viande. Comme je rejoignais notre demeure, j’y ai trouvé le patron, le boulanger qui venait me demander si je pouvais lui arranger une lampe.  Après avoir pris couteau et tournevis, je descends. C’était peu de chose, revisser un bouton et remonter une poire. Un travail de quelques minutes. Sitôt terminé, il m’a fallu trinquer avec lui et le grand-père.  Nous avons déquillé quatre petits verres d’eau de vie maison (schnaps) et ensuite un bol de café au lait avec petits pains et beurre et enfin quelques petits gâteaux secs de leur fabrication. Ils sont très gentils pour nous – aussi le sommes-nous chaque fois que l’occasion se présente. C’est comme pour le bois : depuis deux mois que nous sommes là, le poêle ronfle du matin au soir et, pour le moins, nous lui avons brûlé trois à quatre mètres cubes de bois. Pauvre Louis ! Si nous avions tapé sous ton hangar, tu verrais cette trouée. Parfois, le fourneau est rouge et même une partie du tuyau. Maintenant, il est sept heures du soir et il ronfle le « monsieur ». Avant de nous coucher, nous chauffons le plus possible, car la nuit il gèle dur et le matin, vers trois heures, quoique bien couverts, le froid parvient à traverser capote, toile de tente et couvertures.

Dans la nuit du 16 au 17, nous avons eu une nouvelle chute de neige d’une épaisseur d’environ dix centimètres. Aujourd’hui, il faisait beau, mais toujours très froid aussi ai-je passé la majeure partie de la journée au chaud lisant livres et journaux.

Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène me disant que sa maman était malade et qu’Élise était auprès d’elle. Donc, chère sœur, ne t’étonne pas si de quelques jours tu n’as pas sa visite, car, seule, elle doit certainement avoir moins l’occasion de sortir. Hier, également, j’ai reçu une lettre de Blaisine. Jean de Matéou était en perm ainsi que François Sens, gendre Castet (charpentier) et Guillaume Gouaux. François Dordan passait le conseil de révision.

Chère sœur, je crois avoir assez bavardé. Je termine en vous embrassant de tout cœur à tous deux dans l’espoir de le faire sous peu de plus près. Votre frère et beau-frère qui vous aime. Léon

 

Samedi 20 janvier 1940 carte-lettre                                               88

 

Bien chère maman,

Après quelques jours de silence, je viens par ces quelques lignes t’annoncer ma proche arrivée en permission. Je compte partir vers le 25. Donc, je crois que nous pourrons tuer le cochon à la fin du mois.

Hier, j’ai reçu de bonnes nouvelles de Louis et Léonie. Pour ma part, ça va pour le mieux et j’espère que le présent petit mot ira te trouver en parfaite santé. Dans l’attente, si espérée de te voir, reçois chère maman les meilleurs baisers de ton fils. Léon

 

Samedi 20 janvier 1940 lettre (--)                                                  89

(à 3 heures)

 

Bien chère maman,

Deux mots, seulement, pour vous dire que nous avons, ce matin, une jolie couche de neige et je m’imagine qu’il doit y en avoir encore bien plus à Cadéac. Alors, comme je prévois, avec la petite bise qu’il fait, que les routes seront mauvaises, je ne me hasarderai pas à prendre le train demain matin. Surtout, qu’à moins de contre-ordres vous aurez le plaisir de nous avoir - tous trois - dimanche, car Léon pense partir le 25 pour être, peut-être ici, samedi soir. Mais, je pense qu’on pourra tuer dimanche, quand même. Vous avertirez Monsieur Estrade, si vous en voyez l’utilité. Faites-moi faire deux mots ou s’il vous faut quelque chose. Je voudrais acheter les oies jeudi prochain. Espérons que le temps s’arrangera. Louis a repris son service, hier soir. Sommes tous deux en bonne santé et souhaitons que la présente vous en trouve de même. Le bonjour à la famille Soulé. Nous vous embrassons. Louis et Léonie

 

Dimanche 21 janvier 1940 lettre (--)                                                 90

Reçue le 26 à 17 h. et lui à 20 h.

 

Chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu hier votre carte du 16 ainsi que les deux Républicains. La nuit dernière, la neige tombait à nouveau atteignant ce matin une épaisseur de 20 à 25 centimètres. Le froid persiste toujours aussi passons-nous la majeure partie de la journée dans notre cantonnement. Ce matin, pas mal de permissionnaires sont rentrés. Quatre partent ce soir et je compte bien être parmi vous d’ici dimanche. Je ne puis dire exactement quand je partirai, car ici, on ne peut se prononcer. J’espère passer quelques heures à Toulouse : je leur ai déjà annoncé mon arrivée probable. Ainsi, nous pourrons exécuter le cochon dans les derniers jours du mois. Je viens d’envoyer un petit mot à Hélène. Hier, j’ai reçu une petite lettre de Roger dans laquelle il me souhaitait de passer une bonne permission. Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort. À bientôt de vous voir.  Léon

 

Mardi 23 janvier 1940 lettre (--)                                                       91

Reçue le 27 (samedi)... et était là la veille (26)

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je viens par ces quelques lignes répondre à votre gentille carte du 20 que j’ai reçu ce matin. Le Tarbais devrait être arrivé depuis ce matin, mais j’ai compris que leur train avait neuf heures de retard. Quant à mon départ, il dépend chaque jour des permissionnaires qui rentrent : ainsi, aujourd’hui, il en partira moins que si les sept ou huit qui devaient rentrer ce matin étaient arrivés assez tôt. Donc, malgré tous les renseignements que peut me donner Massaly, je ne sais encore si je partirai jeudi (25) ou vendredi (26). Si je pars jeudi, je serai à Tarbes dimanche matin ; si c’est vendredi, je n’arriverai que lundi matin, naturellement en passant une demi-journée à Toulouse. Chère sœur, tu écris à maman que nous serons là dimanche. Ce ne serait guère possible sauf si j’arrive le dimanche matin par le train de quatre heures.

J’espère que vous aurez reçu mes deux précédentes lettres des 18 et 21 d’après lesquelles vous ne pouviez compter fermement sur mon arrivée. Ce matin, avec un camion d’approvisionnement, j’ai été faire un petit tour. Dans une petite ville où nous sommes passés, je suis rentré dans un magasin, et je vous réserve une petite surprise. D’hier matin 7 heures à la même heure ce matin, j’étais de garde, pour la première fois. Il neigeait et faisait très froid, quelque chose comme – 25°, pendant la nuit. Tout irait bien, mais, que ces quelques derniers jours sont longs à passer : je commence déjà à me préparer et, soyez sûrs que je ne serai pas en retard. En dormirai-je la dernière nuit ? Je termine en vous embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère. Léon

P.S. Avec le vif désir de vous rejoindre dimanche matin 28 ou lundi matin 29.


 Mercredi 24 janvier 1940 lettre (--)                                               92

 

Bien chère maman,

Nous avons reçu votre lettre hier matin et puis vous dire que je ferai le nécessaire pour l’huile et le café. On en trouve toujours un peu, mais ces jours-ci, je ne suis pas sortie avec ces vilaines routes, le soleil n’est pas assez chaud pour tout dégeler. Certainement qu’il nous faudra aller demain à pied au marché, peut-être pour ne pas acheter. Avec ce temps, les marchés ne sont pas sûrs.

Sûrement que vous aurez eu des bonnes nouvelles de Léon. Nous en avons eu hier soir. Mais voilà, comme les permissions avaient été arrêtées, il ne pense partir que vers la fin du mois. Alors encore rien de fixé. C’est pour cela que j’ai préféré vous écrire, pour ne rien préparer encore pour dimanche, cela pourrait arriver, comme à certains, venir nous surprendre. Dans ce cas, je vous enverrai un télégramme. Autrement, comptons pour l’autre dimanche, car Louis doit toujours reprendre le lundi soir. Enfin, maintenant, il ne saurait tarder ; bien sûr, les mariés passent avant. Alors, pas de frais pour dimanche, car n’étant pas sûre de venir, si j’ai le salé à faire cuire, mais si je peux, je viendrai. On s’arrangera, mais ce n’est pas sûr. Je vous quitte de plume. Louis se joint à moi pour vous embrasser. Le bonjour à la famille Soulé.

Hier soir, j’ai écrit à Léon et lui dis d’écrire sitôt qu’il saura quelque chose. Il faut compter deux nuits et 1 jour ½ pour venir. Il en vient à midi ou la nuit. Je vais commencer à lui préparer le lit et effets.

Bons baisers. Soignez-vous et ne prenez pas froid. Léonie


 

Jeudi 25 janvier 1940 : Les Pays-Bas réaffirment leur politique de neutralité.[5]

 



[1] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 552.

[2] Il s’agit du château d’Hunebourg, propriété en 1930 de Fritz Spieser.

[3] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 552.

[4] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 552.

[5] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 552.


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Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

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