samedi 10 décembre 2022

Novembre 1939 - de Lorraine en Alsace

 

                                                         Novembre 1939




Cliquer sur l'image de la page pour commander la version papier :
 
De repos au cantonnement, Léon de profil à l’arrière-plan

 

Mercredi 1er novembre 1939 lettre (13)                                          34

Reçue le 06/11 au matin, réponse le soir ainsi qu’à André – après envoi colis

 

Chère sœur et cher beau-frère,

À onze heures et demie, au retour de la grand-messe, j’ai pu prendre connaissance de votre lettre du 26. Je constate avec satisfaction que notre courrier nous parvient avec assez de régularité. Hier, j’ai reçu une lettre d’Hélène, toujours d’Hendaye et une d’André qui est toujours en ligne. Aujourd’hui, sitôt après la soupe, j’ai été, histoire de faire la digestion et une petite balade, rendre une petite visite à André Artigue qui cantonne au village voisin. À la grand-messe assistaient trois généraux qui, pour marquer leur passage, nous ont fait terminer le repas de midi par de la confiture et un quart de café. Au village voisin, j’ai également trouvé un nommé Puertolas de Bourisp. Par « Le Semeur » que reçoit mon voisin de lit, de paille pour mieux dire, j’ai appris que le gérant de l’Épargne du quartier, Cadeilhan de Vignec, ex-électricien, avait été blessé et se trouvait dans un hôpital. Gabas, sergent au 18e l’a été également. Ce dernier a un frère à ma compagnie. Ainsi, maman va avoir une occupation de plus. Tu peux croire que par ici, il s’en perd des betteraves et elles sont belles – je t’assure – aussi belles que des miches d’un kilo et demi. Les pommes de terre sont moins grosses que chez nous. Avant-hier, j’ai écrit à cousine de Luchon et à maman. Pour le moment, tout est calme. Nous ne savons quand nous serons relevés. Aujourd’hui il fait beau, un peu de soleil, le temps est clair mais un peu frais.

Cher Louis et chère Léonie, je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort. Votre frère et beau-frère. Léon

 

CARNET

Jeudi 2 novembre 1939

 

[Rien de saillant à signaler. Dans l’après-midi, montage d’une ligne à Nemuhl, de la 6e compagnie au central du génie.]

 

Vendredi 3 novembre 1939

 

[Secteur très calme, toujours au petit village de Siersthal. Dans l’après-midi, petite promenade à Lambach. Journée ensoleillée.]

 

Vendredi 3 novembre 1939, carte F.M.                                            35

 

Chère maman,

Je suis toujours au même village où règne le calme le plus complet. Voilà déjà dix jours que nous y sommes, n’ayant absolument rien à faire. Après la soupe, avec un copain, nous sommes partis à pied au village voisin d’où nous revenons à l’instant. Cela nous fait faire un peu d’exercice : nous avons fait des frondes et comme des enfants de huit ans, nous tirons sur les oiseaux. Avant-hier, jour de Toussaint, j’ai été à la grande messe qui a été suivie d’un service funèbre : étaient présents trois généraux, des officiers et, pour le moins, six cents soldats.    

Dans l’après-midi, j’ai été voir André Artigue qui est toujours dans un village voisin. Il n’avait reçu depuis quelques jours des nouvelles de son père. Il était bien et jouait à la balle avec trois de ses copains. Il faut bien faire quelque chose pour se distraire et faire passer le temps. Pour le moment, tout va pour le mieux : nous mangeons bien, nous dormons bien, nous travaillons très peu. Hier après-midi, nous avons cependant installé une petite ligne téléphonique.

J’ai appris par Léonie que tu avais le cochon depuis quelques jours. Elle m’a également fait part de la gentille attention d’Oncle de Marseille. Elle s’est d’ailleurs empressée de le remercier. Je termine pour aujourd’hui. Bonjour à la famille Soulé. Ton fils qui pense à toi. Léon

 

CARNET

Dimanche 5 novembre 1939

 

[Le matin, comme tous les dimanches, j’assiste à la messe. Sitôt après déjeuner, je reçois la visite d’un copain d’enfance, natif du même village que moi : André Artigue, pour le nommer, est également au 49e, mais fait partie d’un bataillon stationné à Frohmuhl et Holbach. Je prends ma capote, mon masque en bandoulière et ma canne et partons tous deux sur la route de Bitche afin d’atteindre le camp du Légeret où est caserné notre 3e bataillon et où il croit trouver d’autres copains. Là, j’ai vu des casernes modernes, bien moins austères que toutes celles que j’ai vues à ce jour. Construits très récemment, ces pavillons tout en ciment armé abritent de vastes chambres de troupe largement éclairées, munies du chauffage central. Water et lavabos à chaque palier, couloirs chauffés également. Tous ces innombrables bâtiments agrémentés d’un grand parc. Le tout clôturé d’une murette surmontée d’un grillage : ceci doit donner l’impression que l’on est moins prisonnier, moins à l’écart de la vie civile que derrière les murs massifs et très élevés de nos anciennes prisons. Notre visite terminée, n’ayant trouvé de connaissances, nous redescendons l’un sur Frohmuhl l’autre sur Siersthal contents, tous deux, d’avoir fait cette balade tout en causant un peu de nos lointaines Pyrénées.]

 

Dimanche 5 novembre 1939 lettre (14)                                           36

Reçue le 10/11 à 11 h, réponse à 1 h 30

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Avec votre lettre du 30, dont j’ai pris connaissance ce matin au retour de la messe, j’ai également reçu la première d’Hélène depuis leur retour à Tarbes. Elles n’avaient pas eu le temps d’aller vous voir, mais certainement qu’à ce jour il n’en est pas de même, et, l’une par l’autre, pour les nouvelles que vous avez reçues, les causettes engagées, vous avez certainement mieux situé ma nouvelle existence. D’André, j’ai reçu des nouvelles, il me fait quelquefois allusion à ce dimanche que nous avons passé ensemble et qu’il voudrait voir revenir ; il n’est pas le seul, je crois. À l’instant, je viens d’écrire à Hélène et à Marseille. J’ai joint comme tu me l’avais dit, mon adresse et à mon tour lui ai fait sentir que j’avais été sensible à son geste. Chère sœur, jetant un coup d’œil sur le carnet où j’inscris ma correspondance, je vois en effet que ma dernière lettre a dû se faire attendre, car j’avais passé quatre jours sans vous écrire : la raison, je ne l’ai pas en mémoire. Quoique dans le même secteur, J.M. Rumeau n’est pas aux environs immédiats, car je n’ai vu qu’un seul représentant de son unité. Pour le moment tout est calme. Nous ne savons encore rien au sujet du grand repos. Quand partirons-nous, où le passerons-nous, je n’en sais rien. On commence à nous parler, mais bien vaguement des permissions. Partiront d’abord les anciens combattants (Officiers), ensuite les pères de famille et ensuite les mariés et les célibataires naturellement les derniers. Cela ne m’empêche pas de vivre avec l’espoir de passer la Noël parmi vous. Peut-être, aurons-nous l’occasion de nous retrouver avant, mais, j’en doute. Aussitôt après manger, j’ai reçu la visite d’André Artigue qui m’a donné des nouvelles de Cadéac. Blaisine lui avait aussi écrit. Donc, pas grand-chose de nouveau. Le temps quoique maussade n’est pas très froid. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant. Votre frère et beau-frère. Léon

 

CARNET

Lundi 6 novembre 1939

 

[Le calme le plus parfait règne parmi nous et aux alentours. Par moment, nous sommes à nous demander si vraiment nous sommes en guerre. Nous roupillons à volonté, nous mangeons bien et travaillons bien peu à tel point que, de nous-mêmes, nous jugeons qu’un peu d’exercice nous manque. C’est pourquoi, bien des fois, nous partons par petits groupes faire de petites promenades. Dans l’après-midi d’aujourd’hui, en compagnie de mon copain le Lourdais Massaly, nous sommes partis sur la route de Frohmuhl. Dans cette agglomération, j’ai trouvé André Artigue. Ensuite, nous avons entrepris la fameuse côte de 17 % : la route de Bitche. À mi-côte, je m’arrête. Nous étions à Holbach où se trouvent la CA3 et la 11e. Je me mets à la recherche du sergent Guinle que j’ai connu à Weischirch. Un de ses camarades de paille m’ayant appris qu’il était sur la crête. Nous continuons la montée et au sommet je tombe sur son groupe qui terminait un abri souterrain. Après une demi-heure de causette, nous avons rejoint notre cantonnement en traversant un bois de hêtres et chênes et un deuxième bois de pins et sapins. Une fois de plus, nous avons pu voir dans le ciel un avion ennemi qui, vu son altitude, se plaisait à défier les batteries de 75.]

 

Mardi 7 novembre 1939 carte                                                          37

 

Chère maman,

J’ai reçu ce matin ta carte du 1er novembre que Léonie avait écrite. J’ai appris avec plaisir que tu étais en bonne santé. Pour le moment, il en est de même de moi. Nous sommes toujours au même village pour encore une dizaine de jours. Ensuite, nous descendrons au grand repos, nous éloignant ainsi de plusieurs dizaines de kilomètres de nos positions actuelles. Hier, j’ai encore vu André Artigue. Il est lui aussi en bonne santé. J’ai aussi écrit à Marseille pour le remercier de son attention. Je dois également répondre à mes patronnes. Aujourd’hui, une ravissante journée, on se croirait en été, si nous n’avions la vision des forêts ayant revêtu leur parure d’automne ; les feuilles en grande partie sont tombées. Chère maman, je termine. Ne t’en fais donc pas pour moi. Tout va bien. La santé est très bonne. Le travail ne nous fatigue pas. Reçois de ton fils de gros baisers. Le bonjour à la famille Soulé. Léon

 

Mercredi 8 novembre 1939 : «Attentat à l’explosif contre Adolf Hitler à Munich.[1]

 

CARNET

Mercredi 8 novembre 1939

 

[Dans la journée d’hier, nouvelles incursions d’avions ennemis. Nous apprenons par un communiqué de radio que, sur notre front neuf avions français étaient entrés en chasse avec vingt-sept avions ennemis, neuf de ces derniers furent abattus, dont sept en territoire français ; tous les nôtres rentrant indemnes à leur base. Dans la nuit d’hier à aujourd’hui, important tir d’artillerie de part et d’autre. Ce matin, revue d’armes par le chef armurier. Au début de l’après-midi, la DCA ennemie encadre un de nos avions sans succès : quelque temps après, une lutte aérienne s’engage et après de multiples acrobaties, un gros avion laissant une épaisse trainée de fumée derrière lui pique pendant que de plus petits continuent de le pourchasser. Il avait certainement eu son compte, car quelques instants après, les autres, qui certainement étaient les nôtres évoluaient adroitement au-dessus de nous, témoignant ainsi leur satisfaction pour la victoire qu’ils venaient de remporter. Cela suffisait pour nous distraire.]

 

CARNET

Jeudi 9 novembre 1939

 

[Ce matin, la pluie nous est revenue croyant nous être indispensable alors que, bien volontiers nous nous en serions passés, car, nous avions à travailler. Dans la matinée, nous avons construit une ligne téléphonique qui, passant par un PC de régiment, prévu en cas de recul, devait relier le PC actuel au camp du Légeret. Dans l’après-midi, nous avons récupéré une ligne qui, installée dans de mauvaises conditions, assurait jusqu’à ce jour par un itinéraire différent cette même liaison. La journée fut un peu dure surtout par ce temps désagréable, mais toute l’équipe est rentrée satisfaite d’avoir pu détendre un peu ses nerfs, d’avoir fait un peu d’exercice après de si longs jours d’inactivité. Après, une bonne nuit de sommeil.]

 

Jeudi 9 novembre 1939 lettre (15)                                                  38

Reçue le 13/11 à 5 h, réponse le soir

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Hier et aujourd’hui, je suis sans nouvelles. Peu importe, car je sais que demain j’aurai plusieurs lettres. Je ne veux quand même pas laisser passer un jour de plus sans vous écrire, car consultant mon carnet de correspondance, je me rends compte que voilà plusieurs jours que je ne vous ai pas écrit. Ma dernière lettre était datée du 5. Depuis, j’ai écrit à Marseille, à M. & Mme Estrade, à Madame Chalmandrier. J’ai également répondu à maman ou plus justement à la carte que tu avais écrite à Cadéac le 1er novembre. À l’instant, je viens d’écrire à Hélène : j’espère que toutes deux – depuis leur retour – vous auront poussé une petite visite. Ce matin, au réveil, nous avons eu la surprise de revoir madame la pluie ; rien d’étonnant, car nous avions à sortir, à travailler. Dans la journée, nous avons en effet installé une ligne de plus de quatre kilomètres et en avons replié une deuxième aussi longue. Nous nous serions passés de la pluie, mais nous avons accueilli avec assez de plaisir cette assez rude tâche, car depuis de nombreux jours nous ne faisions absolument rien et les journées au cantonnement commençaient à nous paraitre longues, monotones. Il est vrai que voilà plus d’une quinzaine que nous sommes là. Le milieu, suffisamment connu, n’a plus de charme pour nous et volontiers, comme les bohémiens, nous voudrions circuler, changer de contrée. Je compte bien, malgré les prolongations aussi inattendues que désagréables, que nous serons relevés d’ici une semaine et alors nous descendrons un peu plus. Hier après-midi, nous avons assisté à un combat aérien qui n’a pas manqué de nous distraire. Un gros bombardier allemand cerné par une dizaine de nos rapides avions de chasse qui voulaient le contraindre à atterrir en territoire français et s’y étant refusé fut poursuivi et mitraillé. Tout à coup, il lâche une épaisse fumée tout en perdant fortement de l’altitude. Quelques instants après, les ailes se détachèrent, il s’enflamma et les deux occupants sautèrent en parachute tombant ainsi que l’appareil dans nos lignes aux environs de Bitche, à quelques kilomètres de nous. En dehors de ça, tout est calme, la santé est bonne, tout va bien. J’espère que la présente ira vous trouver en parfaite santé. Le bonjour à tous ceux qui vous demandent de mes nouvelles. J’espère que vous aurez fait le nécessaire pour colis et mandat. Je vous embrasse bien affectueusement. Votre frère et beau-frère. Léon

 

CARNET

Vendredi 10 novembre 1939

 

[Dans la matinée, en compagnie de mon chef d’atelier, nous avions suivi une ligne partant du central PG et allant à Lambach. La panne, après maintes vérifications de ligne, fut découverte dans un bois de sapins ; nos camarades pionniers l’avaient sectionnée en abattant des arbres. Durant l’après-midi, mon plus grand travail a été de répondre au courrier que j’avais reçu le matin et de faire la lessive.]

 

CARNET

Samedi 11 novembre 1939

 

[Après avoir dégusté notre petit café au lait, nos tartines de pain grillé, mais non beurré, car ici, impossible de se procurer du beurre. L’atelier dont je fais partie avait pour missions de relier par téléphone l’observatoire Rosalie au PC du régiment. Après avoir déroulé environ un kilomètre cinq cents mètres de ligne en traversant un bois de sapins, nous arrivons au lieu-dit, à proximité de la route menant de Frohmuhl au camp du Légeret. À onze heures un quart, tout terminé, nous prenons le chemin du retour et arrivons juste à l’heure de la soupe - du festin - je pourrais dire, car quelques échos gastronomiques étaient venus depuis la veille à nos oreilles, nous laissant entrevoir un repas succulent, abondant menu : potage, deux hors-d’œuvre (sardines et saumon bien présentés dans notre couvercle de bouteillon et décorés d’oignons taillés en couronne), mouton rôti, ragout de pois, deux desserts (confiture et gâteaux secs), vin blanc et rouge (un quart de chaque), café aromatisé et pour terminer, un beau cigare, un célèbre Voltigeur. L’après-midi, assez chargée, nous l’avons passée à tirer des lignes du central actuel au central à occuper en cas de bombardement. La nuit tombait lorsque nous passions la dernière ligne. Pour un 11 novembre, la journée était bien remplie.]

 

Samedi 11 novembre 1939 lettre (16)                                               39

Reçue le 16/11 h 30, réponse de suite

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Hier matin, avec mon chef d’atelier téléphonique, un caporal-chef, qui est dans les indirectes à Versailles et connait très bien Jean Gouaux, j’ai eu pour mission d’aller réparer une ligne qui, par inattention, avait été coupée dans un bois par la hache d’un pionner. Nous ne l’avons su qu’après et, c’est pourquoi nous avons pendant plus d’une heure suivi la ligne avant de trouver la panne. À notre retour, presque à l’heure de la soupe, j’ai eu l’agréable surprise de trouver votre lettre ainsi qu’une d’Hélène dans laquelle elle me disait qu’elle irait vous voir le lendemain, c'est-à-dire le 4. Dans l’après-midi, j’ai fait chauffer de l’eau pour faire la lessive. La journée était belle, ensoleillée. Ce matin, 11 novembre, nous avons encore monté une ligne d’un kilomètre cinq cents. Pour marquer l’ancienne fête de la Victoire, nous avons bénéficié d’un repas hors classe = potage, hors-d’œuvre : sardines, saumon, rôti de mouton, ragoût de petit-pois, confiture, gâteaux secs, vins blanc et rouge (un quart de chaque), café, eau de vie. Depuis quelques jours, nous avons deux quarts de vin à midi ; un le soir. Dans l’après-midi, nous avons travaillé à ramener toutes les lignes téléphoniques du central actuel à un central à occuper – en cas de bombardement – et qui remplacerait évidemment celui qui est en service. Voilà notre emploi du temps, assez chargé ces deux jours.   C’est pourquoi je n’ai pas répondu à votre lettre hier. De plus, je n’avais pas reçu le mandat : le comptable vient de me le porter à l’instant. Je reviens à ta dernière lettre où tu me demandes des nouvelles de « la quille ». C’est aussi une petite chatte, mais elle est tellement trapue et a une grosse tête ce qui au début nous portait à croire que c’était un chat. Ces jours derniers, en ayant trouvé un, elle joue avec – mais nous la surveillons –, car le lieutenant y tient autant que nous. Ces jours derniers, elle vadrouillait – le lieutenant fait appeler notre sergent qui, croyant aller recevoir un ordre quelconque se met en tenue (casque, masque, etc.) – arrivé là, le lieutenant lui dit : « Vous avez perdu le chat ! le voilà et tâchez moyen d’y veiller, c’est bien la peine que je vous le confie », reprit-il pas trop méchamment quand même. Il me le montre tout heureux : Tiens, je ramène « la quille ». Je les regarde tour à tour : « çà « la quille », une quille pareille, la queue coupée, vous n’y pensez pas ? Il me regardait en rigolant et lorsque le lieutenant apprit l’histoire, il n’en revenait pas. Ce matin, lui ayant montré la vraie « quille », il était tout heureux et m’a encore recommandé d’y veiller.

Depuis quelques jours, peut-être l’ai-je déjà dit, nous sommes fournisseurs du lait du colonel (1 litre par jour). Tu me parles de Cambot[2]. Il doit être au service de santé divisionnaire et non régimentaire, car il serait au même régiment que moi. Il doit être à environ quinze kilomètres d’ici, c'est-à-dire à Montbronn. Pour le moment tout est calme. Je n’ai vu André Artigue depuis quelques jours : je crois que son bataillon est remonté en ligne ces jours derniers. Je ne sais quand nous descendrons pour de bon. Je termine, dans l’attente du colis en vous embrassant à tous deux. Votre frère et beau-frère qui pense à vous. Léon

Savez-vous quelque chose au sujet de l’allocation pour maman ?

Rassure-toi, en ce qui concerne les champignons, il n’y en a plus.

 

CARNET

Dimanche 12 novembre 1939

 

[Le matin, à la messe. L’après-midi, un atelier téléphonique était parti en camion jusqu’à Volmunster installer une ligne. Le lendemain, nous y remontions tous, car il y avait encore une ligne à installer ainsi qu’une à démonter.]

 

Lundi 13 novembre 1939

 

[Partis le matin après le réveil, nous sommes rentrés à Siersthal vers trois heures de l’après-midi. Il était temps, nous avions la dent. À Volmunster, nous avons visité les premières maisons éventrées par les obus allemands. Ce n’est guère beau à voir : des meubles enchevêtrés et démolis, les fenêtres arrachées, les murs recouverts d’une énorme couche de poussière dégagée des murs.]

 

Siersthal, lundi 13 novembre 1939 lettre (17)                                   40

Tampon du 15, reçue le 18/11 au matin, réponse à 1 heure

 

Chère sœur et cher beau-frère,

J’ai reçu ce matin votre lettre du 6 ainsi que le colis[3] qui m’est parvenu en parfait état. Son contenu était très varié, il ne me faut rien en plus. Quant à l’autre, je l’avais reçu dans un mauvais moment : c’était un dimanche, nous nous préparions à quitter précipitamment Danne et Quatre Vents. Arrivé au cantonnement suivant, je n’ai sans doute pas songé à t’en accuser réception. Toujours est-il, autant que je m’en souvienne, il était intact. D’ailleurs, j’ai touché quelque chose pour les effets qu’il contenait et qui auraient dû être neufs pour être remboursés : pull 30 francs, chemise 20 francs, 2 paires chaussettes 8 francs, soit en tout 58 francs. Par le même courrier, j’ai également reçu une lettre d’Hélène dans laquelle, se trouvant près de toi lorsque tu terminais le colis et ayant vu que tu m’envoyais un briquet, elle ne parait pas très satisfaite : elle me demande si je ne fume pas de trop et me dit : « À ton retour, je te tirerai les oreilles ... ». Un détail, n’arrivant pas à fumer celui auquel j’ai droit, je le stocke pour quand je reviendrai en permission (ne fais pas allusion à cette question !). Hier après-midi, avec Massaly et un autre copain, nous sommes allés à pied au premier village habité. Dans un restaurant, nous avons cassé la croûte convenablement et sommes rentrés vers huit heures satisfaits de notre virée, huit kilomètres aller et retour. Dans ce village, j’ai vu plusieurs ex-soldats et gradés du 24e qui font partie actuellement du 14e RA Je crois que parmi eux se trouve le commandant Palustran.  J’ai demandé à des infirmiers de la division s’ils connaissaient Armand Cambot : ils m’ont dit que non, qu’il devait être à un autre secteur.

Aujourd’hui, tout est très calme. Nous ne faisons absolument rien. Le temps est au beau. Nous avons le soleil depuis quelques jours. Je ne sais encore pas jusqu’à quand nous sommes là. Quant aux permissions, nous ne savons rien non plus. J’ai quand même l’espoir d’y être pour la deuxième quinzaine de décembre. À l’instant, l’ordre est arrivé pour qu’un atelier téléphonique se tienne prêt : je suis tranquille, je puis écrire, ce n’est pas le tour du mien.  Ayant apporté du gruyère du village, hier soir, nous allons faire pour dîner une soupe au fromage. Ce dernier est râpé, les oignons sont prêts. Je vais envoyer deux mots à maman et répondre à Hélène. Cher Louis, la montre marche très bien, certainement que la mienne n’aurait pas tenu le coup. Tu sais, nous avons de belles bottes et solides, marque « Dunlop » : maintenant, en installant les lignes, nous n’avons pas à craindre les bains de pieds.

J’écris du PC du colonel, je suis planton de service au téléphone. Je termine ce soir en vous embrassant bien fort à tous deux. Votre frère et beau-frère qui pense à vous. Léon

 

Lundi 13 novembre 1939 carte F.M.                                                41

 

Bien chère maman,

Plusieurs jours ont passé depuis que je t’ai écrit la précédente lettre. Je m’empresse donc de te faire parvenir ces quelques mots pour te dire que tout va très bien. Nous sommes toujours au petit repos dans le même village. Le temps est au beau, le soleil brille. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Léonie ainsi qu’un colis. Donc, maintenant, il ne me faut rien. La santé est très bonne et espère que la présente ira te trouver de même. Je n’ai pas vu André Artigue depuis quelques jours.  Hier, avec deux copains, nous sommes allés manger au premier village habité, à quelques kilomètres d’ici, cela nous a fait une promenade et nous change un peu du reste. Je termine. Ton fils qui t’embrasse. Léon

 

                                                  
                        En compagnie de Geyre, Remazeilles, Tilhous-Borde et Bur

 

CARNET

Mardi 14 novembre 1939

 

[Dans l’après-midi, en compagnie de deux copains, à travers champs, nous nous sommes rendus à Enchenberg, le plus proche village occupé par les civils. Là, après avoir bien cassé la croûte et bien bu, nous sommes rentrés satisfaits de notre sortie, en passant par Lambach.]

Jeudi 16 novembre 1939

 

     [Ce même jour, nous devions quitter Siersthal. Vers dix heures du matin, nous recevons l’ordre de charger tout le matériel sur les voitures de transmissions et de nous tenir prêts pour après le repas du midi. Donc, toute l’après-midi, nous étions en état d’alerte. À trois heures de l’après-midi, nous avons perçu le repas du soir. La roulante ayant eu à prendre la route. Nous avons quitté Siersthal à huit heures et demie du soir pour rejoindre à pied Frohmuhl. Nous avions repris nos charretons sur lesquels nous avions mis nos sacs. Une pluie fine, assez serrée, nous accompagnait comme à tous nos déplacements. Arrivés au dit village, une caravane de plus de soixante autobus nous y attendait ainsi qu’au 123e. De dix heures à minuit, sous une pluie persistante, nous avons attendu notre tour d’embarquer. Après trois heures de route, c’est-à-dire vers trois heures du matin, nous arrivons dans un village du Bas-Rhin, Weiterswiller.]

 

CARNET

Vendredi 17 novembre 1939

 

[Vers dix heures, je reçois l’ordre de me rendre au bureau du colonel pour exploiter le central téléphonique.]

 

17 novembre 1939 lettre (18)                                                        42

Reçue le 22 à 11 h.  Réponse de suite

 

Chère sœur et cher beau frère,

J’ai reçu hier matin votre lettre du 10. Je n’ai pu y répondre avant, car hier, nous nous sommes déplacés. Depuis dix heures - hier matin – donc, nous devions nous tenir prêts à partir. Finalement, nous avons quitté Weiskirch à neuf heures du soir et avons marché jusqu’à Frohmuhl, deux kilomètres. Là, environ quatre-vingts cars nous attendaient, à nous et au 123e. Après deux heures d’attente sous la pluie, nous avons embarqué et sommes arrivés à destination vers trois heures après avoir parcouru environ soixante kilomètres.

En ce moment nous sommes dans le département du Bas-Rhin.

Chère sœur, comme je te l’ai déjà dit, j’ai bien reçu le colis et le mandat. En outre, tu parles de m’envoyer un poulet. Ne t’amuse pas à ça, car les colis arrivent encore moins vite que les lettres et tu peux juger dans quel état il arriverait. Où sommes-nous actuellement ? Dans un village d’environ sept cents habitants. Il y a boulangeries, restaurants, donc, ne t’en fais pas.

J’ai reçu des nouvelles de Luchon, d’André, et régulièrement d’Hélène qui, ces jours-ci, n’a pas dû manquer de travail. Léon

 

CARNET

Dimanche 19 novembre 1939

 

[Le matin, j’ai été à la messe, c’est la première fois que depuis le début de la guerre, j’ai vu deux enfants de chœur, si charmants, dans leur tunique rouge, leur robe blanche. Notre capitaine, remplaçant l’aumônier du régiment, nous a lu l’Évangile. Les enfants de chœur firent une quête. Ici, dans les églises, pas de chaises, des bancs. Pour la quête, le premier assistant prend le plat et le fait passer au suivant arrivé au bout de la rangée, il passe au rang de derrière et la chaîne continue. L’enfant de chœur le prend au dernier, la donne au premier du rang suivant, joint ses mains et fait une révérence. À mon retour de la messe, je reprends mon service de planton téléphoniste, mais cette fois, au central civil du bureau de poste de la localité. Je profite de ce confort et de cette solitude pour répondre à mon courrier.]

 

Dimanche 19 novembre 1939 lettre F.M.                                         43

   

Bien chère maman,

Ces jours derniers, j’ai été occupé, car dans la nuit du 16 au 17, nous avons voyagé en autobus pour descendre au repos. Nous nous sommes éloignés de nos positions d’environ soixante kilomètres. Actuellement, j’écris du bureau de poste de Weiterswiller (département du Bas-Rhin) où j’exploite le central téléphonique. Le village compte environ sept cents habitants et n’a pas été évacué. Nous avons donc toute facilité de trouver à manger et acheter ce qu’il nous faut. Chère maman, tout va bien, la santé est très bonne et je souhaite que la présente aille te trouver de même. Je reçois de bonnes nouvelles de partout. Les premiers permissionnaires partent demain, mais, en très petit nombre et selon leur situation de famille et leur classe. Peut-être, mon tour viendra à l’approche du 1er de l’an, toujours pas avant. Je termine pour aujourd’hui en t’embrassant bien tendrement. Bonjour à la famille Soulé. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 

Lundi 20 novembre 1939           lettre (19)                                   44

Reçue le 25 à 11 h. Réponse le soir

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Ces jours derniers, avec notre changement de résidence, le courrier nous a été distribué un peu irrégulièrement. Hier dimanche, à mon retour de la messe, j’ai reçu une lettre d’Hélène, l’après-midi une deuxième distribution, exceptionnelle celle-là, car habituellement nous n’en avons qu’une le matin, qui m’a apporté votre longue lettre du 13. Chère sœur, tu t’inquiètes sur le sort du colis et du mandat : j’espère qu’au moment où tu recevras la présente lettre tu auras reçu celle dans laquelle je t’ai accusé réception ; sitôt reçus de l’un et de l’autre, il faut pour le moins compter cinq à six jours pour le parcours d’ici Tarbes et autant en sens inverse. Donc, il est très compréhensible que le 13 tu ne pouvais pas savoir si je l’avais reçu puisqu’il n’était parti que le 6. Tu aurais reçu certainement confirmation vers le 18. Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre de Blaisine et une d’Hélène. De la journée, je n’ai pas eu le temps d’écrire. Dans l’après-midi, nous avons passé une visite médicale et la nuit tombait lorsque nous avons été libres. Avec ce changement d’heure, les après-midis sont courtes. Depuis hier soir, Massaly, moi et un troisième copain d’Oloron ne couchons plus avec les camarades. Nous avons trouvé mieux : chez un boulanger dans un deuxième étage où nous occupons une pièce, avec une fenêtre, une table au milieu sur laquelle j’écris. Ce soir, j’ai installé une baladeuse qu’il avait. Il est très gentil, mais cause assez difficilement le français. Nous nous comprenons quand même. Il m’a fait comprendre qu’il nous accueillait avec plaisir : « soldatts français camarades ». Il avait hésité, hier soir, à nous donner la baladeuse, car d’autres soldats qui étaient passés avant nous lui avaient enlevé toute l’installation. Nous avons pris un air désolé afin de le convaincre. La table sur laquelle j’écris, il nous l’a bien recommandée : c’est un souvenir de famille, elle date de 1810, de ne pas la malmener. Je suis persuadé qu’il est tranquille, nous sommes tous trois à peu près sympathiques. Nous sommes toujours sur la paille, mais mieux abrités que sous les tuiles et aussi mieux éclairés, et aussi, nous avons plus de place. Hier, j’ai écrit à maman, à Luchon, à Jourdes, à André Saint-Martin, et à Hélène. C’est avec grand plaisir que j’apprends que satisfaction a été donnée à maman pour l’allocation. Sois tranquille que dès que j’aurai quelque chose de la commune, je m’empresserai d’envoyer une lettre de remerciements. Depuis plusieurs jours déjà, en me promenant, je songeais à cette haie du champ que, étant inoccupé, je pourrais tailler. Je m’étais promis de le faire pendant la permission, mais je crains qu’elle soit encore lointaine et, qu’elle sera trop vite passée. Si c’est fait, tant mieux, je ferai autre chose. Je vais terminer, tout va bien. Ce soir, les cavaliers du 29e CRDI sont descendus, ils étaient là-haut avec nous. J’y ai reconnu un adjudant du 2e Hussards. Une batterie du 14e d’artillerie est aussi au repos parmi nous. Là, j’ai vu un ouvrier plombier qui travaillait chez Mur. Dans sa lettre, Blaisine me dit que J.M. Montaner est en permission agricole. Tant mieux pour lui, autant de pris. Je quitte la plume pour ce soir en vous embrassant à tous deux. Votre frère et beau-frère qui pense à vous. Léon

 

Mercredi 22 novembre 1939                                                            45

Lettre (3) de Madame Raymond Chalmandrier, Tarbes (Hautes-Pyrénées)

 

Bien cher Noguéro,

Je suis un peu en retard pour vous répondre. Il ne faut pas m’en vouloir, le travail en est cause. Nous avons eu Généraux pour l’apéritif dimanche. Il a eu trois jours de perm, à l’occasion de son fils. Il a un peu maigri, il se plaint de la nourriture. D’ailleurs, je lui ai donné votre adresse. Il a promis de vous écrire. Vous ne le reconnaitrez pas, il a laissé pousser les moustaches. Nous-mêmes, nous ne l’avons pas reconnu tout d’abord. Mais, tranquillisez-vous, sa femme ne s’est pas trompée. C’est le principal.

Il fait un froid de loup depuis deux jours. Je vous plains sincèrement à vous poilus qui couchez sur la paille. Il faut espérer que cela finira bientôt.

Nous avons un travail fou et pas d’ouvriers. Réglat nous a quitté pour rentrer au Midi où est déjà son père. Heureusement que nous avons pu réquisitionner des militaires, cela nous arrange. Nous avons de très grands travaux à la Penarroya à Pierrefitte ainsi qu’à Lannemezan. Comme c’est pour la défense nationale, nous n’avons pas eu de difficulté. Jean s’est lui-même réquisitionné.

J’ai commencé votre lettre hier, la finirai-je aujourd’hui ?

Je suis sur la table au magasin et sers les clients en même temps. Ne faites pas trop attention au style, car si je ne m’y suis repris vingt fois…

Surprise, Jean vient d’avoir la visite d’un militaire lui apprenant qu’il devait se rendre au 24e pour être démobilisé. Il n’y comprend rien. Sur ma prochaine lettre, je vous dirai la raison.

J’ai eu la visite de votre fiancée hier, je lui ai dit que j’allais vous écrire. Elle est toujours bien gentille.

En attendant de vos nouvelles, veuillez agréer notre bon souvenir.

Bonjour de Raymond. Amitiés. Marcelle

 

CARNET

Jeudi 23 novembre 1939

 

[Huit jours se sont écoulés depuis notre arrivée dans ce village d’Alsace aux maisons dont les murs ornés de boiseries apparentes, aux prairies recouvertes d’arbres fruitiers et quelques coteaux plantés de vignes, quelques houblonnières. Depuis notre arrivée, nous en sommes au troisième cantonnement. En ce moment, nous sommes chez un boulanger du village qui a bien voulu nous céder une grande pièce que nous avons aménagée. Nous y avons installé un poêle qui ronfle du matin au soir. Pour nous permettre d’écrire et afin de meubler un peu plus la pièce. Il nous a surtout recommandé de la ménager, car dit-il c’est un souvenir de famille, elle date de 1810.]


Famille Albert Aron, boulanger et marchand de bois à Weiterswiller

 

Jeudi 23 novembre 1939 lettre (20)                                              46

Reçue le 27 au soir, réponse 28 matin

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Ce matin, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir votre carte verte du 16 et la lettre du 18 dans laquelle tu avais joint un papillon de presse. Hier, j’avais reçu une carte d’Hélène qui était désolée de n’avoir pu aller vous pousser une pointe avant ce jour.

Chère sœur, je reçois régulièrement ton courrier en les numérotant. Ainsi, on peut très bien se rendre compte si elles arrivent toutes.

Nous sommes toujours au repos dans le même village. Étant chez des habitants très gentils ; ce matin, ils ont mis à notre disposition un poêle pour chauffer notre pièce, car depuis trois jours il fait très froid et la nuit il gèle dur. Obier, avec un copain, nous avons aidé le boulanger à charger quatre tombereaux de fumier. Il était heureux et le soir nous avons diné à leur table.

Ce matin, notre lieutenant nous a donné 50 francs pour acheter un ballon. Le capitaine nous en a donné autant. Avec peu de choses de plus par chacun de nous, nous aurons de quoi nous procurer un bon ballon. Ainsi, nous ferons de l’exercice en luttant contre le froid et le temps passera bien plus vite qu’en restant inactifs. Je vais envoyer deux mots à maman et d’ici quelques jours j’écrirai à M. et Mme Estrade. Depuis notre arrivée ici, je n’ai pas vu André Artigue.   Il est vrai qu’il est descendu des derniers et doit cantonner au village voisin. Une batterie du 14e RA est parmi nous, mais je crois bien que le commandant Palustran n’y est pas. Tu me parles de la « quille », mais hélas ! ainsi que vache et chèvres, nous avons tout abandonné à Siersthal.

Chère sœur et cher beau-frère, je termine pour aujourd’hui. Votre frère et beau-frère qui ne vous oublie pas. Léon

 

J’avais interrompu ma lettre pour me rendre à la distribution de thé bien chaud. N’est-ce pas que nous sommes gâtés ?

 

Jeudi 23 novembre 1939 lettre F.M.                                              47

 

Bien chère maman,

Je viens à l’instant de répondre à deux lettres de Léonie que j’ai reçues ce matin. Nous sommes toujours au repos au même village d’Alsace. Depuis trois jours, il fait un froid sec et il gèle beaucoup. Pour nous permettre de nous réchauffer et afin de nous distraire, notre lieutenant et notre capitaine nous ont acheté un ballon. Nous logeons chez un boulanger où nous avons aménagé une pièce qui servait de débarras. Dans cette pièce, nous avons installé un poêle. Ainsi, nous pouvons chauffer à volonté. Depuis que j’ai quitté l’autre village, je n’ai pas vu André Artigue, mais ces jours derniers Gabas de Vielle-Aure m’a dit qu’il l’avait aperçu : il cantonne au village voisin, à environ quatre kilomètres d’ici. Joseph Mur, également, est descendu au repos ces jours derniers, mais je ne sais où il est.

Chère maman, j’espère que la présente lettre ira te trouver en parfaite santé. Tout va bien, l’après-midi, au retour de promenade, nous buvons du thé bien chaud. Ton fils qui t’aime. Mon meilleur souvenir à la famille Soulé. Léon

 

CARNET

Samedi 25 novembre 1939

 

[Il est sept heures, il fait grand jour et voilà que l’on nous rassemble pour se rendre aux douches. À pied, nous gagnons Neuwiller[4] à quatre kilomètres d’ici. Là, les appareils de douches militaires démontables avaient été installés. Nous passons donc à la douche et ayant quelques instants devant nous, nous en profitons pour visiter un peu la petite ville sensiblement plus importante que notre Weiterswiller. Nous visitons l’église Saint-Pierre et Saint-Paul dont certaines parties datent du 11e siècle. Elle renferme, en outre, des orgues riches en bois sculptés et aussi des statues anciennes. Nous reprenons le chemin du retour vers neuf heures et demie et, à notre arrivée, nous avons l’agréable surprise de trouver de la correspondance, du travail pour l’après-midi. Après la soupe, j’ai fait la lessive et, ensuite, j’ai fait mon courrier. Il est sept heures du soir, je termine mes écritures ; les copains jouent aux cartes ; le poêle ronfle.]

 

Dimanche 26 novembre 1939

 

[Au dimanche 3 décembre, toujours à Weiterswiller. Les jours se passent en deux parties bien distinctes : réveil vers sept heures, surtout pas plus tôt. Ensuite, un peu de théorie en attendant le courrier. Viennent, ensuite, l’heure du rapport et, ensuite, la soupe. La matinée est passée. L’après-midi, nous sommes tout à fait libres et pouvons jouer au ballon. Ces jours derniers a eu lieu un match de foot opposant la CRE à notre compagnie, la CDT. La première nommée a remporté la victoire et naturellement les prix, car la partie était officielle et rétribuée : 50 francs et quelques autres lots. J’assistais à ce match disputé dans un terrain marécageux sur lequel les joueurs se déplaçaient très difficilement, glissant parfois sur la boue à tel point qu’on eût cru qu’ils étaient sur des patins. Gare à celui qui était proche et face au ballon lorsqu’un adversaire tapait ; il était sûr, aveuglé par les éclaboussures de boue et d’eau, de rester planté sur place pendant quelques instants : les jambes écartées, les bras ballants à demi levés, faisant un tas de grimaces avant de reprendre le sens du jeu. Les bandes molletières disparaissaient sous une épaisse couche de boue qui, à certains, atteignait même les cheveux. Presque tous durant les journées passées en première ligne étaient loin d’avoir été aussi crottés que durant ce match. Ce n’est pas peu dire, vous pouvez le croire.]

 

Dimanche 26 novembre 1939 lettre (21)                                      48

Reçue le 30 à 5 h, réponse le soir

 

Chère sœur et cher beau-frère,

Voilà trois jours que je ne vous ai pas écrit et que je n’ai rien reçu de vous.

Ce matin, j’ai reçu deux lettres d’Hélène, une d’André qui me dit se préparer à changer de patelin. J’ai aussi reçu une lettre et un colis de Toulouse. Je suis très content du passe-montagne. Il me va très bien, est de teinte assortie à nos effets et très chaud. Dans le colis : chocolat, biscuits, sardines à la tomate, boîte de bonbons, un flacon alcool de menthe et sucre en morceaux. Je me suis empressé de répondre à leur lettre en les remerciant de leur gentil colis. J’ai également écrit à Hélène, j’espère qu’à ce jour elle aura été vous rendre une petite visite ; il est vrai que ces jours passés, elles ont été très occupées. Ces jours derniers, il a fait très froid. Hier matin, à sept heures, nous avons été nous doucher au village voisin distant de quatre kilomètres. Ayant effectué le trajet aller et retour à pied, il était dix heures et demie quand nous avons rejoint nos cantonnements. L’après-midi, j’ai fait chauffer de l’eau afin de faire la lessive (chemise, caleçon, chaussettes, deux serviettes et plusieurs mouchoirs), le tout est presque sec étendu au-dessus du poêle installé dans notre chambre qui ronfle toute la journée.

Ce matin, j’ai été à la messe. À midi, nous avons eu un menu amélioré. Potage au vermicelle, ragout de patate et viande, hors d’œuvre de saucisson, fromage et petit entremets au chocolat au lait. Le boulanger chez qui nous logeons nous a porté à midi un gâteau cuit au four. Hier matin, alors que nous n’étions pas encore réveillés, il est venu nous allumer le poêle. Il est très gentil et parfois nous lui donnons la main à faire quelques petits travaux.

Hier, j’ai écrit chez Estrade. Je termine pour aujourd’hui dans l’espoir que la présente ira vous trouver en parfaite santé.

Ce matin, la température était radoucie aussi a-t-il neigé, plu, et maintenant le vent souffle fort. L’hiver s’annonce. Votre frère et beau-frère qui vous embrasse. Léon

 

Lundi 27 novembre 1939 carte postale                                         49 
(Neuwiller-Lès-Saverne - L’ancienne prévôté - Ehemalige Abtei)

Reçue le 1er décembre, réponse le 02/12

 

Bien chère sœur et cher beau-frère,

Je viens de recevoir à l’instant votre carte lettre du 22. Je m’empresse d’y répondre afin qu’elle bénéficie d’une levée. Hier, je vous ai envoyé une longue lettre. Aujourd’hui, le temps est brumeux, mais beaucoup plus doux que les jours précédents. Chère sœur, tu me demandes où j’en suis avec les chaussettes. En ce moment, je porte les dernières chaussettes reçues. Hier soir, j’en ai reprisé deux paires. Ce qui fait que j’en ai quatre paires de bonnes. Je ne puis en mettre deux paires à la fois, car j’ai les souliers trop justes. Je crois d’ailleurs que c’est de la bêtise d’en mettre deux paires. Cette vue représente le village voisin où sont installées les douches militaires. Je termine pour aujourd’hui en vous embrassant bien fort. Le bonjour aux voisins. Léon

 

Lundi 27 novembre 1939 carte postale                                         50

 

Bien chère maman,

Deux petits mots, simplement pour te dire que tout va bien. Nous sommes toujours au repos au même village voisin de celui dont porte le nom la carte. Après la pluie et un peu de neige, la température s’est radoucie. Je viens de recevoir des nouvelles de Tarbes et hier de Toulouse. La santé est bonne, il ne me manque rien. J’espère qu’il en est de même de toi. Chère maman, je termine pour aujourd’hui en t’embrassant. Ton fils qui ne t’oublie pas. Léon

 



[1] « Chronique du 20ème siècle », op. cit., p. 549.

[2] Une note reprise sur un des feuillets de Léonie fait état d’un « Cambot 62055 stalag III D Berlin ».

[3] Colis composé de : chaussettes, Gibbs, fromage, couteau, plumes, jambon, briquet, papier et cartes, saucisson, 3 boites sardines, bonbons, chocolat, pierres à briquet.

[4] Neuwiller-Lès-Saverne, Bas-Rhin.


Présentation

Soldat en Alsace-Lorraine (1939-1940)

  Cliquer sur l'image de la première de couverture pour commander la version papier : Résumé Dès les premiers jours de la Mobilisation g...